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A travers l’assassinat du petit Philippe Bertrand par Patrick Henry en 1976, retour sur l’un des tout premiers grands procès qui conduisirent la France à l’abolition de la peine de mort en 1981
Publié par francis à l’adresse 14:27

(AFP) –

PARIS — La Cour de cassation a rejeté les pourvois formés par le général Pierre Haubois et la banque Sofipriv dans le cadre de l’affaire Lipsky, rendant définitives leurs condamnations respectives à 3 ans de prison ferme et 3 millions d’euros d’amende, a-t-on appris jeudi auprès la plus autorité judiciaire.

Le début de cette affaire de faux placements remonte à près de 25 ans. Claude Lipsky, un homme d’affaires franco-israélien, avait lancé entre 1986 et 1999 des souscriptions auprès de 430 militaires français basés principalement à Dakar et Djibouti, auxquels il faisait miroiter des placements immobiliers à taux alléchants grâce à un “logiciel miracle”, capable d’analyser les flux boursiers à long terme.

Au total, quelque 30 millions d’euros ainsi placés s’étaient évaporés, selon les plaignants.

L’escroc s’était appuyé sur une banque suisse, la Sofipriv, lui garantissant une couverture prestigieuse auprès de ses clients, et deux hauts gradés de l’armée comme caution morale.

En juillet 2007, en première instance, Lipsky avait été condamné à 5 ans de prison et 375.000 euros d’amende, le général Hautbois à 3 ans de prison, dont 30 mois ferme, et à une amende de 150.000 euros et la banque suisse Sofipriv à une amende de 700.000 euros.

Lipsky avait créé un coup de théâtre en renonçant à son appel lors de l’ouverture du procès en appel le 15 septembre 2008 à Versailles. Sa condamnation était alors devenue définitive.

A la suite du mandat de dépôt décerné à son encontre, il a depuis été interpellé et écroué.

Le général Haubois et la Sofipriv avaient de leur côté vu leurs peines aggravées en appel. Le premier avait écopé de cinq ans de prison, dont deux avec sursis, et la seconde à 3 millions d’euros d’amende pour complicité d’escroquerie.

Le général et la banque, devenue Société bancaire privée, s’étaient alors pourvus en cassation. C’est ce pourvoi qui a été rejeté mercredi (BIEN mercredi) par la chambre criminelle de la Cour de cassation.

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Critique

LE MONDE DES LIVRES | 21.01.10 | 12h25  •  Mis à jour le 21.01.10 | 12h25

ans nul doute, ce livre a, dans l’esprit de son auteur, quelques résonances actuelles. Sans doute encore, l’avocat pénaliste Thierry Lévy, peu porté aux accommodements, l’a-t-il même écrit pour cela, lui qui participe à la défense des mis en examen pour le sabotage de lignes TGV, dans de l’affaire dite de Tarnac. On imagine volontiers sa gourmandise lorsqu’il écrit : “Le gouvernement crut qu’il se trouvait en face d’un vaste complot et que l’Internationale antiautoritaire, reconstituée en France, était en train de préparer un mouvement insurrectionnel généralisé.” Ou encore : “Sous la prévention d’association de malfaiteurs, on avait placé en détention 51 personnes arrêtées à Paris et dans la banlieue parisienne, pour la plupart anarchistes ou socialistes mais, faute de charges, deux seulement furent amenées devant le tribunal.”

Les faits évoqués ici, précisons-le, n’ont pas grand-chose à voir avec ceux qui sont reprochés dans l’affaire Tarnac. En effet, Me Lévy a choisi de s’attacher à quatre “propagandistes par le fait” de la fin du XIXe siècle : Caserio, qui poignarda le président Sadi Carnot, et les poseurs de bombes Ravachol, Auguste Vaillant, Emile Henry. Tous finirent sur l’échafaud. Mais c’est d’abord à leur démarche que s’intéresse l’avocat. Et aussi à leurs déclarations devant les cours d’assises. Pour eux, la société n’avait aucun titre à juger un individu. Surtout pas celle qui faisait donner l’armée contre les grévistes de Fourmies, en 1891, celle qui se livrait à des atrocités coloniales.

Le président de la cour d’assises : “Vous avez tendu cette main, que nous voyons aujourd’hui, couverte de sang.” Emile Henry : “Mes mains sont couvertes de sang comme votre robe rouge.” On sent l’auteur fasciné par ce face-à-face entre l’accusé et la cour. Un affrontement sans concessions ni formalisme sur la notion même de justice, et qui ne laisse d’ailleurs aucune marge d’existence aux avocats. “Ils ont engagé leur vie et celle des autres dans un pari risqué, mais ils ne se sont pas trompés en postulant que leur action n’amènerait pas une injustice plus grande que celle qu’ils combattaient”, écrit-il.

Captivé par les individualités, Thierry Lévy en oublie un peu l’essentiel. Au regard de l’histoire, et plus particulièrement de celle du mouvement anarchiste, l’action des propagandistes par le fait fut un lourd échec. Elle servira de prétexte aux fameuses “lois scélérates” de 1893-1894, déclenchant une terrible répression. Surtout, elle isolera les anarchistes, les coupant des luttes sociales dont ils étaient issus, les seules à pouvoir donner une légitimité à l’illégalisme comme moyen de combattre l’injustice. A ce titre, bien que se prévalant d’une lutte antiautoritaire, les propagandistes par le fait étaient porteurs d’une pratique autoritaire. Le théoricien libertaire Kropotkine (1842-1921) en tirera cette leçon : “Il faut être avec le peuple qui ne demande plus des actes isolés, mais des hommes d’action dans ses rangs.” Mais cette histoire-là est sans doute plus anonyme et moins glamour pour un grand avocat parisien.


PLUTÔT LA MORT QUE L’INJUSTICE. AU TEMPS DES PROCÈS ANARCHISTES de Thierry Lévy. Odile Jacob, 278 p., 23 €.

Caroline Monnot
Article paru dans l’édition du 22.01.10

Le tueur en série présumé Patrice Alègre patiente, le 21 février 2002 au tribunal de Toulouse.

(AFP) –

TOULOUSE — Les juges d’instruction chargés du meurtre d’une prostituée, Line Galbardi, dans un hôtel de Toulouse en 1992 ont rendu un non-lieu dans l’affaire pour laquelle le tueur en série Patrice Alègre était mis en examen depuis janvier 2000, a-t-on appris jeudi de source judiciaire.

C’est le dernier des cinq meurtres et d’un viol non élucidés pour lesquels Alègre avait été mis en examen, en dehors des crimes pour lesquels il a déjà été condamné en 2002, a précisé à l’AFP le procureur de la République de Toulouse Michel Valet.

“L’ordonnance des juges Serge Lemoine et Fabrice Rives a été rendue le 14 janvier, elle suit les réquisitions du parquet faites à l’automne dernier”, a expliqué M. Valet.

“Cela signifie, a-t-il ajouté, que les juges estiment qu’il n’y a pas de charge suffisante contre quiconque pour l’accuser d’avoir commis les faits”. Le procureur a toutefois indiqué que le dossier pourrait être réouvert “en cas d’éléments nouveaux justifiant des investigations sur des bases nouvelles”.

Line Galbardi, prostituée franco-canadienne de 28 ans, avait été retrouvée morte victime de suffocation et de coups violents à la tête dans sa chambre d’hôtel en janvier 92.

Patrice Alègre avait été mis en cause dans ce dossier à l’occasion d’une enquête d’une cellule de la gendarmerie “Homicide 31” sur le parcours criminel de celui qui allait par ailleurs être condamné par la cour d’assises de Haute-Garonne en février 2002 à la perpétuité assortie d’une peine de sûreté de 22 ans, pour cinq meurtres précédés de viol et pour un sixième viol commis entre 1989 et 1997.

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LE MONDE | 12.01.10 | 13h24

près le volume consacré aux meilleurs grands reportages publiés dans Le Monde, les éditions les Arènes récidivent. En proposant les comptes rendus de 100 procès, elles nous offrent une plongée inédite dans l’histoire contemporaine.Bien sûr, nous sommes juge et partie dans cette affaire, mais une fois le volume en main, qui pourra contester le plaisir éprouvé à feuilleter ce livre-album ? Qui boudera la lecture du compte rendu d’André Fontaine, en 1950, du procès René Hardy, ce dirigeant de la Résistance accusé à la Libération de trahison et deux fois innocenté ? Ou celui du général Salan, chef de l’OAS, en 1962, par Jean-Marc Théolleyre, qui fut le maître incontesté de la chronique judiciaire ?

De page en page, c’est l’histoire qui défile. On assiste comme en direct aux débats. C’est le mérite de ces récits d’audience de capter les dialogues qui auraient été autrement perdus à jamais : les questions des juges, les accusations du procureur, les réponses des accusés, les plaidoiries, tout est là. Tout est à lire ou relire. C’est le maréchal Pétain, Klaus Barbie, Maurice Papon, dont on égrène les fautes et les forfaits. C’est ceux qui ont voulu tuer le général de Gaulle, dans les années 1960, dont on cherche à comprendre les raisons.

Ces comptes rendus – illustrés par des photographies de presse de l’époque – offrent aussi un regard sur les tabous d’une société. C’est la question de l’avortement qui fait ainsi irruption au tribunal de Bobigny, en 1972. C’est la vie d’un accusé et le débat sur la peine de mort qui se joue, en 1977 à Troyes, lorsque Pierre Georges nous fait assister à la plaidoirie de Me Robert Badinter. Ce dernier agrippe d’entrée de jeu le jury : “Il n’existe pas de grand procès. On croit que, parce qu’il y a beaucoup de monde, beaucoup de journalistes, c’est un procès différent des autres. Ce n’est pas vrai. Ici, c’est lui, c’est vous et c’est un petit peu moi.” On y est. On est immédiatement embarqué dans ce fleuve de passions. Et l’on passe avec gourmandise du récit charpenté sur l’affaire Dominici ou le procès Clearstream au rapide croquis d’audience : la défaillance fiscale de Johnny (1977), l’absence de Françoise Sagan au premier jour de sa comparution pour usage de drogue (1995). Tant il est vrai que de “petits” procès peuvent se révéler “grands”.


“LES GRANDS PROCÈS, 1944-2010. LE MONDE”, éd. Les Arènes en partenariat avec Europe 1, 564 pages, 24,80 euros.

L. G.
Article paru dans l’édition du 13.01.10

22/12/2009 18:35

La justice allemande refuse d’extrader vers la France un complice du terroriste Carlos – Belga

La justice allemande a décidé mardi de ne pas extrader l’Allemand Johannes Weinrich, considéré comme le bras droit du terroriste vénézuélien Carlos et qui est incarcéré à Berlin depuis 1995.

Le tribunal compétent à Berlin a indiqué dans un communiqué avoir “décidé que l’extradition du terroriste allemand Johannes W. vers la République française en vertu du mandat d’arrêt européen du 23 mars 2006 est irrecevable”. Le refus d’extradition s’appuie sur une protection prévue par la loi fondamentale allemande qui stipule qu'”un citoyen allemand ne peut pas être extradé vers un autre pays”. La justice allemande s’est prononcée sur une demande d’extradition de la France datant de 2008. Dans cette demande, la justice française “reproche à Johannes Weinrich d’avoir perpétré le 29 mars 1982 un attentat à l’explosif commandité par le terroriste Carlos sur un train à grande vitesse français et qui a fait cinq morts et 27 blessés”. Agé de 62 ans, Johannes Weinrich est incarcéré depuis 1995 à Berlin. Il purge une peine de réclusion criminelle à perpétuité après avoir été reconnu coupable d’avoir organisé le 25 août 1983 un attentat contre la Maison de France, centre culturel français à Berlin, qui avait fait un mort et 23 blessés. En août 2004, il avait été acquitté pour manque de preuves par la Cour d’assises de Berlin qui le jugeait pour avoir planifié et organisé une série d’attentats qui avaient fait six morts en 1982-83 en France. Arrêté au Yemen en 1994, Weinrich avait été extradé vers l’Allemagne en 1995. (LEE)

LETTRE

A M. FÉLIX FAURE

Président de la République


Monsieur le Président,

Me permettez-vous, dans ma gratitude pour le bienveillant accueil que vous m’avez fait un jour, d’avoir le souci de votre juste gloire et de vous dire que votre étoile, si heureuse jusqu’ici, est menacée de la plus honteuse, de la plus ineffaçable des taches ?
Vous êtes sorti sain et sauf des basses calomnies, vous avez conquis les cœurs. Vous apparaissez rayonnant dans l’apothéose de cette fête patriotique que l’alliance russe a été pour la France, et vous vous préparez à présider au solennel triomphe de notre Exposition universelle, qui couronnera notre grand siècle de travail, de vérité et de liberté. Mais quelle tache de boue sur votre nom — j’allais dire sur votre règne — que cette abominable affaire Dreyfus ! Un conseil de guerre vient, par ordre, d’oser acquitter un Esterhazy, soufflet suprême à toute vérité, à toute justice. Et c’est fini, la France a sur la joue cette souillure, l’histoire écrira que c’est sous votre présidence qu’un tel crime social a pu être commis.
Puisqu’ils ont osé, j’oserai aussi, moi. La vérité, je la dirai, car j’ai promis de la dire, si la justice, régulièrement saisie, ne la faisait pas, pleine et entière. Mon devoir est de parler, je ne veux pas être complice. Mes nuits seraient hantées par le spectre de l’innocent qui expie là-bas, dans la plus affreuse des tortures, un crime qu’il n’a pas commis.
Et c’est à vous, monsieur le Président, que je la crierai, cette vérité, de toute la force de ma révolte d’honnête homme Pour votre honneur, je suis convaincu que vous l’ignorez. Et à qui donc dénoncerai-je la tourbe malfaisante des vrais coupables, si ce n’est à vous, le premier magistrat du pays ?

La vérité d’abord sur le procès et sur la condamnation de Dreyfus.
Un homme néfaste a tout mené, a tout fait, c’est le colonel du Paty de Clam, alors simple commandant. Il est l’affaire Dreyfus tout entière, on ne la connaîtra que lorsqu’une enquête loyale aura établi nettement ses actes et ses responsabilités. Il apparaît comme l’esprit le plus fumeux, le plus compliqué, hanté d’intrigues romanesques, se complaisant aux moyens des romans-feuilletons, les papiers volés, les lettres anonymes, les rendez-vous dans les endroits déserts, les femmes mystérieuses qui colportent, de nuit, des preuves accablantes. C’est lui qui imagina de dicter le bordereau à Dreyfus ; c’est lui qui rêva de l’étudier dans une pièce entièrement revêtue de glaces ; c’est lui que le commandant Forzinetti nous représente armé d’une lanterne sourde, voulant se faire introduire près de l’accusé endormi, pour projeter sur son visage un brusque flot de lumière et surprendre ainsi son crime, dans l’émoi du réveil. Et je n’ai pas à tout dire, qu’on cherche, on trouvera. Je déclare simplement que le commandant du Paty de Clam, chargé d’instruire l’affaire Dreyfus, comme officier judiciaire, est, dans l’ordre des dates et des responsabilités, le premier coupable de l’effroyable erreur judiciaire qui a été commise.
Le bordereau était depuis quelque temps déjà entre les mains du colonel Sandherr, directeur du bureau des renseignements, mort depuis de paralysie générale. Des « fuites » avaient lieu, des papiers disparaissaient comme il en disparaît aujourd’hui encore ; et l’auteur du bordereau était recherché, lorsqu’un a priori se fit peu à peu que cet auteur ne pouvait être qu’un officier de l’état-major, et un officier d’artillerie : double erreur manifeste, qui montre assez quel esprit superficiel on avait étudié ce bordereau, car un examen raisonné démontre qu’il ne pouvait s’agir que d’un officier de troupe. On cherchait donc dans la maison, on examinait les écritures, c’était comme une affaire de famille, un traître à surprendre dans les bureaux mêmes, pour l’en expulser. Et, sans que je veuille refaire ici une histoire connue en partie, le commandant du Paty de Clam entre en scène, dès qu’un premier soupçon tombe sur Dreyfus : A partir de ce moment, c’est lui qui a invente Dreyfus, l’affaire devient son affaire, il se fait fort de confondre le traître, de l’amener à des aveux complets. Il y a bien le ministre de la guerre, le général Mercier, dont l’intelligence semble médiocre ; il y a bien le chef de l’état-major, le général de Boisdeffre, qui parait avoir cédé à sa passion cléricale, et le sous-chef de l’état-major. le général Gonse, dont la conscience a pu s’accommoder de beaucoup de choses. Mais, au fond, il n’y a d’abord que le commandant du Paty de Clam, qui les mène tous, qui les hypnotise, car il s’occupe aussi de spiritisme, d’occultisme, il converse avec les esprits. On ne croira jamais les expériences auxquelles il a soumis le malheureux Dreyfus, les pièges dans lesquels il a voulu le faire tomber, les enquêtes folles, les imaginations monstrueuses, toute une démence torturante.

Ah ! cette première affaire, elle est un cauchemar, pour qui la connaît dans ses détails vrais ! Le commandant du Paty de Clam arrête Dreyfus, le met au secret. Il court chez madame Dreyfus, la terrorise, lui dit que, si elle parle, son mari est perdu. Pendant ce temps, le malheureux s’arrachait la chair, hurlait son innocence. Et l’instruction a été faite ainsi, comme dans une chronique du quinzième siècle, au milieu du mystère, avec une complication d’expédients farouches, tout cela basé sur une seule charge enfantine, ce bordereau imbécile, qui n’était pas seulement une trahison vulgaire, qui était aussi la plus impudente des escroqueries, car les fameux secrets livrés se trouvaient presque tous sans valeur. Si j’insiste, c’est que l’œuf est ici, d’où va sortir plus tard le vrai crime, l’épouvantable déni de justice dont la France est malade. Je voudrais faire toucher du doigt comment l’erreur judiciaire a pu être possible, comment elle est née des machinations du commandant du Paty de Clam, comment le général Mercier, les généraux de Boisdeffre et Gonse ont pu s’y laisser prendre, engager peu à peu leur responsabilité dans cette erreur, qu’ils ont cru devoir, plus tard, imposer comme la vérité sainte, une vérité qui ne se discute même pas. Au début, il n’y a donc de leur part que de l’incurie et de l’inintelligence. Tout au plus, les sent-on céder aux passions religieuses du milieu et aux préjugés de l’esprit de corps. Ils ont laissé faire la sottise.
Mais voici Dreyfus devant le conseil de guerre. Le huis clos le plus absolu est exigé. Un traître aurait ouvert la frontière à l’ennemi, pour conduire l’empereur allemand jusqu’à Notre-Dame, qu’on ne prendrait pas des mesures de silence et de mystère plus étroites. La nation est frappée de stupeur, on chuchote des faits terribles, de ces trahisons monstrueuses qui indignent l’histoire, et naturellement la nation s’incline. Il n’y a pas de châtiment assez sévère, elle applaudira à la dégradation publique, elle voudra que le coupable reste sur son rocher d’infamie dévoré par le remords. Est-ce donc vrai, les choses indicibles, les choses dangereuses, capables de mettre l’Europe en flammes, qu’on a dû enterrer soigneusement derrière ce huis clos ? Non ! il n’y a eu, derrière, que les imaginations romanesques et démentes du commandant du Paty de Clam. Tout cela n’a été fait que pour cacher le plus saugrenu des romans-feuilletons. Et il suffit, pour s’en assurer, d’étudier attentivement l’acte d’accusation lu devant le conseil de guerre.
Ah ! le néant de cet acte d’accusation ! Qu’un homme ait pu être condamné sur cet acte, c’est un prodige d’iniquité. Je défie les honnêtes gens de le lire, sans que leur cœur bondisse d’indignation et crie leur révolte, en pensant à l’expiation démesurée, là-bas, à l’île du Diable. Dreyfus sait plusieurs langues, crime ; on n’a trouvé chez lui aucun papier compromettant, crime ; il va parfois dans son pays d’origine, crime ; il est laborieux, il a le souci de tout savoir, crime ; il ne se trouble pas, crime ; il se trouble, crime. Et les naïvetés de rédaction, les formelles assertions dans le vide ! On nous avait parlé de quatorze chefs d’accusation : nous n’en trouvons qu’une seule en fin de compte, celle du bordereau ; et nous apprenons même que les experts n’étaient pas d’accord, qu’un d’eux, M. Gobert, a été bousculé militairement, parce qu’il se permettait de ne pas conclure dans le sens désiré. On parlait aussi de vingt-trois officiers qui étaient venus accabler Dreyfus de leurs témoignages. Nous ignorons encore leurs interrogatoires, mais il est certain que tous ne l’avaient pas chargé ; et il est à remarquer, en outre, que tous appartenaient aux bureaux de la guerre. C’est un procès de famille, on est là entre soi, et il faut s’en souvenir : l’état-major a voulu le procès, l’a jugé, et il vient de le juger une seconde fois.
Donc, il ne restait que le bordereau, sur lequel les experts ne s’étaient pas entendus. On raconte que, dans la chambre du conseil, les juges allaient naturellement acquitter. Et, dès lors, comme l’on comprend l’obstination désespérée avec laquelle, pour justifier la condamnation, on affirme aujourd’hui l’existence d’une pièce secrète, accablante, la pièce qu’on ne peut montrer, qui légitime tout, devant laquelle nous devons nous incliner, le bon dieu invisible et inconnaissable. Je la nie, cette pièce, je la nie de toute ma puissance ! Une pièce ridicule, oui, peut-être la pièce où il est question de petites femmes, et où il est parlé d’un certain D… qui devient trop exigeant, quelque mari sans doute trouvant qu’on ne lui payait pas sa femme assez cher. Mais une pièce intéressant la défense nationale, qu’on, ne saurait produire sans que la guerre fût déclarée demain, non, non ! C’est un mensonge ; et cela est d’autant plus odieux et cynique qu’ils mentent impunément sans qu’on puisse les en convaincre. Ils ameutent la France, ils se cachent derrière sa légitime émotion, ils ferment les bouches en troublant les cœurs, en pervertissant les esprits. Je ne connais pas de plus grand crime civique.
Voila donc, monsieur le Président, les faits qui expliquent comment une erreur judiciaire a pu être commise ; et les preuves morales, la situation de fortune de Dreyfus, l’absence de motifs, son continuel cri d’innocence, achèvent de le montrer comme une victime des extraordinaires imaginations du commandant du Paty de Clam, du milieu clérical où il se trouvait, de la chasse aux « sales juifs », qui déshonore notre époque.

Et nous arrivons à l’affaire Esterhazy. Trois ans se sont passés, beaucoup de consciences restent troublées profondément, s’inquiètent, cherchent, finissent par se convaincre de l’innocence de Dreyfus.
Je ne ferai pas l’historique des doutes, puis de la conviction de M. Scheurer-Kestner. Mais, pendant qu’il fouillait de son côté, il se passait des faits graves à l’état-major même. Le colonel Sandherr était mort et le lieutenant-colonel Picquart lui avait succédé comme chef du bureau des renseignements. Et c’est à ce titre, dans l’exercice de ses fonctions, que ce dernier eut un jour entre les mains une lettre-télégramme, adressée au commandant Esterhazy, par un agent d’une puissance étrangère. Son devoir strict était d’ouvrir une enquête. La certitude est qu’il n’a jamais agi en dehors de la volonté de ses supérieurs. Il soumit donc ses soupçons à ses supérieurs hiérarchiques, le général Gonse, puis le général de Boisdeffre, puis le général Billot, qui avait succédé au général Mercier comme ministre de la guerre. Le fameux dossier Picquart, dont il a été tant parlé, n’a jamais été que le dossier Billot, j’entends le dossier fait par un subordonné pour son ministre, le dossier qui doit exister encore au ministère de la guerre. Les recherches durèrent de mai à septembre 1896, et ce qu’il faut affirmer bien haut, c’est que le général Gonse était convaincu de la culpabilité d’Esterhazy, c’est que le général de Boisdeffre et le général Billot ne mettaient pas en doute que le fameux bordereau fût de l’écriture d’Esterhazy. L’enquête du lieutenant-colonel Picquart avait abouti à cette constatation certaine. Mais l’émoi était grand, car la condamnation d’Esterhazy entraînait inévitablement la révision du procès Dreyfus ; et c’était ce que l’état-major ne voulait à aucun prix.
Il dut y avoir là une minute psychologique pleine d’angoisse. Remarquez que le général Billot n’était compromis dans rien, il arrivait tout frais, il pouvait faire la vérité. Il n’osa pas, dans la terreur sans doute de l’opinion publique, certainement aussi dans la crainte de livrer tout l’état-major, le général de Boisdeffre, le général Gonse, sans compter les sous-ordres. Puis, ce ne fut là qu’une minute de combat entre sa conscience et ce qu’il croyait être l’intérêt militaire. Quand cette minute fut passée, il était déjà trop tard. Il s’était engagé, il était compromis. Et, depuis lors, sa responsabilité n’a fait que grandir, il a pris à sa charge le crime des autres, il est aussi coupable que les autres, il est plus coupable qu’eux, car il a été le maître de faire justice, et il n’a rien fait. Comprenez-vous cela ! voici un an que le général Billot, que les généraux de Boisdeffre et Gonse savent que Dreyfus est innocent, et ils ont gardé pour eux cette effroyable chose. Et ces gens-là dorment, et ils ont des femmes et des enfants qu’ils aiment !
Le colonel Picquart avait rempli son devoir d’honnête homme. Il insistait auprès de ses supérieurs, au nom de la justice. Il les suppliait même, il leur disait combien leurs délais étaient impolitiques devant le terrible orage qui s’amoncelait, qui devait éclater, lorsque la vérité serait connue Ce fut, plus tard, le langage que M. Scheurer-Kestner tint également au général Billot, l’adjurant par patriotisme de prendre en main l’affaire, de ne pas la laisser s’aggraver, au point de devenir un désastre public. Non ! le crime était commis, l’état-major ne pouvait plus avouer son crime. Et le lieutenant-colonel Picquart fut envoyé en mission, on l’éloigna de plus loin en plus loin, jusqu’en Tunisie, ou l’on voulut même un jour honorer sa bravoure, en le chargeant d’une mission qui l’aurait fait sûrement massacrer, dans les parages où le marquis de Morès a trouvé la mort. Il n’était pas en disgrâce, le général Gonse entretenait avec lui une correspondance amicale. Seulement, il est des secrets qu’il ne fait pas bon d’avoir surpris.
A Paris, la vérité marchait, irrésistible, et l’on sait de quelle façon l’orage attendu éclata. M. Mathieu Dreyfus dénonça le commandant Esterhazy comme le véritable auteur du bordereau, au moment ou M. Scheurer-Kestner allait déposer, entre les mains du garde des sceaux, une demande en révision du procès. Et c’est ici que le commandant Esterhazy parait. Des témoignages le montrent d’abord affolé, prêt au suicide ou a la fuite. Puis, tout d’un coup, il paye d’audace, il étonne Paris par la violence de son attitude. C’est que du secours lui était venu, il avait reçu une lettre anonyme l’avertissant des menées de ses ennemis, une dame mystérieuse s’était même dérangée de nuit pour lui remettre une pièce volée à l’état-major qui devait le sauver. Et je ne puis m’empêcher de retrouver là le lieutenant-colonel du Paty de Clam, en reconnaissant les expédients de son imagination fertile. Son œuvre, la culpabilité de Dreyfus, était en péril, et il a voulu sûrement défendre son œuvre. La révision du procès, mais c’était l’écroulement du roman-feuilleton si extravagant, si tragique, dont le dénouement abominable a lieu à l’île du Diable ! C’est ce qu’il ne pouvait permettre. Dès lors, le duel va avoir lieu entre le lieutenant-colonel Picquart et le lieutenant-colonel du Paty de Clam, l’un le visage découvert, l’autre masqué. On les retrouvera prochainement tous deux devant la justice civile. Au fond, c’est toujours l’état-major qui se défend, qui ne veut pas avouer son crime, dont l’abomination grandit d’heure en heure.
On s’est demandé avec stupeur quels étaient les protecteurs du commandant Esterhazy. C’est d’abord, dans l’ombre, le lieutenant-colonel du Paty de Clam qui a tout machiné, qui a tout conduit. Sa main se trahit aux moyens saugrenus. Puis, c’est le général de Boisdeffre, c’est le général Gonse, c’est le général Billot lui-même, qui sont bien obligés de faire acquitter le commandant, puisqu’ils ne peuvent laisser reconnaître l’innocence de Dreyfus, sans que les bureaux de la guerre croulent sous le mépris public. Et le beau résultat de cette situation prodigieuse, c’est que l’honnête homme là-dedans, le lieutenant-colonel Picquart, qui seul a fait son devoir, va être la victime, celui qu’on bafouera et qu’on punira. O justice, quelle affreuse désespérance serre le cœur ! On va jusqu’à dire que c’est lui le faussaire, qu’il a fabriqué la carte-télegramme pour perdre Esterhazy. Mais, grand Dieu ! pourquoi ? dans quel but ? Donnez un motif. Est-ce que celui-là aussi est payé par les juifs ? Le joli de l’histoire est qu’il était justement antisémite. Oui ! nous assistons à ce spectacle infâme des hommes perdus de dettes et de crimes dont on proclame l’innocence, tandis qu’on frappe l’honneur même, un homme à la vie sans tache ! Quand une société en est la, elle tombe en décomposition.
Voila donc, monsieur le Président, l’affaire Esterhazy : un coupable qu’il s’agissait d’innocenter. Depuis bientôt deux mois, nous pouvons suivre heure par heure la belle besogne. J’abrège, car ce n’est ici, en gros, que le résumé de l’histoire dont les brûlantes pages seront un jour écrites tout au long. Et nous avons donc vu le général de Pellieux, puis le comandant Ravary, conduire une enquête scélérate d’où les coquins sortent transfigurés et les honnêtes gens salis. Puis, on a convoqué le conseil de guerre.

Comment a-t-on pu espérer qu’un conseil de guerre déferait ce qu’un conseil de guerre avait fait ?
Je ne parle même pas du choix toujours possible des juges. L’idée supérieure de discipline, qui est dans le sang de ces soldats, ne suffit-elle à infirmer leur pouvoir même d’équité ? Qui dit discipline dit obéissance. Lorsque le ministère de la guerre, le grand chef, a établi publiquement, aux acclamations de la représentation nationale, l’autorité absolue de la chose jugée, vous voulez qu’un conseil de guerre lui donne un formel démenti ? Hiérarchiquement, cela est impossible. Le général Billot a suggestionné les juges par sa déclaration, et ils ont jugé comme ils doivent aller au feu, sans raisonner. L’opinion préconçue qu’ils ont apportée sur leur siège est évidement celle-ci : « Dreyfus a été condamné pour crime de trahison par un conseil de guerre ; il est donc coupable et nous, conseil de guerre, nous ne pouvons le déclarer innocent ; or nous savons que reconnaître la culpabilité d’Esterhazy ce serait proclamer l’innocence de Dreyfus. » Rien ne pouvait les faire sortir de là.
Ils ont rendu une sentence inique qui à jamais pèsera sur nos conseils de guerre, qui entachera désormais de suspicion tous leurs arrêts. Le premier conseil de guerre a pu être inintelligent, le second est forcément criminel. Son excuse, je le répète, est que le chef suprême avait parlé, déclarant la chose jugée inattaquable, sainte et supérieure aux hommes, de sorte que des inférieurs ne pouvaient dire le contraire. On nous parle de l’honneur de l’armée, on veut que nous l’aimions que nous la respections. Ah ! certes oui, l’armée qui se lèverait à la première menace, qui défendrait la terre française, elle est tout le peuple et nous n’avons pour elle que tendresse et respect. Mais il ne s’agit pas d’elle dont nous voulons justement la dignité, dans notre besoin de justice. Il s’agit du sabre, le maître qu’on nous donnera demain peut-être. Et baiser dévotement la poignée du sabre, le dieu, non !
Je l’ai démontré d’autre part : l’affaire Dreyfus était l’affaire des bureaux de la guerre, un officier de l’état-major, dénoncé par ses camarades de l’état major, condamné sous la pression des chefs de l’état-major. Encore une fois, il ne peut revenir innocent, sans que tout l’état-major soit coupable. Aussi les bureaux, par tous les moyens imaginables, par des campagnes de presse, par des communications, par des influences, n’ont-ils couvert Esterhazy que pour perdre une seconde fois Dreyfus. Ah ! quel coup de balai le gouvernement républicain devrait donner dans cette jésuitière, ainsi que les appelle le général Billot lui-même ! Où est-il, le ministère vraiment fort et d’un patriotisme sage, qui osera tout y refondre et tout y renouveler ? Que de gens je connais qui, devant une guerre possible, tremblent d’angoisse en sachant dans quelles mains est la défense nationale ! et quel nid de basses intrigues, de commérages et de dilapidations, est devenu cet asile sacré, où se décide le sort de la patrie ! On s’épouvante devant le jour terrible que vient d’y jeter l’affaire Dreyfus, ce sacrifice humain d’un malheureux. d’un « sale juif » ! Ah ! tout ce qui s’est agité là de démence et de sottise, des imaginatiens folles, des pratiques de basse police, des mœurs d’inquisition et de tyrannie, le bon plaisir de quelques galonnés mettant leurs bottes sur la nation, lui rentrant dans la gorge son cri de vérité et de justice, sous le prétexte menteur et sacrilège de la raison d’Etat.
Et c’est un crime encore que de s’être appuyé sur la presse immonde, que de s’être laissé défendre par toute la fripouille de Paris, de sorte que voilà la fripouille qui triomphe insolemment dans la défaite du droit et de la simple probité. C’est un crime d’avoir accusé de troubler la France ceux qui la veulent généreuse, à la tête des nations libres et justes, lorsqu’on ourdit soi-même l’impudent complot d’imposer l’erreur, devant le monde entier. C’est un crime d’égarer l’opinion, d’utiliser pour une besogne de mort cette opinion qu’on a pervertie, jusqu’à la faire délirer. C’est un crime d’empoisonner les petits et les humbles, d’exaspérer les passions de réaction et d’intolérance, en s’abritant derrière l’odieux antisémitisme, dont la grande France libérale des droits de l’homme mourra, si elle n’en est pas guérie. C’est un crime que d’exploiter le patriotisme pour des œuvres de haine, et c’est un crime enfin que de faire du sabre le dieu moderne, lorsque toute la science humaine est au travail pour l’œuvre prochaine de vérité et de justice.
Cette vérité, cette justice, que nous avons si passionnément voulues, quelle détresse à les voir ainsi souffletées, plus méconnues et plus obscurcies ! Je me doute de l’écroulement qui doit avoir lieu dans l`âme de M. Scheurer-Kestner, et je crois bien qu’il finira par éprouver un remords, celui de n’avoir pas agi révolutionnairement, le jour de l’interpellation au Sénat, en lâchant tout le paquet, pour tout jeter à bas. Il a été le grand honnête homme, l’homme de sa vie loyale, il a cru que la vérité se suffisait à elle-même, surtout lorsqu’elle lui apparaissait éclatante comme le plein jour. A quoi bon tout bouleverser, puisque bientôt le soleil allait luire? Et c’est de cette sérénité confiante dont il est si cruellement puni. De même pour le lieutenant-colonel Picquart, qui, par un sentiment de haute dignité, n’a pas voulu publier les lettres du général Gonse. Ces scrupules l’honorent d’autant plus, que, pendant qu’il restait respectueux de la discipline, ses supérieurs le faisaient couvrir de boue, instruisaient eux-mêmes son procès, de la façon la plus inattendue et la plus outrageante. Il y a deux victimes, deux braves gens, deux cœurs simples, qui ont laissé faire Dieu, tandis que le diable agissait. Et l’on a même vu, pour le lieutenant-colonel Picquart, cette chose ignoble : un tribunal français, après avoir laissé le rapporteur charger publiquement un témoin, l’accuser de toutes les fautes, a fait le huis clos, lorsque ce témoin a été introduit pour s’expliquer et se défendre. Je dis que cela est un crime de plus et que ce crime soulèvera la conscience universelle. Décidément, les tribunaux militaires se font une singulière idée de la justice.
Telle est donc la simple vérité, monsieur le Président, et elle est effroyable, elle restera pour votre présidence une souillure. Je me doute bien que vous n’avez aucun pouvoir en cette affaire, que vous êtes le prisonnier de la Constitution et de votre entourage. Vous n’en avez pas moins un devoir d’homme, auquel vous songerez, et que vous remplirez. Ce n’est pas, d’ailleurs, que je désespère le moins da monde du triomphe. Je le répète avec une certitude plus véhémente : la vérité est en marche, et rien ne l’arrêtera. C’est d’aujourd’hui seulement que l’affaire commence, puisque aujourd’hui seulement les positions sont nettes : d’une part, les coupables qui ne veulent pas que la lumière se fasse ; de l’autre, les justiciers qui donneront leur vie pour qu’elle soit faite. Quand on enferme la vérité sous terre, elle s’y amasse, elle y prend une force telle d’explosion, que le jour où elle éclate, elle fait tout sauter avec elle. On verra bien si l’on ne vient pas de préparer, pour plus tard, le plus retentissant des désastres.

Mais cette lettre est longue, monsieur le Président, et il est temps de conclure.
J’accuse le lieutenant-colonel du Paty de Clam d’avoir été l’ouvrier diabolique de l’erreur judiciaire, en inconscient, je veux le croire, et d’avoir ensuite défendu son œuvre néfaste, depuis trois ans, par les machinations les plus saugrenues et les plus coupables.
J’accuse le général Mercier de s’être rendu complice, tout au moins par faiblesse d’esprit, d’une des plus grandes iniquités du siècle.
J’accuse le général Billot d’avoir eu entre les mains les preuves certaines de l’innocence de Dreyfus et de les avoir étouffées, de s’être rendu coupable de ce crime de lèse-humanité et de lèse-justice, dans un but politique et pour sauver l’état-major compromis.
J’accuse le général de Boisdeffre et le général Gonse de s’être rendus complices du même crime, l’un sans doute par passion cléricale, l’autre peut-être par cet esprit de corps qui fait des bureaux de la guerre l’arche sainte, inattaquable.
J’accuse le général de Pellieux et le commandant Ravary d’avoir fait une enquête scélérate, j’entends par là une enquête de la plus monstrueuse partialité, dont nous avons, dans le rapport du second, un impérissable monument de naïve audace.
J’accuse les trois experts en écritures, les sieurs Belhomme, Varinard et Couard, d’avoir fait des rapports mensongers et frauduleux, à moins qu’un examen médical ne les déclare atteints d’une maladie de la vue et du jugement.
J’accuse les bureaux de la guerre d’avoir mené dans la presse, particulièrement dans l’Eclair et dans l’Echo de Paris, une campagne abominable, pour égarer l’opinion et couvrir leur faute.
J’accuse enfin le premier conseil de guerre d’avoir violé le droit, en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète, et j’accuse le second conseil de guerre d’avoir couvert cette illégalité, par ordre, en commettant à son tour le crime juridique d’acquitter sciemment un coupable.
En portant ces accusations, je n’ignore pas que je me mets sous le coup des articles 30 et 31 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui punit les délits de diffamation. Et c’est volontairement que je m’expose.
Quant aux gens que j’accuse, je ne les connais pas, je ne les ai jamais vus, je n’ai contre eux ni rancune ni haine. Ils ne sont pour moi que des entités, des esprits de malfaisance sociale. Et l’acte que j’accomplis ici n’est qu’un moyen révolutionnaire pour hâter l’explosion de la vérité et de la justice.
Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière, au nom de l’humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation enflammée n’est que le cri de mon âme. Qu’on ose donc me traduire en cour d’assises et que l’enquête ait lieu au grand jour !
J’attends.
Veuillez agréer, monsieur le Président, l’assurance de mon profond respect.

ÉMILE ZOLA

NON RENSEIGNEEzoom

NON RENSEIGNEE

Alors qu’il approchait de ses 26 ans,Jean-Pierre Duboeuf contracta mariage avec une demoiselle Bonon, prénommée Marie-Louise, qui avait à peu près son âge. C’était le 17 février 1885. La signature du contrat eut lieu dans une petite commune du département de la Loire, Chambon-Feugerolles. C’est assez joli, là-bas ; la petite rivière qui arrose le village s’appelle l’Ondaine et le parc naturel du Pilat est tout proche. Un cadre rêvé pour une idylle.

Comme les deux pigeons de la fable, Jean-Pierre et Marie-Louise s’aimèrent d’amour tendre, au moins deux ou trois ans. Puis ils durent quitter leur nid pour aller vivre à Nancy où le jeune homme avait trouvé du travail.

Là, les conditions de cohabitation se dégradèrent. La suite de l’histoire nous apprend que Madame était, peut-être, de mœurs légères, et que Monsieur, peut-être buvait et la nourrissait mal. Toujours est-il qu’un jour, Jean-Pierre Duboeuf dut aller faire un séjour en centre hospitalier, à Nancy, et lorsqu’il ressortit, le divorce des deux ex-tourtereaux était mûr pour être consommé. On a deux versions de ceci qui se passa lorsque Jean-Pierre, alors âge de 32 ans, sorti guéri de l’hôpital de Nancy, en 1891. Version du mari : « Lorsque je suis rentré à notre domicile en sortant de l’hôpital, dit-il, ma femme n’était plus là, elle avait quitté le domicile conjugal… »

Version de l’épouse : « C’est faux. Lorsqu’il est rentré de l’hôpital, dit-elle, mon mari a émis le désir de retourner seul, au Chambon-Feugerolles pour y travailler ; il m’avait promis de m’envoyer les fonds nécessaires, sitôt qu’il les aurait ». Et alors ? « Et alors, poursuit Marie-Louise, les fonds ne sont jamais venus ». Et alors ? « Et alors, continue-t-elle, j’ai décidé, moi de partir travailler à Paris ; je l’ai fait savoir à mon mari et pour toute réponse, il m’a dit que son désir, à ce moment-là, était de divorcer ». Ces témoignages ont été recueillis par les enquêteurs au moment où la Cour d’Assises de Saône-et-Loire eut à examiner, en 1903, le cas de bigamie de Jean-Pierre Duboeuf. Car c’est comme cela que finit l’idylle commencée sur les bords de l’Ondaine dix-huit ans plus tôt : par une comparution devant les Assises de Chalon-sur-Saône. Les faits sont assez clairs. Jean-Pierre Duboeuf avait manifestement averti sa femme qu’il comptait demander le divorce. Mais il avait arrêté ses démarches à cette lettre. Or il ne suffit pas d’une déclaration d’intention à son ou sa partenaire pour obtenir le divorce. En 1903 c’était encore plus vrai qu’aujourd’hui.

S’estimant cependant délié et libre, Jean-Pierre Duboeuf se remaria en 1899 à Chalon-sur-Saône. Qu’est-ce que cet homme de la Loire faisait à Chalon à la fin du XIXe siècle ? Il était venu y travailler. Il avait débarqué là au mois de juillet (ou d’août) 1898 et avait trouvé du travail au Petit-Creusot.

Le Petit-Creusot… On appelait ainsi, à l’époque, une succursale des établissements Schneider du Creusot. Les ateliers étaient situés en bord de Saône, rive gauche, en face de la sucrerie. On y fabriquait de l’armement. Jean-Pierre Duboeuf savait travailler le fer (plus tard, il s’installera forgeront à Authumes, petit village bressan du canton de Pierre.

Il travailla au Petit-Creusot pendant cinq mois, (5 août 1898-6 janvier 1899), et demeura à Chalon pendant cette période. C’est dans cette ville qu’il fit la connaissance d’une jeune femme de 22 ou 23 ans, Marie Chapuis, domestique. Nouvelle idylle. Et nouveau Mariage. Un peu rapide : la cérémonie a lieu le 3 mars 1899. Pour se marier, il faut des papiers, qu’on se procure à la mairie de sa commune de naissance.

Jean-Pierre Duboeuf écrit donc à la mairie de Chambon-Feugerolles, en « oubliant » de préciser quelle était le demande de son refus. Il reçoit les papiers qui ne mentionnent pas qu’il a déjà été marié. Et la mairie de Chalon-sur-Saône donc publie les bancs et procède au mariage. Cette fois, pour Jean-Pierre Duboeuf, les choses sont plus simples que lors de son premier mariage. Marie et Jean-Pierre s’entendent bien, pour ce qu’on en sait et font ensemble, assez rapidement, trois enfants. Seulement voilà, la première épouse un beau matin se rappelle au bon souvenir de celui qui se croit son ex. Et lorsqu’elle s’aperçoit qu’il vit avec une autre femme, dûment marié, elle alerte les autorités. Sommé de s’expliquer, le bigame plaide la bonne foi et l’ignorance.

« J’ignorais les principes de la loi, essaie-t-il d’alléguer. Je ne croyais pas commettre un crime en contractant une nouvelle union alors que j’étais encore engagé dans les liens de la première ». Ben voyons !

L’homme, on s’en doute, a beaucoup de mal à faire admettre cela aux enquêteurs chargés d’instruire son affaire, d’autant qu’en demandant à la mairie de sa commune d’origine, les documents nécessaires à ce second mariage, il avait soigneusement évité de dire à quel usage il les destinait.

L’enquête nous apprendra aussi qu’au moment de son second mariage, un de ses témoins (un ami qui le connaissait « de loin ») lui fit remarquer qu’il le croyait déjà marié. Duboeuf ne nia pas : « C’est exact, dit-il, j’ai déjà été marié, mais ma femme et morte, me voilà bien débarrassé… »

Les deux assertions étaient fausses : la première femme était on ne peut plus vivante et Duboeuf n’allait pas en être débarrassé de sitôt. Car bien sûr procès il y eut. Procès aux Assises, s’il vous plaît…

Contenu Long Les deux assertions étaient fausses : la première femme était on ne peut plus vivante et Duboeuf n’allait pas en être débarrassé de sitôt. Car bien sûr procès il y eut. Procès aux Assises, s’il vous plaît, car en ce temps-là la bigamie était considéré comme un « crime ».

Et à ce procès, Mme Duboeuf première du nom vint assister. Les trois heures de l’audience, le mardi 28 juillet 1903 furent assez cocasses. Même le procureur de la République s’en mêla, on va le voir. Questionné sur les raisons pour lesquelles il était retourné seul au Chambon-Feugerolles à sa sortie de l’hôpital de Nancy, Jean-Pierre Duboeuf répondra simplement que cela lui semblait compliqué, et que de plus il n’en avait pas très envie parce que sa femme avait un « type » qui la retenait à Nancy.

Et à la question suivante, lorsque le président des Assises l’interroge sur la lettre que sa femme lui a adressée, un peu plus tard, de Paris, l’homme à la barre indique que cette lettre lui réclamait de l’argent et que s’il a refusé d’en envoyer, c’était parce qu’« elle l’aurait donné à son type ». De son interrogatoire, il ressortit que Jean-Pierre Duboeuf n’était pas un mauvais bougre, mais que ce n’était pas non plus le gendre dont reverraient toutes les mamans. Moyennement courageux, plutôt dépensier, ayant fréquemment soif…Un peu macho aussi.

Mais en 1900, certaines femmes n’en faisaient pas une affaire. Ainsi la seconde Madame Duboeuf, petite jeune femme de 28 ans au jour du procès, comme on lui demandait si son mari la frappait, eut ce mot : «Mais non, je vous l’ai déjà dit, il était très gentil. Une fois il m’a donné une gifle, mais je l’avais bien mérité ». (Rires dans l’assistance). Lorsque la parole échut au procureur de la République, les rires redoublèrent. «Puisque le bigame a voulu deux femmes, dit-il, la société devrait le laisser avec ses deux femmes, en liberté, avec obligation de les avoir toujours près de lui, et aussi de satisfaire à tous ses devoirs conjugaux… Il verra…» Le ministère public rappela tout de même l’article 340 du code pénal qui punit l’acte de bigamie et demandant, sans grande conviction, une condamnation avec de la prison avec sursis. Pour l’avocat de la défense, c’était pain béni. Il sollicita sans trop y croire l’acquittement. Les jurés suivirent sans grande difficulté les conclusions de l’avocat de la défense. À l’issue de leur délibéré, ils rentrèrent en séance en rapportant un verdict d’acquittement. Duboeuf quitta la salle d’un air satisfait, s’engageant dans les couloirs, au milieu de la foule qui n’a d’yeux que pour lui. Et dans cette foule deux femmes. La première, qui s’approche de lui et lui saute presque au cou.

Duboeuf est une seconde sur la défensive et finalement lui accorde le baiser… pendant que la seconde, qui, rappelons-le, a eu trois enfants avec l’acquitté est là, tout près, qui considère la scène sans s’émouvoir outre mesure. Quelle situation, grands dieux ! conclut le chroniqueur du « Courrier de Saône-et-Loire » dans lequel nous avons trouvé le compte rendu de cette audience. … À peu près le même jour, et dans le même journal, un autre chroniqueur, rendant compte lui d’une audience de « police correctionnelle », annonçait qu’un nommé Benjamin Boiret, cultivateur à St-Christophe-en-Bresse, et une nommée Marie François, sa domestique comparaissaient sous l’inculpation d’adultère. C’est le maire de la commune, un nommé Jeannin, qui les avait surpris et établi le constat d’adultère.

Le fermier et la servante, indique le journal, avaient été condamnés solidairement à une amende de 16 francs. En lisant l’heureuse issue du procès Duboeuf, M. Boiret a dû regretter de n’avoir pas songé à épouser, en plus de sa femme légitime, sa domestique.

MICHEL LIMOGES

Chaque dimanche, Michel Limoges

revient pour nous sur les grandes affaires qui ont marqué notre région.

Publié le 13/12/2009

Né à Paris le 12 avril 1869, fils d’un chauffeur et d’une couturière, Henri-Désiré Landru est un célèbre criminel français de la fin du XIX ème siècle surnommé « le Barbe-Bleue de Gambais ». Après avoir fait l’Ecole des Frères, il officie comme sous-diacre à l’Eglise Saint-Louis-en-l’Ile. Il rencontre Marie-Catherine Rémy avec qui il a quatre enfants. Il pratique par la suite de nombreux métiers et crée une fabrique de bicyclettes à pétrole. Il commet sa première escroquerie en disparaissant avec l’argent de commandes jamais livrées et continue avec ces dernières chaque fois sous un nouveau nom. Il collectionne les condamnations, parvenant à sortir de prison grâce à des expertises psychiatriques qui le déclarent d’un état mental maladif. Après avoir fêté ses fiançailles avec une certaine Jeanne Isoré, il disparaît et est à nouveau condamné pour escroquerie. Récidiviste, la justice ordonne que sa peine se déroule au bagne de Guyane. A partir de 1915, il monte une nouvelle escroquerie en achetant un garage puis prend la fuite, activement recherché par la police. Pour subvenir aux besoins de sa famille, il se fait passer pour veuf et décide de séduire des femmes seules et surtout riches. Après leur avoir fait signé une procuration sur leurs comptes bancaires, il les tue et fait disparaître les corps. Bénéficiant du contexte de la première Guerre mondiale, personne ne s’en rend compte. Il est démasqué par une amie d’une de ses victimes et est arrêté le 12 avril 1919. Ses affaires personnelles sont examinées et le lien est dévoilé grâce au carnet dans lequel il notait le nom de ses victimes. Le procès s’ouvre le 7 novembre 1921 devant la cour d’assises de Versailles, il passionne le public. Après avoir nié le meurtre de onze femmes, Landru concède les avoir volées. Il est condamné à mort le 1er décembre 1921 puis sera guillotiné le 25 février 1922.

NOUVELOBS.COM | 16.10.2009 | 11:28

Cela fait aujourd’hui 25 ans que le petit Grégory a été assassiné. Un quart de siècle après, la justice ne tient toujours pas le coupable. L’expertise des scellés est attendue pour fin novembre.

Grégory Villemin

Grégory Villemin (sipa)

Vendredi 16 octobre, cela fait 25 ans jour pour jour que le petit Grégory a été assassiné. 25 ans d’un feuilleton judiciaire douloureux, qui n’a toujours pas trouvé de dénouement.

Le rapport d’expertise des scellés “toujours attendu”

Le rapport d’expertise des scellés “est toujours attendu” par le président de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Dijon Jean-François Pontonnier, a-t-on appris de source judiciaire.
“Nous attendons toujours la remise du rapport d’expertise au président de la chambre de l’instruction” de la cour d’appel de Dijon, et “à ce jour, nous n’avons pas de date précise”, a déclaré à l’AFP une porte-parole de cette juridiction.
Dans son édition de vendredi, le quotidien Le Parisien/Aujourd’hui en France, citant le procureur général de la cour d’appel de Dijon, Jean-Marie Beney, injoignable vendredi matin, indique que ce rapport “est espéré à la toute fin du mois” d’octobre.
La chambre de l’instruction avait désigné le 5 mai dernier le laboratoire lyonnais Biomnis (ex-Mérieux) pour expertiser les scellés du petit Grégory, et en “extraire les éventuelles empreintes génétiques“.
Le président Pontonnier avait alors demandé au laboratoire “un rapport préliminaire dès que possible”, précisant que les résultats de l’expertise ne seront pas attendus avant “au moins deux mois”.

Retour sur un feuilleton judiciaire

Le petit Grégory a été découvert mort le 16 octobre 1984 pieds et poings liés dans la Vologne, une rivière des Vosges. Le lendemain du meurtre, les parents ont reçu une lettre anonyme: “Ton fils est mort. Je me suis vengé”.
Le cousin du père de Grégory, Jean-Marie Villemin, est rapidement accusé, puis innocenté et remis en liberté. Villemin le tue quelques jours plus tard d’un coup de fusil, persuadé de tenir le meurtrier de son fils.
C’est ensuite la mère de Grégory qui est accusée et écrouée, mais elle bénéficie six ans plus tard d’un non-lieu.
En 2000, l’enquête est rouverte pour recherche d’ADN sur une lettre du “corbeau”, mais les experts déclarent l’ADN inexploitable. Le dossier est clos en 2001, et en 2004, l’Etat est condamné à verser 35.000 euros à chacun des parents de Grégory pour dysfonctionnement de la justice.
En décembre 2008, la cour d’appel de Dijon ordonne la réouverture de l’enquête à la demande des époux Villemin, renouant ainsi avec une des plus grandes énigmes criminelles qui a tenu la justice en haleine pendant un quart de siècle.

(Nouvelobs.com avec AFP)