Compte rendu
LE MONDE |
EVRY CORRESPONDANCE

Fréquents, les viols commis en prison font rarement l’objet de plaintes : la honte des victimes et la peur des représailles nourrissent la loi du silence.

C’est donc un procès peu ordinaire qui s’est ouvert lundi 16 mars devant la cour d’assises de l’Essonne à Evry. Robert L., 23 ans, comparaît libre pour le viol de Frédéric D., 24 ans (à la demande de la victime, nous avons préservé leur anonymat), dans une cellule de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, la nuit du 13 au 14 décembre 2006. “Il n’y a pas dénégation de l’acte sexuel, mais mon client refuse la qualification de viol”, défend Nadine Blanc-Deschamps, l’avocate de l’accusé, qui encourt quinze ans de réclusion.

Tout oppose les deux hommes. Frédéric est un garçon efféminé, le corps gracile, les traits délicats et le verbe posé. Il ne dissimule pas son homosexualité. Robert, d’apparence plus rustre, baskets et jean baggy, se tient négligemment sur sa chaise et s’exprime confusément.

Arrivé du Cameroun à 13 ans après le décès de sa mère, il connaît des périodes d’errance en foyer ou dans la rue, avec pour seuls soutiens celui d’une demi-soeur et d’une jeune fille de son âge avec qui il entretient toujours une relation. Il sombre dans la délinquance et fait plusieurs séjours en prison pour actes de violence. Sans être qualifié de dangereux par les autres détenus, Robert, plutôt actif et extraverti, possède une certaine aisance en détention.

A l’inverse, Frédéric, venu de Guadeloupe en août 2006, vit très mal sa première incarcération. Poursuivi pour avoir reçu un courrier des Antilles contenant de la cocaïne, il est alors en détention provisoire et clame son innocence.

“Dès sa mise en détention, j’ai transmis un mémoire à la chambre d’instruction pour dire que son emprisonnement était la chronique d’un viol annoncé”, assure son avocat, Me Arié Halimi. “J’ai informé le juge d’instruction de l’homosexualité de mon client. Mais le juge a seulement indiqué, dans le dossier pénitentiaire, un point d’interrogation face à la mention “risques d’atteinte à l’intégrité physique”.” Ce point d’interrogation sera mal interprété par l’administration pénitentiaire qui conclut à une tendance suicidaire et veille à ne pas laisser le jeune homme seul en cellule. Tragique méprise.

Depuis plusieurs jours, en cette fin d’année 2006, Frédéric subit les avances de Robert. “Il me disait qu’il voulait être dans la même cellule que moi. Je répondais que je n’avais pas la tête à ça et que j’étais fidèle à mon ami.” Mais deux jours après le départ du codétenu de Frédéric, Robert prend sa place. Peut-on croire au hasard ? “Bien sûr que non, répond la victime. En faisant une requête à l’administration, on peut demander l’affectation dans telle ou telle cellule…”

MANQUEMENTS GRAVES

“Le chef de détention établit un profil psychologique des détenus et essaye de mettre les détenus ayant le même profil ensemble”, explique à la barre Pascal Rodrigue, le gendarme chargé de l’enquête. “Ils ont presque le même âge… La victime n’avait pas fait état de ses relations difficiles avec l’accusé et l’administration ne voulait pas le laisser seul.” Ce fut assez pour justifier la cohabitation.

Pourtant, la nuit même de son arrivée dans la cellule, l’accusé, selon les déclarations du plaignant, attend que la ronde soit passée pour le maîtriser violemment et le sodomiser. “J’ai essayé de crier mais il m’a empoigné et cela n’aurait servi à rien. Le temps que les gardiens se déplacent, ils n’auraient rien pu faire”, témoigne Frédéric, toujours fragilisé deux ans après les faits.

“Le viol en prison ? C’est banal, indique-t-il. Mais tout le monde s’en fiche. Il n’a pas la même ampleur qu’à l’extérieur.” Rares, les procès pour viol en milieu carcéral se tiennent le plus souvent devant un tribunal correctionnel bien qu’il s’agisse d’un crime. Un moyen de faciliter le témoignage des victimes, plus à l’aise que devant un jury d’assises. Mais cela permet aussi, selon le défenseur de Frédéric, “d’éviter à l’administration pénitentiaire de rendre publics ce genre de crimes commis au sein de ses établissements”.

Me Halimi déposera une requête devant le tribunal administratif contre le service public de la justice, coupable à ses yeux de manquements graves. “Tant que la chancellerie ne prendra pas la mesure des viols commis en milieu carcéral, cela continuera tous les jours. Aux Etats-Unis, 25 % des détenus sont violés. Je ne vois pas pourquoi les chiffres seraient différents en France”, ajoute l’avocat. Le verdict était attendu mardi 17 mars.

Anne Rohou
Les violences en prison

Agressions entre détenus. L’administration ne recense pas les viols spécifiquement. Elle compte 464 agressions entre prisonniers en 2008, contre 367 en 2007. Ce chiffre est marqué par une importante sous-déclaration.

Suicides. Ils sont passés de 93 (+ 3 hors détention) en 2007 à 109 (+6 hors détention) en 2008, pour environ 64 000 détenus.

Agressions contre le personnel. 595 actes recensés en 2008, contre 491 en 2007.

Article paru dans l’édition du 18.03.09

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