Après la volte-face des autorités, 80 000 Sud-Africains pourront demander réparation à IBM, Ford, Daimler, GM…, accusées d’avoir aidé le régime raciste.

Elsie Gishi, une balle dans la poitrine, une dans le bras, une dans la gorge, paralysée du côté gauche. Michael Mbele, 22 ans, torturé à l’électricité, détenu onze mois sans procès. Bheki Mlangeni, tué par un colis piégé. Thandiwe Shezi, violée dans les locaux de la police, laquelle a ensuite introduit des fourmis dans son vagin. Et la liste d’horreurs continue.

Derrière ces noms de victimes de la répression, il y a quelque 80 000 personnes regroupées dans trois associations, Khulumani, Ntsebeza et Digwamaje, qui attaquent en justice cinq multina­tionales : Daimler, Ford, General Motors, IBM et Rheinmetall. Pour les plaignants, ces entreprises, qui ont conclu des marchés avec les forces de sécurité sud-africaines, ont « aidé », en connaissance de cause, le gouvernement de l’apartheid à appliquer sa politique répressive.

L’affaire est devant un tribunal new-yorkais qui a estimé, en avril dernier, que la plainte était recevable et a donné son feu vert pour la poursuite de la procédure. Les entreprises visées ont fait appel, mais celui-ci a peu de chances d’aboutir. Avec l’arrivée au pouvoir de Jacob Zuma, les autorités ont changé de position. Le nouveau ministre de la Justice, Jeff Radebe, a écrit au juge chargé du dossier pour lui expliquer que son gouvernement considère désormais que la cour new-yorkaise est un lieu « approprié » pour juger l’affaire. Aux USA, l’Alien Tort Claims Act permet à des étrangers de porter plainte aux États Unis en cas de violation des lois internationales.

Pour l’accusation, cette décision est « historique ». Le soutien du gouvernement est un indéniable atout. L’administration précédente, sous Thabo Mbeki, refusait de froisser les investisseurs potentiels et les partenaires de l’Afrique du Sud. « La croissance économique sera la réparation des torts causés par l’apartheid », avait justifié l’ancien ministre de la Justice.

Vérité et compensations

Les victimes avaient en revanche le soutien des Églises et de l’archevêque Desmond Tutu, qui a présidé la commission Vérité et Réconciliation (TRC) dans les années 1990. « Des entreprises ont été impliquées dans la conception et l’application des lois de l’apartheid. D’autres ont bénéficié de leur collaboration avec les forces de sécurité », estime le rapport de la TRC, qui visait surtout la fourniture de véhicules blindés et d’armement. « Nous démontrerons que ces entreprises savaient à quoi servait le matériel qu’elles vendaient, qu’elles ont réalisé des profits en aidant la répression et qu’elles l’ont fait en violant des lois internationales », explique Charles Abrahams, avocat du groupe de victimes Khulumani.

L’objectif : « Obtenir des compensations financières », lâche Charles Abrahams. Les victimes, elles, disent vouloir « d’abord la vérité sur le rôle des entreprises, puis qu’elles reconnaissent leur responsabilité et qu’elles paient pour réparer les torts causés », commente Tshepo Madlingozi, responsable de la coordination à Khulumani. Au final, l’affaire pourrait toutefois se solder par une entente à l’amiable. Le gouvernement, en tout cas, y travaille. Jeff Radebe a convoqué les compagnies, puis les représentants des victimes. Ces dernières se sont dites favorables à une médiation. Elles ont pris l’avantage dans cette procédure. Mais elles sont pressées par le temps, comme l’explique Tshepo Madlingozi : « Chaque mois, des membres de l’association meurent. On ne peut pas laisser traîner éternellement. » Lancée en 2002, la procédure a déjà sept ans.

Le business mis en garde

Il a fallu quatorze ans avant que Shell, poursuivi pour complicité dans l’assassinat de Ken Saro-Wiwa et d’autres activistes, accepte de payer, après un règlement négocié, 15,5 millions de dollars aux communautés ogonies dans le delta du Niger. Une autre major, Chevron, fait l’objet d’une procédure judiciaire aux États-Unis pour des violations des droits de l’homme commises par des forces de sécurité payées ou équipées par elle.

« Quelle que soit l’issue de ces procédures, elles sont un avertissement très clair au monde des affaires : les compagnies seront tenues responsables de leurs actes et doivent prendre en compte le respect des droits de l’homme », estime Susan Farbstein, avocate et membre de la « Clinique des droits de l’homme internationaux » à l’université Harvard.

Côté entreprises, c’est le black-out. Seul Daimler a répondu à J.A. : « Nous n’avons jamais coopéré avec les forces de sécurité du pays pendant l’apartheid. Nous sommes confiants », précise un communiqué. En attendant le procès, les affaires continuent. Daimler a annoncé la commande de 500 bus par l’Afrique du Sud en prévision du Mondial et l’implantation de chaînes de montage dans le pays…

Fabienne Pompey
Source Jeune Afrique

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