En 1997, Jean Carvalho avait tué en plein commissariat Fabrice Fernandez.
Lyon, envoyé spécial.
L’îlotier Jean Carvalho a beau bredouiller, répéter: «Ça se mélange dans ma tête», dire qu’il voulait juste faire comprendre mais «surtout pas faire de mal», il y a deux faits imparables. Deux faits qui ont conduit la chambre d’accusation de Lyon à le renvoyer devant les assises, où il comparaissait depuis mercredi, non pas, comme le demandait le parquet, pour «violences volontaires avec arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner», mais tout simplement pour «homicide volontaire». Meurtre, en langage courant.
Menottes dans le dos. Deux faits, donc. Le premier, c’est ce fusil à pompe que le policier tient braqué à vingt centimètres du visage d’un homme assis sur une chaise, menottes dans le dos, dans le commissariat du 9e arrondissement de Lyon. Le second, c’est qu’il est impossible, selon les experts en balistique, qu’un coup parte si l’on n’appuie pas, avec une pression de 3,9 kilos, sur la détente de l’arme. Il est 21 h 36. Fabrice Fernandez, 24 ans, vient de mourir après avoir reçu dans la tête une décharge de calibre 12. Le policier est alors sorti de la pièce, a allumé une cigarette, a confié l’arme à un collègue avec ce commentaire: «Fais attention, elle est sensible, le coup est parti tout de suite.» Il s’est éloigné, a sorti un canif de sa poche. Des policiers se sont approchés pour saisir le couteau, «de peur qu’il n’attente à sa vie». Fausse frayeur, Jean Carvalho se curait les ongles.
Ainsi racontée, la scène est accablante. Mais vendredi, après trois jours de débat, l’avocat général François Coste, représentant de l’accusation, est revenu sur la qualification des faits: «A la question de savoir s’il avait l’intention de donner la mort, à votre place, je répondrais non!» Vers 21 heures, ce 18 décembre 1997, trois policiers d’une Bac (brigade anticriminalité) patrouillent à la Duchère. Le quartier est réputé difficile. Ils entendent une déflagration, puis, peu après, remarquent au pied d’un immeuble trois hommes dont l’un manipule un fusil à pompe. Il fait nuit. Les policiers, revolver à la main, s’approchent du groupe. «Police! Ne bougez plus!» Les frères Papalardo sont menottés, l’arme est récupérée par le gardien Bruno Sagnez, qui tente de la décharger. Il manipule la pompe, qui se bloque, du moins le croit-il. Plutôt que de vérifier, il dépose l’arme dans le coffre de la 205. On le sait aujourd’hui, involontairement, il a fait monter une cartouche dans la chambre. Il fait noir, il n’y voit pas clair. La situation s’est à nouveau tendue. Les Papalardo hurlent, un attroupement s’est formé. Cris, insultes. Une troisième personne, surtout, invective les policiers. C’est Fabrice Fernandez, demi-frère des Papalardo. C’est à ce moment qu’arrivent Jean Carvalho et deux autres îlotiers dans leur propre voiture. Carvalho neutralise Fernandez. Les deux voitures de police finissent par s’arracher sous une pluie de caillasses.
«Engueulade». Ils arrivent au commissariat à 21 h 34. Fernandez est conduit dans le minuscule bureau du chef de poste. Menotté dans le dos et assis sur une chaise, entouré par de nombreux policiers: des gardiens de la paix du commissariat, les trois îlotiers, les policiers d’une Bac venue en renfort et de la Bac intervenue initialement. Le chef de celle-ci arrive avec le fusil à pompe. Il le dépose dans le bureau. Alors qu’une «engueulade», selon les policiers présents, éclate entre Fernandez et Carvalho, ce dernier attrape l’arme posée contre un mur et la brandit. Selon plusieurs policiers, il aurait alors crié: «C’est avec ça que vous nous tirez dessus!» Puis, abaissant l’arme, canon face à la joue de Fernandez, il aurait ajouté: «C’est avec ça qu’on devrait vous tirer dessus.» Fernandez a alors rétorqué: «T’es pas capable!» Le coup est parti.
La défense de Jean Carvalho est aussi confuse que sa mémoire. «Je lui ai juste montré l’arme en lui disant que c’est à cause d’elle qu’on avait embarqué ses frères. Quand il m’a dit: “T’es pas capable, j’ai compris que ça ne servait à rien de parler. J’ai voulu partir, et là, le coup est parti tout seul. J’ai même pas compris qu’il était touché.» Il est le seul. Des policiers sortent en se prenant la tête dans les mains. L’un d’eux crie: «Putain! Il a tiré!» Un stagiaire éclate en sanglots. Carvalho est aussi le seul, à l’exception du stagiaire qu’il avait en charge, à prétendre qu’il s’était préalablement informé de la neutralisation de l’arme. Tous ceux qui l’ont touchée affirment n’avoir jamais parlé à Carvalho.
Complexe narcissique. Comment savoir? La plupart des policiers se contredisent. Pour les avocats des parties civiles, peu importe: l’intention homicide réside dans le court moment où Carvalho, tenant l’arme braquée, entend Fernandez le provoquer. L’expert psychiatrique a décrit le policier comme un homme souffrant d’un complexe narcissique, ne supportant pas d’être dans la «situation du dominé». Alors, dans «cette fraction de seconde qui déchire l’éternité, avance Gilbert Collard, avocat des parties civiles, tandis que le “T’es pas capable de Fernandez résonnait comme “Tu n’as pas de couilles», à cet instant précis, le policier est devenu un meurtrier.
Pour l’avocat général, si Carvalho n’a pas vérifié que l’arme était déchargée, il n’a pas plus vérifié qu’elle était chargée. «La volonté homicide ne s’abandonne pas au hasard», a-t-il affirmé. Pour cette «démarche stupide», «ce besoin de lire dans le regard des autres qu’il est le meilleur», il a requis douze ans de réclusion. Les jurés l’ont suivi sur la peine et sur la qualification.
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