LE MONDE DES LIVRES | 09.07.09 | 11h23

aut-il croire que la légendaire “malédiction” des manuscrits de la mer Morte n’est toujours pas un vain mot ? Depuis leur publication longtemps retardée, on croyait pourtant apaisée cette lancinante polémique : l’affaire oppose les chercheurs sur l’origine de ces documents déposés en grande partie au Musée Rockefeller à Jérusalem-Est et étudiés d’abord par l’Ecole biblique voisine, fondée par des dominicains français. Constituant les témoignages écrits les plus reculés de l’Ancien Testament, ils avaient été retrouvés en 1947, dans la zone désertique de l’ancien Israël.

Le 5 mars 2009 au matin, à Greenwich Village, dans le quartier de Washington Square où est situé le campus de l’université de New York (NYU), des policiers requis par le procureur du district font irruption au domicile d’un avocat du nom de Raphael Golb, diplômé de Harvard en littérature comparée. Il s’agit du fils du professeur Norman Golb, de l’université de Chicago, auteur de Qui a écrit les manuscrits de la mer Morte ? (Plon, 1998). Placé en détention préventive, Raphael Golb passe une nuit au poste, au beau milieu d’une trentaine de personnes où se mêlent des meurtriers présumés et des sans-abri ramassés dans Manhattan. On lui confisque ses affaires personnelles, son ordinateur et son journal intime. Motif ? Il est soupçonné d’avoir “usurpé l’identité” d’un collègue et rival de son père, le professeur Lawrence Schiffman, président du département d’études hébraïques et juives de NYU, et d’avoir diffusé sur Internet sous le nom de ce dernier plus d’une dizaine de mails envoyés depuis la bibliothèque de NYU. Des courriels qui étaient autant de prétendues reconnaissances d’avoir plagié Norman Golb.

Craignant que NYU ne procède à une enquête interne pour plagiat, M. Schiffman a porté plainte. Tout s’est alors passé comme dans une mauvaise série télé, saupoudrée de Da Vinci Code. La police new-yorkaise finit par tomber sur Raphael Golb, qui habite dans les parages et se voit désormais reprocher d’“avoir utilisé de multiples faux noms en vue d’engager une campagne d’usurpation d’identité et de harcèlement afférente aux manuscrits de la mer Morte et aux spécialistes dont les théories sont opposées aux siennes”. Aujourd’hui inculpé, il risque jusqu’à quatre ans de prison. Mercredi 8 juillet, un grand jury a décidé en audience préliminaire qu’il y aurait bien procès. Selon l’avocat du prévenu, Martin Garbus, il n’y pas là “crime” et, au mieux, l’affaire devrait relever d’une juridiction civile et non pénale. Raphael Golb plaidera non coupable.

Contacté par Le Monde, Lawrence Schiffman insiste sur le fait que la procédure ne porte en rien sur la question des manuscrits : “Ce n’est pas moi contre le professeur Norman Golb. C’est l’Etat de New York contre Raphael Golb. Je me suis contenté de porter plainte auprès des autorités pour faire cesser des actes criminels dont j’étais la cible et qui me portaient préjudice. Ce sont les autorités et elles seules qui ont décidé de procéder à son arrestation.”

INTERPRÉTATION CHRISTIANISANTE

Le professeur Norman Golb s’en est pris depuis les années 1980 au “monopole” qui régnerait dans ce champ très particulier de la recherche. La lenteur avec laquelle ces documents ont été rendus publics refléterait une volonté obstinée du milieu de l’Ecole biblique de conserver la haute main sur l’interprétation christianisante de ces textes venus de l’Antiquité, en en attribuant la rédaction aux esséniens, une secte marginale de l’époque du Second Temple, supposée “proto-chrétienne”.

Pour Norman Golb, l’origine de ces écrits ne doit pas être cherchée à Qumran, sur les rives de la mer Morte, mais dans diverses bibliothèques de Jérusalem, dont ils auraient été extraits lors de la révolte juive et de la destruction du Temple, en 70 de notre ère. Pour M. Golb, dont la position est considérée comme minoritaire, ces manuscrits reflètent les grands courants du judaïsme de leur époque et non les conceptions d’un groupe à part, déjà à demi détaché de la communauté des juifs de ce temps. M. Schiffman pense pour sa part que cet ensemble est le produit de regroupements d’auteurs et de copistes – l’un d’eux appartenant au courant sadducéen, l’élite hellénisée et cléricale. Sera-ce à la justice américaine de trancher ce différend ?

Nicolas Weill
Article paru dans l’édition du 10.07.09
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