Portrait

Florence Rey. Condamnée il y a onze ans pour l’équipée folle qui avait fait quatre morts en 1994, la jeune femme a été discrètement libérée début mai. Elle a 34 ans.

Par PATRICIA TOURANCHEAU

Florence Rey en 1998.

Florence Rey en 1998.

Héroïne malgré elle, Florence Rey a été libérée le 2 mai, en fin de peine. Elle a passé quinze ans en détention, à Fleury-Mérogis puis à Rennes, et ressort à 34 ans. Elle avait 19 ans quand elle s’est embringuée avec son amoureux, Audry Maupin, dans une équipée folle, les armes à la main entre la place de la Nation à Paris et Vincennes, laissant quatre hommes sur le macadam. A l’issue d’une course-poursuite la nuit du 4 au 5 octobre 1994, son compagnon jusqu’au-boutiste, qui a tué un chauffeur de taxi puis trois gardiens de la paix, a été stoppé à son tour par les balles policières.

Seule en garde à vue au 36 quai des Orfèvres, elle reste mutique et butée, selon la brigade criminelle qui la compare à la terroriste d’Action directe Nathalie Ménigon. En réalité, l’étudiante en rupture de ban qui voulait «changer la société, foutre en l’air le monde» avec Audry s’avère incapable d’articuler, prostrée, terrorisée. La France entière découvre alors, atterrée, la photographie de cette très jeune fille aux cheveux châtains taillés à la sauvageonne, aux yeux hagards qui regardent droit vers l’objectif avec une égratignure sous l’œil droit. Il lui faudra plus de trois mois pour sortir du silence et expliquer au juge Stéphan cette nuit où tout leur a échappé.

«Braquages». Fille d’une institutrice rigide de la dalle d’Argenteuil (Val d’Oise) et d’un père victime d’hallucinations auditives, Florence Rey, brillante élève, étouffait dans ce foyer familial où le bruit était interdit pour ne pas réveiller les voix dans la tête du père. En juin 1993, elle révise le bac chez sa copine de classe Lysiane Maupin et tombe amoureuse de son frère Audry, de trois ans son aîné, ce beau révolutionnaire qui cause philosophie, anarchisme et escalade. Elle le suit en montagne dans les voies les plus abruptes et se surpasse pour tenter d’être à la hauteur. Ils emménagent dans une chambre en cité U. Elle passe de fac de médecine à lettres. Début 1994, ils suivent tous deux le mouvement anti-Cip, le Smic jeunes d’Edouard Balladur, et se heurtent à la police de Charles Pasqua dans les manifs.

Fils d’anciens soixante-huitards ouvriers de la banlieue rouge, Audry Maupin rêve à la vraie révolution, mieux que Mai 68, et supporte mal l’échec. Il plaque la philo à la fac de Nanterre et prend une année sabbatique «pour réfléchir». Tous deux squattent une maison du vieux Nanterre, montent un groupuscule, discutent avec des «autonomes», des anars et anti-Le Pen. A l’automne 94, le couple encaisse mal de vivre sans eau et sans électricité, «comme des clochards» selon les mots de Florence Rey, et décide de se lancer dans des vols à main armée. «Pour avoir des armes pour faire des braquages», a-t-elle toujours dit, Audry eut l’idée saugrenue d’aller piquer celles de deux gardiens de la paix de la préfourrière de Pantin. Le 4 mai 1994, rien ne s’y passe comme prévu. Les deux policiers n’ont pas de menottes, Audry Maupin et Florence Rey ne peuvent pas les attacher au radiateur. C’est le grain de sable. Les deux paniquent, délestent les policiers de leurs revolvers, puis filent à toutes jambes. Croyant les victimes à leurs trousses, ils montent dans un taxi occupé au lieu de reprendre le métro. Ils menacent le chauffeur africain qui, arrivé place de la Nation, fonce dans un véhicule de police. Audry Maupin se met à tirer sur les gardiens de la paix puis… sur le chauffeur de taxi. Florence Rey tente d’épauler son coéquipier, ne touche personne, le suit jusqu’au bout de la même façon qu’elle atteignait des sommets encordée à lui.

«Cendrillon». Le 17 septembre 1998, elle se retrouve seule devant la cour d’assises de Paris, jugée comme coauteure des quatre homicides. La gamine en blouson de jean et queue de cheval perd pied face aux veuves et collègues des policiers. Bredouille des regrets, puis répète à ses avocats Henri Leclerc et Olivia Cligman : «Ils me regardent comme une bête curieuse, c’est trop dur. Qu’ils me mettent ce qu’ils veulent, je veux mourir.» A la barre, Lysiane Maupin supplie les jurés : «Il ne faut pas que Florence prenne la punition à la place de mon frère.» Puis Me Leclerc essaye de démonter «l’engrenage» qui a conduit là «cette jeune fille très adolescente» et de casser son image d’égérie rebelle sacralisée dans les banlieues : «Florence se bat depuis le début pour ne pas être une héroïne. Elle ne veut pas être un exemple.»

Florence Rey attend le verdict, le soir du 30 septembre 1998, dans un silence de plomb, troublé par les aiguilles de la grosse horloge qui égrène les minutes avant minuit et chuchote alors à son avocate : «Je me sens comme Cendrillon». Elle a été reconnue coupable de complicité des quatre meurtres et condamnée à la lourde peine de vingt ans de réclusion. A minuit, comme Cendrillon, elle est retournée seule dans la nuit à sa triste condition.

Elle n’a jamais protesté en prison. Elle n’a cessé d’étudier la philo, l’histoire, la géographie, a lu des centaines de livres. Elle a aussi travaillé au service général du centre de détention des femmes de Rennes qui compte 210 condamnées. Elle a distribué les repas à ses codétenues et a toujours été solidaire de ces femmes qui sont passées de l’autre côté, comme elle. Elle a cessé de voir la famille et les amies d’Audry Maupin en 2001 pour tourner la page. Elle a enfin enterré Audry et repart de zéro, libre.

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