La procédure pénale va-t-elle connaître le même sort que la taxe carbone ?
La Chancellerie affirme que la réforme n’est pas abandonnée. Pourtant, certains signes laissent penser que son avenir est loin d’être assuré.
Après la taxe carbone, ce pourrait être au tour de la réforme de la procédure penale de faire les frais de la déroute de l’UMP aux régionales. C’est du moins ce que laissent entendre plusieurs articles de presse, en dépit du démenti du ministère de la Justice.
Fillon et Sarkozy évitent le sujet
Premier indice : le silence de Nicolas Sarkozy et de François Fillon sur le sujet. Ni avant le premier tour des régionales, dans son interview au Figaro Magazine, ni après, dans son allocution du mercredi 24 mars, le chef de l’Etat n’a abordé la réforme de la justice. Silence radio aussi du côté du Premier ministre : rien sur la procédure pénale dans son interview au Journal du Dimanche publiée le 28 mars, et rien non plus lors du séminaire des parlementaires UMP le lundi suivant. Pourtant, lors de cette réunion, il a passé en revue les grandes réformes qui vont occuper les deux ans qui restent avant 2012.
Mais le porte-parole adjoint de la Chancellerie, Arthur Dreyfuss, se refuse à y voir le signe, si ce n’est d’un abandon, du moins d’un report, en se raccrochant au fait que Luc Chatel, lui, s’est exprimé sur la réforme dimanche dernier : “Ce n’est pas n’importe qui, c’est le porte-parole du gouvernement, il n’y a pas que le Premier ministre et le président de la République quand même !”. “Nous sommes au cœur de la concertation” sur l’avant-projet, lancée le 2 mars par Michèle Alliot-Marie, “qui continue, qui va continuer. A l’issue de cette concertation, le gouvernement se prononcera sur le calendrier et la méthode pour le projet de loi”, a déclaré Luc Chatel dans le Grand Jury RTL/Le Figaro/ LCI.
Scepticisme
Mais il y a un deuxième indice : quelques voix discordantes, relayées par la presse. D’abord celle de Jean Léonetti, vice-président du groupe UMP de l’Assemblée, dont les propos, rapportés dans Le Monde daté du mercredi 31 mars, ne donnent pas cher de la poursuite de la réforme : “Ce que craignaient les députés, après la veste des régionales, c’était d’avoir encore à se payer la taxe carbone et une réforme de la procédure pénale qui ne peuvent que leur attirer des désagréments. La majorité est prête à aller au combat sur les retraites, elle n’est pas prête à se battre pour une réforme de la justice qui va mobiliser tous les lobbies. Alors on va bien empaqueter la garde à vue, parce qu’on est obligé de le faire. Le reste, on remettra à plus tard.”
Or, ces déclarations corroborent les informations du Canard enchaîné, qui rapporte, mardi 30 mars, une formule lapidaire d'”un ministre proche du dossier” : “La réforme est dans l’impasse”, aurait-il dit.
Un scepticisme que partagent, à gauche, le syndicat de la magistrature (SM) et l’ancien garde des Sceaux socialiste Robert Badinter. “Les députés de la majorité souhaitent être réélus et le résultat des régionales ne leur a sûrement pas été indifférent”, a récemment souligné ce dernier, dans le droit fil des commentaires de Jean Léonetti. Et d’ajouter : “Je pense qu’on verra une première lecture au Sénat, et que plus loin on n’ira pas”.
Démenti
Au ministère de la Justice, cependant, on dément en bloc. “Depuis 10 mois que Michèle Alliot-Marie est ministre de la Justice, elle a fait de cette réforme sa priorité. Sa volonté de réforme est tout à fait intacte“, souligne Arthur Dreyfuss, faisant valoir que “le calendrier annoncé il y a 6 mois par la garde des Sceaux est tenu à 10 jours près”. Et de rappeler les dernières étapes dudit calendrier : “Il y a un mois, elle a présenté un avant-projet en Conseil des ministres. Depuis le 2 mars, ce texte est soumis à une concertation, qui durera deux mois.” Précisant que “dans cette concertation, tout est ouvert, sauf le statut quo”, le porte-parole adjoint de la Chancellerie indique qu’une fois la concertation achevée, “un projet de texte sera transmis au Conseil d’Etat.” L’objectif n’a pas changé, insiste-t-il, puisqu’un examen du projet de loi est prévu fin 2010 ou début 2011. “Il est possible que l’examen du texte se fasse en deux temps : les dispositions sur la garde à vue à l’automne et le reste fin début 2010 début 2011″, ajoute-t-il. Un “reste” qui concerne notamment la très controversée suppression du juge d’instruction.
De source proche du Premier ministre, on assure aussi que “le calendrier n’est pas modifié”, que “la réforme n’est absolument pas abandonnée”. Si François Fillon n’a pas touché un mot de la réforme devant les parlementaires UMP, c’est tout bonnement parce qu'”on ne peut pas en un discours balayer l’intégralité des dossiers en cours”, et qu’il a choisi de mettre “un coup de projecteur sur certains projets”. Quant aux déclarations de Jean Léonetti, on rétorque seulement que “ces propos n’engagent que lui”.
Un climat houleux
Admettons que l’exécutif ne compte pas reculer, ce qui n’est pas impossible compte tenu de l’effet désastreux que cela aurait sur la crédibilité de ce gouvernement déjà sacrément entamée par le retrait de la taxe carbone – à moins qu’il n’attende que la tempête passe… mais là on entre dans la sphère des suppositions.
Reste que le parcours de la réforme de la procédure pénale est encore semé d’embûches. Une semaine à peine après la présentation de l’avant-projet de loi, plusieurs milliers de magistrats, d’avocats, et de personnels de justice manifestaient pour “défendre l’indépendance et le service public de la justice”.
Comme on pouvait s’y attendre après cette levée de boucliers, la concertation engagée s’avère on ne peut plus houleuse : le Syndicat de la magistrature (SM) et le Syndicat des avocats de France (SAF) ont claqué la porte jeudi 25 mars, suivis mercredi 31 mars par l’Association française des magistrats instructeurs (AFMI) en raison du caractère “non négociable” de la suppression du juge d’instruction et du statut du parquet.
Convaincre les parlementaires UMP de soutenir le projet de loi ne sera pas non plus une mince affaire, si l’on en croit Jean Léonetti, sachant que d’autres, avant lui, dans les rangs de la majorité, ont fait savoir qu’ils ne voyaient pas d’un très bon oeil la réforme, du fait notamment de la suppression du juge d’instruction. La “proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur la réforme de l’instruction des affaires pénales” déposée en janvier 2009 par Jean-Paul Garraud, député UMP de Libourne, avait recueilli plus de 70 signatures de députés UMP.
La Cour européenne des droits de l’Homme pourrait aussi se mêler de la partie, comme le montre l’arrêt Medvedyev, certes timide, qu’elle a rendu lundi 29 mars sur l’indépendance du parquet.
Compte tenu de ce climat, il n’est pas impensable que les dispositions sur la garde à vue passent, mais que le fameux “reste” de la réforme ait du mal à suivre…
(Sarah Halifa-Legrand – Nouvelobs.com)
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