Julie Laborderie, 4 juillet 2009
Des procès criminels emblématiques rejoués par des comédiens en prime time dans la lucarne. C’est le projet ambitieux et secret sur lequel planche actuellement la direction des magazines de l’information de TF1.
Il y a quatre mois, les équipes de la première chaîne ont contacté la Chancellerie et le parquet général de Paris afin d’étudier le cadre légal de ce programme inspiré d’une émission britannique.
Explications : l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse interdit « dès l’ouverture de l’audience des juridictions administratives ou judiciaires, l’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image ».
Sauf à ce que ledit procès soit historique et filmé pour la mémoire collective. Ainsi ceux de Klaus Barbie, de Paul Touvier ou, plus récemment, de Maurice Papon ont été intégralement fixés sur pellicule, grâce à la loi du 11 juillet 1985 autorisant la constitution d’archives audiovisuelles de la justice.
Des sténodactylos dans le prétoire
Caméras, appareils photo et autres enregistreurs de sons et d’images formellement prohibés du prétoire, TF1 fera donc appel à un escadron de sténodactylos. Lesquelles se relaieront afin de prendre en notes chaque minute d’audience. Les services du ministère de la Justice ont déjà validé le procédé.
Dernièrement, lors du procès de Véronique Courjault, on a ainsi pu voir deux dactylos retranscrire les débats pour le compte de la société de production de Jean-Xavier de Lestrade qui prépare un film sur l’affaire des bébés congelés. Pour mémoire, le réalisateur avait remporté un Oscar en 2002 pour Un coupable idéal, un documentaire sur l’histoire d’un adolescent afro-américain victime d’une erreur judiciaire.
Le procès de Youssouf Fofana était dans les tuyaux
A partir de ces retranscriptions, un scénario sera concocté, puis remis à des comédiens qui se glisseront dans la peau des protagonistes du prétoire : accusé(e), victime, président(e), avocat(e) général, partie civile, défenseur, témoins, etc. Propos et attitudes seront joués à l’identique.
« L’idée, c’est de se saisir d’un procès emblématique soulevant une question sociétale qui pourrait trouver un écho dans l’opinion », détaille un cadre de la maison TF1. A l’image de celui du « gang des barbares », en cours devant les assises de Paris. La comparution des coupables présumés de ce fait divers sordide avait suscité l’intérêt de la première chaîne, qui s’était parée de toutes les autorisations nécessaires. Las ! le prononcé d’un huis clos au bénéfice de Youssouf Fofana et de ses acolytes a remisé le projet au placard. Loin d’abdiquer, les limiers de la Une auraient déjà dégoté, selon une source interne, un autre dossier judiciaire d’importance en province.
Restera toutefois une dernière obligation à respecter, comme on l’indique au parquet de Paris : « Nous avons donné notre accord sur le principe de ce qui sera une sorte de rediffusion de procès, mais uniquement dans le cas où il sera frappé d’une décision définitive. Cela afin de ne pas soulever de problèmes juridiques. » Impossible, donc, de procéder à une reconstitution si tous les recours – appel, cassation, Cour européenne – n’ont pas été épuisés.
TF1 a peur d’un plagiat
Sollicité hier par téléphone, Pascal Pinning, le patron des magazines de la Une, n’a pas souhaité confirmer nos informations. Dans le monde de la télé, on ne prend pas le risque de se faire plagier par la concurrence tant qu’un projet n’a pas été déposé. Surtout quand du côté du service public, Faites entrer l’accusé dope les audiences de France 2.
Pour l’heure, si le format de ce futur programme n’a pas encore été validé, la diffusion en prime time a été entérinée. Au-delà des contraintes juridiques, l’arrivée d’une émission de « real justice », inédite en France, soulève des questions éthiques et partage les professionnels du monde judiciaire.
Alors qu’aux Etats-Unis, la législation permet la diffusion sur truTV – anciennement Court TV – de procès tel que celui de O.J. Simpson, dans l’Hexagone le débat a récemment fait rage sur la possibilité de filmer les audiences. Les « pro » et « anti » se sont affrontés dans plusieurs commissions chargées, par la Chancellerie, de se pencher sur le sujet. Sans résultat puisque, à ce jour, la loi n’a pas changé d’un iota.
Le quidam continue, lui, de se précipiter au palais de justice dès qu’un procès médiatisé s’annonce. Souvent, il s’en retourne frustré car, faute de place dans le prétoire, il ne peut assister à des débats pourtant publics – sauf lorsqu’ils concernent des mineurs ou qu’une victime demande le huis clos.
Une chose est sûre, la première chaîne a flairé le bon filon avec sa future émission. Celui d’une opinion curieuse de la chose judiciaire souvent méconnue et méfiée. Alors, comédie humaine étalée à la télé ou respect d’une justice démocratique ? On attend de voir sur TF1.
“Il faut montrer la justice dans tous ses aspects”, Daniel Karlin, documentariste
Le réalisateur de Justice en France (*) se dit partisan d’une chaîne câblée qui diffuserait des procès dans leur intégralité.
FRANCE-SOIR. Que pensez-vous d’un projet d’émission de reconstitution d’un procès d’assises ?
DANIEL KARLIN. L’idée n’est pas inintéressante, mais rejouer des procès à l’identique me semble d’une formidable médiocrité. Lorsque j’ai moi-même filmé des audiences, je l’ai fait avec des vrais gens qui avaient la capacité de me dire « Je ne veux pas que ça passe à la télévision », ce qui ne sera pas le cas avec TF1 puisqu’ils feront intervenir des comédiens. In fine, TF1 va choisir de gros procès qui ont fait du bruit et va couper ce qui l’arrange. Or cette démarche sera probablement malhonnête. Aujourd’hui, personne ne prend la responsabilité de réfléchir à la manière de montrer la justice française, et TF1 choisit ce moment pour monter un projet de procès rejoués à l’identique par des comédiens. Alors que la question essentielle est de savoir comment et quand on filme la justice ?
Au regard de votre expérience, quelles sont les précautions éthiques et techniques à respecter dans la mise en images de la justice, notamment au travers d’un procès ?
C’est très compliqué de filmer un procès, car le vrai dilemme est de savoir si l’on prend parti pour l’un ou l’autre des protagonistes. Et puis le dispositif technique est très important. Mais, ce qui l’est encore plus, c’est que soit respectée la publicité des débats. C’est-à-dire que l’on doit pouvoir voir un procès du début jusqu’à la fin. Je suis partisan d’une chaîne câblée, comme Court TV aux Etats-Unis, qui diffuserait des audiences dans leur intégralité. Avec, en « incruste », un spécialiste juridique qui éclaire les téléspectateurs car, très souvent, il se passe des choses incompréhensibles pour le néophyte dans une audience.
Pensez-vous que la présence d’une caméra ou la reconstitution d’une audience influent sur la tenue des débats ?
Non, la reconstitution ne change rien car, dans la tête des protagonistes, elle reste au stade théorique. En revanche, la présence d’une caméra change tout le monde, avec comme première conséquence le fait de diminuer la médiocrité de beaucoup de magistrats. Au fond, l’interdiction de filmer les procès a d’abord pour objectif de protéger la magistrature, et non les justiciables. La caméra influence tout le monde, mais dans le bon sens.
La justice est-elle un spectacle pour celui qui la filme ?
La justice est un spectacle pour tout le monde. Elle est conçue comme tel, avec des habits spécifiques, des positions bien définies dans le prétoire et dans la prise de parole. C’est même un des spectacles les plus codifiés et les plus hiérarchisés qui existent dans notre société. Si elle fonctionne de la sorte, c’est qu’elle doit servir d’exemple.
Le projet de TF1 n’est-il pas une manière de redonner tout son sens à l’expression « publicité des débats », fondement d’une justice démocratique ?
Le projet se concentre sur la justice criminelle, or il s’agit de quelques milliers de procès sur plusieurs millions. Il faut montrer la justice dans tous ses aspects, et notamment ceux qui concernent le plus directement les justiciables : les histoires de voisinage, de propriété, de location, de surendettement, etc. C’est là que j’ai rencontré les personnages les plus intéressants du monde judiciaire. »
(*) Justice en France, deux films de 90 minutes réalisés au début des années 90 sur le suivi intégral, de l’instruction jusqu’au procès, dans une affaire criminelle à Lille. Le réalisateur Daniel Karlin a également signé La Justice ordinaire (dans les tribunaux de commerce et administratifs), Les Urgences (flagrants délits, référés), la Défense (au barreau de Lyon) et La Justice des mineurs (avec le juge Véron de Marseille).
Edition France Soir du samedi 4 juillet 2009 page 28
Bonne ou mauvaise c’est une idée qui semble sur le papier révolutionnaire !