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Vendredi 12 juin 2009

Sur la réforme de la carte judiciaire — ou, si on préfère l’analyse du professeur Rolin, sur la suppression de tribunaux — [1] voici une des conséquences concrète.

Prenons le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) de Saint-Quentin [2] ]]. Un article du Courrier Picard du 12 juin explique [3] :

La carte judiciaire qui prévoit de fermer les deux tribunaux des affaires de Sécurité sociale de l’Aisne, dont celui de Saint-Quentin, charrie les mécontentements. Magistrats, administratifs, représentants d’associations dénoncent un recul. […]

Pour l’instant, rien n’est entériné. Hier matin, celui de Saint-Quentin a reçu un fax : la réforme serait suspendue. Au jour d’aujourd’hui, le conditionnel s’impose.

Méconnu du grand public, sans quoi il y aurait davantage de saisies de salariés, le TASS tranche les litiges des régimes de Sécurité sociale, notamment les accidents du travail, les maladies professionnelles et les procédures engagées pour faute inexcusable de l’employeur. Son activité est bien fournie, notamment avec l’inflation des dossiers sur l’amiante (lire par ailleurs). « Le TASS s’occupe de gens qui sont la plupart du temps très démunis et auxquels on donne souvent raison, souligne Renelle Bousselmi [, secrétaire à temps plein depuis octobre 1979 de ce tribunal]. C’est une procédure orale. Si les plaignants ne sont pas là, leurs dossiers sont radiés. Ils disparaîtront de notre juridiction et du contentieux. » […]

Vice-président du tribunal de grande instance de Saint-Quentin et magistrat présidant le TASS, Bernard Sargos regrette lui aussi ce projet. « On n’est pas dans une logique de service public mais dans une logique comptable et financière qui peut se comprendre. Mais tous ceux concernés par cette éventuelle fermeture ne peuvent y adhérer. » […]

De l’avis des protagonistes de cette juridiction, le maintien d’un TASS dans l’Aisne « serait indispensable ». Celui de Laon serait plus central. Celui de Saint-Quentin aurait un autre atout : des politiques proches du gouvernement. Le fax reçut hier matin, même s’il ne garantit pas la pérennité du TASS à Saint-Quentin, redonne quelque peu espoir.

Notes de bas de page

[dailymotion]http://www.dailymotion.com/search/justice/video/x7z5b2_la-reforme-de-la-justice_news[/dailymotion]

Par Jean-Marie Pontaut

Le comité de réflexion qui planche sur la réforme de la justice devrait remettre à la chancellerie ses propositions concernant les cours d’assises au début de juin. Elles introduisent notamment une mesure inédite dans le droit criminel français: si un accusé reconnaît sa culpabilité avant le procès, l’audience sera raccourcie et la peine, minorée, sous réserve de l’accord de la victime. Une façon de faire face à l’explosion des affaires de viol, qui engorgent les tribunaux. Cette procédure serait toutefois impossible si l’accusé encourait la réclusion à perpétuité.

Le comité propose, en outre, que les débats soient “sténotypés”, voire enregistrés ou filmés, en vue d’une utilisation lors d’un procès en appel ou en cas de procédure de révision. Par ailleurs, les jurés seraient désormais autorisés à lire les pièces du dossier durant le délibéré. Au moment du tirage au sort du jury, les parties civiles, rebaptisées “victimes”, auront le droit de récuser des jurés, qui n’est actuellement exercé que par le parquet et la défense.

Autre modification importante proposée par la commission: les arrêts devront être motivés, comme les jugements le sont au tribunal correctionnel. Enfin, la notion d’intime conviction serait maintenue, mais le président de la cour d’assises devrait rappeler que le doute profite à l’accusé.

Sur Internet

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Une procédure de “plaider coupable” serait envisagée en France

Permettre à une personne accusée d’un crime de plaider coupable en échange d’une peine allégée est envisagé par le comité chargé de réfléchir à la réforme de la procédure pénale française, écrit le quotidien La Croix dans son édition de mercredi.

Interrogé par Reuters, le cabinet de la ministre de la Justice, Rachida Dati, “ne confirme ni ne dément” l’existence d’une telle proposition qui s’inspire du droit américain.

Selon La Croix, l’audience n’examinerait plus la question de la culpabilité de l’accusé mais seulement sa personnalité et les circonstances du crime. Le verdict serait toujours rendu par la cour d’assises et les jurés populaires mais la peine encourue serait réduite.

Aux Etats-Unis, un accusé peut éviter un procès public en plaidant coupable, un juge prononçant ensuite directement une sentence. Cette procédure a été récemment employée par Bernard Madoff, auteur d’une escroquerie financière d’ampleur planétaire qui ne sera donc jamais évoquée en public.

Une procédure similaire a été créée en France en 2004 mais elle ne concerne que les petits délits et dans ces cas-là la peine est proposée par le procureur.

L’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) est opposée à une telle réforme pénale.

Avec ce système, fait valoir son président Christophe Régnard, le tueur en série Michel Fourniret et son épouse, par exemple, auraient pu éviter la réclusion à perpétuité.

A ses yeux, il semble étrange de renoncer à examiner la culpabilité d’un accusé mais de maintenir la tenue d’une audience où l’accusé pourra toujours revenir sur ses aveux.

Doutant “du sérieux de cette commission”, Christophe Régnard la voit en “apprenti sorcier de la procédure pénale”.

Dirigé par le juriste Philippe Léger, le comité a déjà avancé une autre idée très critiquée, la suppression du juge d’instruction, enquêteur indépendant par son statut, et son remplacement pour toutes les enquêtes complexes par le procureur, nommé sur décret du président de la République.

Le rapport final du comité Léger est attendu dans les prochaines semaines, dit le ministère de la Justice. Nicolas Sarkozy a promis ensuite de lancer une réforme d’ampleur.

Thierry Lévêque, édité par Gilles Trequesser

VICHY

Que faut-il penser de la fin des juges d’instruction ? De la carte judiciaire ? Ces questions ont été posées à Me Jean-Louis Pelletier, pénaliste auprès de la Cour d’appel de Paris, plus connu du grand public pour avoir défendu quelques illustres clients, à commencer par Jacques Mesrine.
Anne BourgesL’École de formation des avocats centre sud (EFACS) réunissait, à Cusset, le bâtonnier moulinois Jean-Louis Deschamps et Me Jean-Louis Pelletier, avocat auprès de la Cour d’appel de Paris. Une occasion en or pour évoquer l’état de la justice française.

n Si je vous dis réforme de l’instruction ? Je suis très partagé. Le juge d’instruction est une institution consacrée en France. Beaucoup de problèmes sont liés aux personnalités, plus qu’à l’institution. Quand on instruit à charge et à décharge, on peut arriver à l’audience avec beaucoup d’objectivité.

Cela dit, l’institution tourne. Nous rêvons tous d’une procédure à l’anglo-saxonne. Nous sommes nombreux à penser qu’une procédure accusatoire devrait remplacer la procédure inquisitoire actuelle [?] Mais de là à inverser les m’urs et les procédures ; avec des moyens que nous n’avons pas? Je ne pense pas que nous soyons prêts à adopter ces modalités. On voit mal comment nous pourrions prendre en charge un client de bout en bout dans son combat contre l’accusation et la défense.

n Votre position au final ? Je considère que l’institution actuelle, lorsqu’elle fonctionne normalement, est une bonne institution. Il y a encore des gens qui sont acquittés et des non-lieux à l’instruction.

n La réforme de la carte judiciaire ? Elle me paraît souhaitable telle qu’elle est annoncée, même si c’est un peu embêtant pour les professionnels des petites juridictions. Il faut regarder à deux fois pour ne pas supprimer des juridictions utiles. Prenons l’exemple de Mende, en Lozère : le justiciable serait pénalisé s’il devait être englobé avec Nîmes. Tous n’auront pas les moyens de se déplacer. Il y a une question d’accès à la justice.

n Les peines plancher ? On est absolument contre ! La loi est passée. On subit. On voit le résultat dans les flagrants délits sur Paris : même les magistrats qui sont en charge d’appliquer la loi essayent de la contourner? Même de la violer. J’ai vu des magistrats très gênés.

Pour un avocat, il est consternant de savoir que l’on ne pourra pas descendre au-dessous d’un certain seuil, quelle que soit la qualité du prévenu et de ses moyens de défense.

n L’histoire de Jacques Mesrine, revisitée dans un film 30 ans après sa mort ? Il a été votre client de 1974 jusqu’à son évasion, après son procès de mai 1977. Je n’ai pas vu le film.

Mais j’ai été séduit par Vincent Cassel. Je le voyais bien dans le rôle.

Et on dit Mesrine! [prononcez Mérine, ndlr.]

Je ne renie rien, mais, à l’époque, je n’ai pas perçu l’impact que tout cela allait avoir, et que cela a encore. Il y a surtout eu beaucoup d’impact par ce qu’il est devenu.

Moi, j’ai toute une histoire avec lui, mais qui s’est interrompue le jour de son évasion. Et il a eu la correction de ne pas m’appeler pendant sa cavale [?]. Son assassinat était pour moi l’aboutissement inéluctable.

Mais Jacques Mesrine n’a été qu’une étape dans une vie professionnelle où je n’ai pas plaidé que ça ! J’aimerais d’abord être connu comme un « défenseur ». Après, bien sûr, être un défenseur de causes célèbres, ce n’est pas plus mal.

Loi contre la récidive, réforme de la carte judiciaire, justice pénale des mineurs, rétention de sûreté…

APPLIQUÉ

La récidive. En août 2007, la loi sur la récidive entrait en vigueur, avec les fameuses peines-plancher : elle crée des peines minimales pour les récidivistes, élargit les exceptions à l’application de l’excuse de minorité pour les mineurs de 16 à 18 ans et généralise l’injonction de soins.

EN COURS

> La carte judiciaire. Nicolas Sarkozy avait évoqué « une cour d’appel par région, un tribunal de grande instance par département, moins de tribunaux d’instance, mais des tribunaux plus importants ».

La réforme de la carte judiciaire est en cours. Avec des objectifs moindres. Mais déjà, faute de concertation, elle passe très mal auprès des avocats et magistrats. Ainsi, « au 1er janvier 2011, ce sont 862 juridictions (contre 1 190 avant) qui assureront le service public de la Justice », a affirmé Rachida Dati.

> Le projet de loi pénitentiaire. Actuellement en discussion au Parlement. Les surveillants de prison ont entamé, lundi, un bras de fer avec Rachida Dati, dénonçant leurs conditions de travail et la surpopulation carcérale.

> La réforme de la justice pénale des mineurs. Rachida Dati a présenté, le 16 mars, les grandes lignes du projet fondé sur les conclusions du rapport Vérinard, remis en décembre : il revient sur l’âge de la responsabilité pénale, la réforme des sanctions…

CENSURE PARTIELLE

> La rétention de sûreté. Suite à l’affaire du petit Enis – enlevé à Roubaix par le récidiviste Francis Evrard -, Nicolas Sarkozy annonce la création de la rétention de sûreté pour les délinquants sexuels jugés dangereux à leur sortie de prison.

Malgré la polémique autour de ce que certains appellent la « double peine », la loi a été adoptée le 25 février 2008.

Mais le Conseil constitutionnel l’a censurée partiellement : les détenus condamnés pour des faits commis avant 2008 ne pourront être placés, à la fin de leur peine, dans un centre « socio-médico-judiciaire ». Ils seront d’abord libérés et placés sous « surveillance de sûreté ». C’est seulement s’ils ne respectent pas ces obligations qu’ils pourront être placés en rétention de sûreté. Le chef de l’État a essayé, en vain, de passer outre la décision du Conseil constitutionnel.

Le premier centre de rétention de sûreté a été ouvert à Fresnes en octobre 2008. •

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« Il démantèle le service public de la justice »

Me NICOLAS PASINA, 34 ans, avocat au barreau de Saint-Dié

Batonnier de l’ordre des avocats du barreau de Saint-Dié (Vosges), M e Nicolas Pasina ne goûte guère la politique judiciaire du président de la République : « On assiste à un véritable démantèlement du service public de la justice. Avec la réforme de la carte judiciaire par exemple, la logique de rentabilité a pris le pas, dénonce celui dont le tribunal va être rayé de la carte.

La méthode employée dans ce dossier a également péché : le manque de concertation a été manifeste. » Pour autant, son courroux ne se limite pas à cette réforme. « La présidence de Nicolas Sarkozy est pour l’instant marquée par un net recul des libertés individuelles, juge le jeune avocat. On l’a vu avec l’instauration des peines planchers, la loi sur la rétention de sûreté ou la suppression annoncée du juge d’instruction sans indépendance du parquet en contrepartie. »
Question style, l’avocat estime en outre que « l’omniprésidence » Sarkozy « ne grandit pas la fonction institutionnelle ». « Il devrait prendre davantage de hauteur, considère le pénaliste. Par exemple, à chaque fait divers, le président exige une loi. La France a besoin de réformes, certes, mais elles ne doivent pas être guidées par l’émotion. »

Laurence de Charette

Les justiciables pourront bientôt se plaindre d’un juge directement auprèsdu Conseil supérieur de la magistrature.

La responsabilité des magistrats sera bientôt accrue : Nicolas Sarkozy a annoncé mardi qu’un texte, répondant à ce credo qu’il a maintes fois défendu, devrait être présenté dans les prochaines semaines.

Alors que le Conseil su­périeur de la magistrature (CSM) s’apprête à rendre sa décision sur l’avenir du juge Fabrice Burgaud, le magistrat instructeur de l’affaire d’Outreau, le président de la République a déclaré qu’il ne «laisserait pas des affaires comme Outreau sans réponse». Une manière, sans doute, d’afficher sa détermination alors que les sages, eux, ont eu besoin d’un mois de plus que prévu pour déterminer si le jeune juge d’instruction peut ou non être sanctionné.
«Qualification disciplinaire»

Ces nouveaux textes, dont Le Figaro a pris connaissance, prévoient deux changements majeurs dans l’organisation de la justice. Ils permettront aux justiciables qui s’estiment lésés par leur juge de saisir eux-mêmes le Conseil supérieur de la magistrature, et réforment la composition du CSM lui-même.

Ces deux lois organiques sont en réalité la déclinaison de la réforme constitutionnelle votée l’an dernier à Versailles. Le projet de loi organique relatif au statut de la magistrature prévoit que «tout justiciable, qui estime, qu’à l’occasion d’une procédure judiciaire le concernant, le comportement adopté par un magistrat (…) dans l’exercice de ses fonctions est susceptible de recevoir une qualification disciplinaire, peut, lorsque le magistrat visé n’est plus saisi de la procédure, saisir le Conseil supérieur de la magistrature».

Les plaintes des justiciables seront étudiées et «filtrées» par deux sections au sein du CSM, l’une pour les juges du siège, l’autre pour les juges du parquet. C’est bien le comportement du magistrat qui est visé par le texte, et non la décision de justice elle-même, qui ne peut être contestée que devant la juridiction d’appel.

Au nom de l’indépendance des magistrats, le Conseil constitutionnel a en effet déjà retoqué un texte de loi présenté par Pascal Clément, le prédécesseur de Rachida Dati à la Chancellerie, tentant d’élargir la définition de responsabilité disciplinaire.

Recours à la saisine

Le nouveau texte organique joue cette fois sur la saisine : alors que seuls le garde des Sceaux et la haute hiérarchie pouvaient jusqu’à présent transmettre un dossier litigieux à la haute instance disciplinaire, cette possibilité est ouverte aux justiciables. Dans la magistrature, beaucoup craignent que cette nouvelle procédure soit utilisée par certains pour déstabiliser les juges.

Le projet de loi organique relatif à la réforme du CSM ne touche lui pas directement les justiciables, mais il bouleverse les rapports de force entre la magistrature et le pouvoir politique – en faveur de ce dernier. Soupçonné de corporatisme, le CSM ne sera plus composé exclusivement de magistrats : les personnalités extérieures y de­viendront majoritaires. Les élus syndicaux sont écartés de la formation plénière – celle qui donne le la – au profit de la haute hiérarchie, ce qui suscite de vives protestations du syndicat majoritaire, l’USM

par Florence Audier
À quoi aboutira la suppression du juge d’instruction, annoncée avec tambours et trompettes par le gouvernement dans le sillage de l’affaire d’Outreau ? Selon Florence Audier, à reconstituer l’instruction à l’identique – l’indépendance en moins.
La réforme de la justice n’est pas un long fleuve tranquille, surtout depuis 2007. De rebondissement en rebondissement, c’est vers une transformation radicale du système judiciaire qu’on s’achemine à marche forcée. Là-dessus, beaucoup, et même l’essentiel a déjà été dit et écrit pour prendre la défense de la séparation des pouvoirs, de l’accès à une justice équitable, de l’égalité des citoyens quelle que soit sa fortune, du droit à saisir les tribunaux, du statut et de la déontologie des magistrats dans notre société et de leur capacité à mener des enquêtes indépendantes. L’indépendance est toujours à conquérir et à préserver.

Dans ce bref texte, nous voudrions simplement mettre en évidence quelques éléments moins souvent évoqués, mais qui nous semblent aussi éclairer le zèle dont font preuve l’Elysée, la garde des sceaux et le parti majoritaire, pour réformer la magistrature. Quelques éléments qui montrent aussi ce à quoi pourrait aboutir la suppression des juges d’instruction en faveur du parquet : à reconstituer l’instruction à l’identique, l’indépendance en moins.
La défiance envers la fonction publique

Tout d’abord on peut remarquer que cette présidence marque l’irruption à la tête de l’Etat et des grands ministères d’un très grand nombre de membres de professions libérales et spécialement d’avocats, surtout des avocats « d’affaires ». Ceux qui ne l’étaient pas se sont parfois efforcés de le devenir au plus vite, comme pour gagner en légitimité. « Moins d’ENA, moins d’État » était leur slogan, implicitement complété par : « vive les professions libérales, vive les avocats ». Cette défiance vis-à-vis de la fonction publique et de ce que certains appellent le « doux oreiller du fonctionnariat » [1], qui se traduit entre autres, dans la plupart des domaines, par des restrictions en termes de ressources et d’emplois, a des échos directs dans la justice : après tout, les magistrats sont des fonctionnaires de l’État, ils sont recrutés par concours et affectés dans les juridictions selon des règles strictes, écrites et connues, ils bénéficient d’un statut, et l’École qui les professionnalise se voulait, lors de sa création, l’équivalent de l’ENA [2] ! Manifestement, certains ne se sont pas encore résolus à la professionnalisation de la magistrature, somme toute récente puisqu’elle ne date que de 1958 – les juges d’instructions sont nés en même temps – et qu’elle associe de façon indissoluble statut, formation et recrutement, en vue d’accomplir une de ses missions fondamentales : la garantie des libertés individuelles.
Les critères d’évaluation étriqués et contre-productifs

Cette défiance à l’égard de la fonction publique a également des échos dans la façon dont le travail des magistrats est traité et évalué – certains disent dévalué. Car des indicateurs de performance ont pénétré largement l’univers des tribunaux qui entrent, comme toutes les activités, dans la sphère d’application de la « révision générale des politiques publiques » : stocks d’affaires à traiter et délais de résorption, nombre de dossiers par magistrat etc., bref une foule d’indicateurs quantitatifs (une soixantaine), alimentant des statistiques qui, à leur tour, conditionneront les budgets et, plus généralement, les moyens des juridictions, via notamment des « contrats de progrès ». La structure hiérarchique du judiciaire semble ainsi de plus en plus perçue comme une structure de contrôle et d’allocation des moyens. D’où un malaise persistant chez les magistrats de toutes les juridictions qui perçoivent douloureusement l’obligation d’avoir à river l’œil sur des « tableaux de bords » et des « remontées parquet ». Car c’est évidemment le parquet, qui reçoit toutes les affaires et les oriente, c’est-à-dire qui décide quelle suite leur donner (poursuite ou « sans suite »), qui supporte l’essentiel des contrôles. Avec un double objectif : faire en sorte que davantage d’affaires reçoivent une solution judiciaire, sous la forme d’un jugement ou d’une alternative aux poursuites, procéder de telle sorte que la réponse judiciaire intervienne rapidement, gage de son efficacité, par exemple via les « jugements en temps réel », et ce dans le respect strict de la politique pénale définie par la Chancellerie.
Une unité de la magistrature considérée comme gênante

Rappelons que la magistrature est constituée de deux grandes branches qui concourent ensemble à l’exercice de la justice, le siège et le parquet. Le siège (ou magistrature « assise » lors des procès) est composé de juges, qui peuvent être en charge de missions généralistes ou spécialisées : juges d’instance, juges des enfants, juges de l’application des peines, juges des affaires familiales etc. Parmi eux, les juges d’instruction, qui sont des magistrats du siège en charge de missions d’enquête. Le parquet (dont les représentants requièrent debout lors des audiences) – ils prennent le nom de procureur ou de substituts du procureur – est en charge de l’opportunité des poursuites, de la direction de la police judiciaire et de la gendarmerie lors des enquêtes, ainsi que des réquisitions lors des procès, au titre du ministère public.

Jusqu’à présent, les magistrats peuvent alternativement appartenir à l’une ou l’autre – sous certaines conditions – au cours de leur carrière, le statut des magistrats étant commun à tous. Toutefois, le positionnement du siège et du parquet vis-à-vis du pouvoir exécutif est différent : alors que le siège bénéficie d’une totale indépendance et inamovibilité, qui lui est garantie par la Constitution, le parquet est soumis à des obligations de mobilité et s’inscrit dans une ligne hiérarchique dont le sommet est la Chancellerie.

À lire les prises de position des uns et des autres, ainsi que les déclarations des associations professionnelles, les parquetiers sont résolument hostiles à une dissociation voire séparation du siège et du parquet, soutenus en cela par les organisations syndicales de magistrats. L’unité de la magistrature, c’est-à-dire le fait qu’un statut commun régisse tous les magistrats de notre pays, est donc périodiquement mise en question. Et si l’offensive contre l’unicité du siège et du parquet ne date pas d’hier, rappelons qu’elle a repris une nouvelle actualité à la suite de l’affaire d’Outreau (bien que la commission parlementaire, après de longs débats, ait décidé de ne pas recommander cette séparation). Ainsi, lors de son audition devant la commission d’enquête parlementaire, le premier président de la Cour de Cassation, M. Guy Canivet, a proposé de séparer nettement les procureurs des juges, affirmant que la situation actuelle « brouille l’idée d’une justice impartiale et place la défense en déséquilibre ». Mettant en question le fait que les juges et les parquetiers soient formés ensemble et que les magistrats puissent passer d’un rôle à l’autre en cours de carrière, il propose « une nette séparation des hommes, des structures, des administrations et des moyens budgétaires ». De même, la Conférence des Premiers Présidents de Cours d’appel, au nom de l’indépendance de la justice et en raison du fait que le parquet constitue l’une des parties au procès, s’est déclarée favorable à cette séparation. Au contraire, les magistrats du parquet s’affirment très généralement hostiles à toute initiative de ce type, et le procureur général près la Cour de Cassation, Jean-Louis Nadal, s’en est fait l’écho en s’exprimant clairement à ce sujet.

C’est dans ce contexte qu’intervient l’annonce présidentielle sur la suppression des juges d’instruction, pour confier l’ensemble de la phase de pré-jugement ou d’enquête au seul parquet, et c’est donc évidemment dans ce contexte qu’il faut tenter de l’évaluer.
Enquêtes et jugements

Dans la quasi-totalité des cas (96%), la première phase, celle de l’enquête, est sous la responsabilité exclusive du parquet, qui dirige la police et la gendarmerie dévolues au judicaire. Et c’est seulement dans les quatre autres pourcents des cas qu’intervient l’instruction, lorsque les parquets la saisissent [3] et sur des objets très précis – la saisine du parquet n’intervient que dans les affaires criminelles qui doivent déboucher aux Assises, ainsi que dans les affaires délicates, difficiles à démêler, qui nécessitent des investigations particulièrement longues, complexes et approfondies, mettant souvent en jeu des méthodes d’investigation et de coercitions inhabituelles. À quoi s’ajoute un autre motif à ne pas négliger : l’instruction peut également être déclenchée par recours des parties civiles, ce qui oblige à poursuivre, alors même que le parquet n’en aurait pas eu l’intention.
Quelques ordres de grandeur

En 2007, les parquets ont eu à traiter près de 5 millions d’affaires au pénal, dont 70% n’étaient pas poursuivables (auteur inconnu, raisons juridiques etc.). Parmi les affaires poursuivables (1 483 549), 1/3 ont fait l’objet d’une procédure d’alternative aux poursuites « réussie », mettant ainsi fin à la procédure, et 4% d’une composition pénale réussie. Compte-tenu du fait que 16,3% des procédures pénales ont fait l’objet d’un classement sans suite, on estime à environ la moitié des affaires poursuivables celles qui ont été effectivement poursuivies devant les tribunaux (692 459 affaires).

Dans ce dernier cas, différentes orientations des dossiers sont possibles, décidées par le parquet : convocations pour jugement par Officiers de Police Judiciaire, par Procès Verbal etc. ou Comparution immédiate, etc. ; et divers types de juridictions peuvent être saisies : tribunaux de police, des enfants, correctionnelle, etc. Dans cette variété de choix, la saisine d’un juge d’instruction pour enquêter « à charge et à décharge » ne concerne, finalement, qu’une infime minorité de cas (en 2007, 28 279 affaires). Évidemment, lorsqu’il n’y a pas de saisine de l’instruction, la phase d’enquête revient exclusivement au parquet. Mais son rôle va bien au-delà : depuis la mise en œuvre des procédures d’alternatives aux poursuites et de la composition pénale, le parquet fixe même les condamnations, intervenant ainsi directement dans la phase de jugement, ce qui évite aux personnes concernées de comparaître devant le tribunal. Beaucoup de parquetiers considèrent que c’est précisément leur appartenance pleine et entière à la magistrature, qui les conduit éventuellement à exercer les différentes fonctions du siège et du parquet, qui rend légitime et acceptable leur jugement.
Les juges d’instruction

Pour exercer les missions spécifiques d’investigation qui leur sont confiées par les procureurs, les juges d’instruction et les vice-présidents chargés de l’instruction sont peu nombreux : autour de 600. Comme les autres magistrats, ils sont, jusqu’à présent, répartis dans les différents ressorts de Cour d’Appel, avec néanmoins une spécificité à laquelle l’antépénultième réforme avait tenté de répondre en créant des pôles de l’instruction [4] : un très fort isolement. Car nombreux sont les TGI qui ne possèdent qu’un seul juge d’instruction (ils sont 68 dans ce cas et plus du quart des effectifs exercent dans les ressorts de Paris ou de Versailles), dont une majorité de vice-présidents, c’est-à-dire de magistrats expérimentés.

Ces fonctions exercent en effet une grande attractivité. Ainsi, par exemple, ce sont les premiers dans le classement de sortie de l’ENM qui choisissent les quelques postes de juges d’instruction qui leur sont offerts (une centaine seulement sur quatre ans, soit en moyenne 10% des postes), en dépit de localisations parfois peu attrayantes. C’est ce qui a été constaté lors des choix de postes des promotions sorties en 2002 à 2006 : près des 3/4 des postes de juges d’instruction sont revenus à des jeunes sortis parmi les 100 premiers du classement, 20% des postes de juges d’instruction ont été choisis et attribués à des jeunes magistrats classés dans les vingt premiers. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard qu’ils sont devenus juges d’instruction : 58% d’entre eux avaient un projet précis concernant les fonctions souhaitées dès leur entrée à l’ENM (contre seulement 46% en moyenne), parmi lesquelles figurait en bonne place l’instruction. Autre exemple d’attractivité : ce sont les juges d’instruction qui sont les plus nombreux à se déclarer satisfaits de leur premier poste (93% contre 84% en moyenne). Dès lors, ils demandent le moins fréquemment à changer de fonctions, même si la localisation de leur lieu d’exercice leur convient peu. Le fait qu’ils aient à « rechercher la vérité » dans des affaires longues et complexe à traiter joue probablement comme un frein à la mobilité : on ne lâche sans doute pas volontiers une affaire en cours d’instruction, mais ce n’est qu’un élément parmi d’autres. On pourrait donner d’autres exemples, comme l’attraction exercée par les postes de l’instruction qui se libèrent si l’on en croit la fréquence de demandes, émanant en particulier de magistrats du parquet.
Le parquet pourrait-il assumer l’instruction ?

L’instruction constitue incontestablement une fonction attractive pour les magistrats. Qu’en est-il du parquet qui, selon le Président de la République, serait mieux à même d’exercer les responsabilités actuellement dévolues aux juges d’instruction ? Pour en discuter, il nous faut entrer dans le détail.

Tout d’abord, les parquetiers sont nettement plus nombreux que les juges d’instruction, à peu près le quart des postes de magistrats en juridiction. De surcroît, près de la moitié des postes offerts à la sortie de l’ENM sont des postes au parquet, bien qu’une partie non négligeable des jeunes magistrats nommés substituts n’aient pas véritablement choisi cette fonction. Plus précisément, c’est plutôt du groupe important des jeunes magistrats qui n’avaient pas fixé a priori leur choix de fonctions que les parquetiers sont issus ; auxquels s’ajoutent ceux qui n’avaient plus le choix, les postes étant attribués, jusqu’à présent, par ordre de rang de sortie. Pour autant, les substituts, une fois en poste, semblent y prendre intérêt, puisqu’ils cherchent à la fois à changer de localisation, mais sans renoncer le plus souvent à leur attache au parquet.

Pourtant, la vie des parquetiers est difficile. En effet, ils travaillent dans de très petites unités : on sait peu que si l’on se base sur les effectifs réels (et non théoriques, en raison de l’abondance des postes non pourvus), près de la moitié des TGI (Tribunaux de Grande Instance) ont seulement entre 2 et 4 parquetiers, 80% des TGI moins de 10 parquetiers ! Ensuite, il faut se remémorer le fait que leur fonction, qui n’a cessé de s’étendre dans les années récentes, recouvre à la fois des responsabilités juridictionnelles, relationnelles et d’organisation/management.

Dans les plus petites unités, où il n’est pas possible d’instaurer un minimum de division du travail, le procureur de la République et ses quelques substituts doivent assumer toutes ces fonctions, avec toujours évidemment une priorité au juridictionnel, qui rythme le temps – en raison des permanences à assumer et des contraintes liées aux comparutions immédiates – et détermine l’ampleur des interstices dans lesquels les autres tâches peuvent s’accomplir (relations avec le parquet général, avec les autorités publiques et les medias, organisation de la juridiction avec le siège, administration du parquet etc., sans oublier la formation des jeunes magistrats). Rappelons que l’efficacité du parquet et de son chef, le procureur de la République, sera jugée à l’aune des indicateurs qui remonteront du parquet, notamment de sa célérité à traiter des affaires.

D’où la question suivante : Comment les parquetiers feraient-il plus et différemment dans des affaires longues et sensibles ? Peut-on raisonnablement penser qu’il y aurait compatibilité entre la recherche de la vérité dans des affaires graves, délicates, demandant des investigations hors du commun, et, précisément, le commun du travail des parquets ?

Risquons-nous à un scénario, somme toute probable si l’annonce du Président se concrétise. Le nombre des affaires actuellement confiées aux juges d’instruction – déjà en forte diminution – continuerait de décliner, notamment le nombre des affaires sensibles. Et ce d’autant plus qu’on ne voit pas clairement quel serait le devenir des poursuites avec constitution de partie civile, qui pourraient disparaître dans la tourmente.

Pour celles qui subsisteraient – notamment les crimes – il est difficile d’imaginer que les parquetiers qui traitent les affaires courantes se voient aussi confier leur élucidation, bref, qu’elles échoient aux substituts, ne serait-ce qu’en raison des obligations de mobilité statutaires qui frappent les parquetiers, et qui les obligeraient à transférer de magistrat en magistrat une même affaire, sans pouvoir la traiter jusqu’au bout. D’où l’hypothèse d’une reconstitution subreptice d’une fonction identique à celle du juge d’instruction, mais logée au parquet – c’est-à-dire sous contrôle hiérarchique – et non plus au siège – et ses conditions d’indépendance. Avec toutes les conséquences afférentes à ce changement, concernant à la fois la nature des affaires et les conditions de leur investigation.

par Florence Audier [31-03-2009]
Aller plus loin

– F. Audier et M. Bacache, « Carrières dans la fonction publique : le cas des procureurs de la République », Économie et Sociétés, janvier 2009.

– F. Audier, M. Bacache-Beauvallet, E.G. Mathias, J.-L. Outin et M. Tabariés, rapport au GIP Droit et justice, Juin 2007, Le métier de procureur de la République, ou le paradoxe du parquetier moderne.
Notes

[1] A. Perez dans Les Échos du 08/01/09, à propos de la recherche scientifique.

[2] Il y a 50 ans, la publication de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant statut de la magistrature, instituait le Centre national d’études judiciaires, devenu Ecole Nationale de la Magistrature depuis 1970 seulement.

[3] L’instruction ne peut pas s’autosaisir ; un juge d’instruction, contrairement au parquet, ne choisit pas ses dossiers.

[4] La commission parlementaire en charge de l’affaire d’Outreau a aussi décidé, à l’unanimité, de ne pas recommander la suppression du juge d’instruction, soutenant au contraire l’idée – reprise ensuite par le Garde des Sceaux de l’époque – de créer des « pôles de l’instruction ».

Laurence de Charette et Stéphane Durand-Souffland

Les errements des procès Ferrara et Colonna et la suppression annoncée du juge d’instruction impliquent une refonte des audiences criminelles.

Après la réforme de l’instruction, celle des assises. Dès la semaine prochaine, la commission dirigée par Philippe Léger et chargée par le président la République de réfléchir à l’ensemble de la procédure pénale, s’attaque à ce nouveau chantier. D’abord parce que la suppression annoncée du juge d’instruction implique une réforme des audiences criminelles. Ensuite parce que les errements des procès Ferrara et Colonna ont relancé le débat sur le bon fonctionnement des assises.

Cour d'assises au moment du procès en appel d'Yvan Colonna. Les errements de ce procès, ainsi que de celui de Ferrara, ont relancé le débat sur le bon fonctionnement des assises.
Cour d’assises au moment du procès en appel d’Yvan Colonna. Les errements de ce procès, ainsi que de celui de Ferrara, ont relancé le débat sur le bon fonctionnement des assises. Crédits photo : Le Figaro

Au sein de la commission Léger, Philippe Lemaire, procureur de Lille, et Me Gilles-Jean Portejoie, ont été chargés de plancher en amont sur la question. L’avocat a déjà une position bien établie : il milite pour la suppression de l’«intime conviction» car, explique-t-il, «je préfère la raison à la conviction» et estime que le jury populaire devrait motiver sa décision. «L’absence de motivation est un problème pour tout le monde, renchérit Me Thierry Herzog, également membre de la commission. Y compris pour la personne condamnée, en cas d’appel.» Actuellement, les jurés délibèrent en compagnie du président et de ses deux assesseurs. Ils répondent à des questions, mais sans motiver l’arrêt établi en commun. Les deux avocats plaident aussi pour la délocalisation systématique des appels : souvent très médiatisés, marquant l’opinion, l’émotion y est trop lourde si le procès ne s’éloigne pas du lieu où les faits ont été commis, estiment-ils.

Un président arbitre

Parmi les idées que la commission Léger devra étudier : le projet de permettre aux parties civiles de récuser tel ou tel juré lors du tirage au sort – privilège réservé à la défense et au ministère public.

La suppression du juge d’instruction devrait par ailleurs engendrer un changement important de positionnement du président d’assises qui pourrait à l’avenir, comme dans le système accusatoire à l’anglo-saxonne, tenir le rôle d’un arbitre, à égale distance de l’accusation, menée par le parquet-enquêteur, et la défense. La question se pose alors de sa présence au moment du délibéré.

Le rôle du président est, il est vrai, considérable. Il décide du calendrier de l’audience, fixe l’ordre de passage des témoins comme des experts qu’il interroge en premier, donnant ainsi le «tempo» des questions qui seront posées par la suite. Son pouvoir discrétionnaire lui permet, notamment, d’entendre qui bon lui semble à tout moment. Il est aussi un acteur essentiel du délibéré, les jurés, forcément novices, attendant des trois magistrats professionnels qu’ils les éclairent.

«Encore plus exemplaires»

Bernard Fayolle, qui exerça longtemps aux assises des Bouches-du-Rhône et reste une référence, propose une définition tout en finesse de l’impartialité : «Cela ne signifie pas qu’on n’a pas une opinion, mais qu’on est prêt à en changer. Le plus difficile est de trouver la bonne distance entre les jurés, la victime et l’accusé.»

«Il serait temps que le président devienne arbitre, s’exclame Me Éric Dupond-Moretti, l’un des plus grands pénalistes. L’un d’eux me confiait un jour qu’un magistrat anglais, venu faire un stage en France, lui avait demandé : “A quoi sert l’avocat général, il y a déjà le président ?” Le bon président, c’est celui dont on est incapable de deviner l’opinion au bout de trois semaines de débats. Il est rare…»

L’avocat général Philippe Bilger n’est pas opposé à une telle révolution. «Plutôt un président arbitre qu’un président omnipotent, analyse-t-il. Mais cela ne rendra plus facile le choix de magistrats qui devront être encore plus exemplaires, car le moindre soupçon de partialité serait encore plus catastrophique. Il ne faut pas improviser cette réforme : on n’instille pas impunément de l’accusatoire dans un système inquisitoire.»

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Une majorité de Français fait confiance aux juges d’instruction et estiment que leur suppression “va entraîner un contrôle du pouvoir politique sur les enquêtes les plus sensibles”.

Les Français pensent que la suppression du juge d’instruction “va entraîner un contrôle du pouvoir politique sur les enquêtes les plus sensibles”  (Sipa)

Les Français pensent que la suppression du juge d’instruction “va entraîner un contrôle du pouvoir politique sur les enquêtes les plus sensibles”  (Sipa)
Un sondage CSA publié, vendredi 27 mars, montre qu’une majorité de Français (71%) fait confiance aux juges d’instruction. 55% d’entre eux estiment que leur suppression “est une mauvaise chose car la loi va entraîner un contrôle du pouvoir politique sur les enquêtes les plus sensibles”.
Ce sondage de l’institut CSA pour LCP-Assemblée nationale et Planète justice sur “les Français, les juges d’instruction et la réforme de la Justice” à l’occasion d’une émission spéciale “Le juge d’instruction en question” diffusée sur les deux chaînes à partir de samedi, classe les attentes des Français à l’égard des juges. Les Français les jugent en premier compétents (59%), puis indépendants du pouvoir politique (45%) et efficaces pour chercher les preuves de culpabilité (39%).

Un nouveau “juge de l’instruction”

Au début du mois, la ministre de la Justice Rachida Dati s’est vue transmettre un pré-rapport du comité de réflexion sur la réforme pénale, incluant la suppression du juge d’instruction, comme le lui avait demandé le 7 janvier le président Nicolas Sarkozy. Le chef de l’Etat s’était prononcé pour la suppression de cette fonction au profit d’un nouveau “juge de l’instruction” qui ne dirigerait plus les enquêtes mais en contrôlerait le déroulement.

Ce sondage a été réalisé par téléphone les 11 et 12 mars auprès d’un échantillon de 1.002 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus (méthode des quotas

LEMONDE.FR avec AFP, Reuters

Les magistrats, avocats, éducateurs, greffiers, policiers ou encore psychiatres, membres du collectif “des Etats généraux de la justice pénale”, réunis samedi 21 mars à l’Assemblée nationale, se sont notamment inquiétés de la réforme judiciaire qui prévoit la suppression du juge d’instruction. Les quelque 200 participants ont estimé “qu’il ne peut y avoir de réforme acceptable de la procédure pénale sans indépendance de l’autorité d’enquête”,

“Le projet de supprimer le juge d’instruction pour confier toutes les enquêtes à un parquet hiérarchisé et dépendant de l’exécutif”, prévu dans un pré-rapport du comité Léger pour une réforme pénale, “modifierait en profondeur notre régime procédural alors que les nombreuses réformes législatives que le parlement a adoptées ces derniers mois ne sont pour la plupart pas évaluées et pour certaines pas même en application”, constate le collectif, qui compte dans ses rangs l’ancienne juge d’instruction Eva Joly, le juge d’instruction espagnol Baltazar Garzon ou encore l’ancien garde des sceaux Robert Badinter.

M. Badinter, qui signait samedi un point de vue sur ce thème dans Le Monde, est intervenu lors de cette rencontre. “Si nous devons avoir toute la procédure d’enquête entre les mains du parquet, assisté de la police judiciaire, tel qu’est aujourd’hui le rapport des magistrats du parquet au regard du pouvoir politique, ce n’est pas admissible”, a déclaré l’ancien ministre. “Ce ne sera pas un progrès, ce sera une emprise beaucoup plus grande du pouvoir politique sur la marche des affaires individuelles”.

“AGGRAVATION DE RÉFORMES SANS RÉFLEXION PRÉALABLE”

A ses yeux, pour que le juge d’instruction disparaisse au profit d’un nouveau “juge de l’instruction et des libertés”, comme le prévoit le rapport Léger, il faut un certain nombre de conditions : que la nomination et la discipline des membres du parquet soient les mêmes que pour les magistrats indépendants du siège, que la police judiciaire soit rattachée au parquet et non au ministère de l’intérieur et que l’avocat ait accès au dossier à tous les stades de l’enquête.

En plus de la procédure pénale, les participants au “Etats généraux” ont planché sur d’autres thèmes, comme la justice des mineurs, la détention, les modèles judiciaire européens et le problème de la responsabilité pénale et de la maladie mentale. Globalement, ils ont noté “une aggravation du repli sécuritaire et de l’insécurité juridique” et une “aggravation de réformes sans réflexion préalable ni évaluation rend la justice pénale incompréhensible”, notamment en matière de droits des mineurs et sur la “criminalisation de la maladie mentale”. Le monde de la justice présent lors de cette réunion publique appelle également les Français à “participer à l’élaboration d’une ‘charte des principes intangibles’ garantissant une justice pénale indépendante et impartiale lors d’un grand rassemblement national le 20 juin 2009 à Paris”.