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Le procès d’assises de février s’était achevé dans la confusion: les quatre accusés avaient été remis en liberté. (Photo David Chane)

18/09/09 – Aurélien LALANNE

CHRONOLOGIE

Entre l’île de La Réunion et Madagascar, l’affaire Mamodtaky, ou plutôt, les affaires Mamodtaky, ont secoué l’univers judiciaire. Retour aux faits.

18 septembre 2009 Après plus de trois mois de cavale, l’un des hommes les plus médiatisés de La Réunion est présenté au parquet du tribunal de première instance d’Antananarive.

15 septembre 2009 Mamod Abasse Mamodtaky est interpellé et placé en garde à vue dans la capitale malgache Antananarive au motif d’entrée illégale sur le territoire.

Août 2009 Libre, Mamodtaky est recherché par la police pour le vol d’une quinzaine de containers de matériel électronique dérobés en 2001 à Tamatave. L’armateur CMA-CGM avait porté plainte. Le juge d’instruction Jean-Pierre Niel est chargé du dossier. Selon plusieurs sources concordantes, Mamodtaky se trouverait à Madagascar depuis sa libération en juin.

24 juin 2009 L’arrêt de la cour de cassation est officiel : la cour d’assises de La Réunion a excédé ses pouvoirs. Les quatre accusés n’auraient jamais dû être remis en liberté.

10 juin 2009 La cour de cassation censure l’annulation du procès de Mamodtaky. Ce dernier sera jugé à Paris en 2010.

26 février 2009 Le parquet général et les parties civiles déposent deux recours contre la décision de la cour d’assises. L’enquête préliminaire va rester au point mort jusqu’à la décision de la cour de cassation.

24 février 2009 Le procès est terminé. Le président de la cour d’assises Jean-Pierre Szsyz confirme le moyen de nullité avancé la veille par la défense. Un policier, le lieutenant Demmer, a mené son enquête sans dresser de procès verbal, contrairement à ce qu’indique la loi. Quelques heures plus tard, les quatre accusés sont libres.

16 février 2009 Le procès fleuve de l’Affaire Mamodtaky s’ouvre enfin à la cour d’assises de La Réunion et devrait durer jusqu’au 27 février. Neuf ans après les faits. Plus d’une centaine de personnes (accusés, partie civile, jurés, magistrats, avocats, experts, témoins, greffier, huissier) sont directement concernés par l’audience.

Décembre 2007 Le parquet de Saint-Denis rend son réquisitoire définitif au magistrat instructeur, ouvrant la voie à la clôture de l’instruction. Le procès d’assises devrait se tenir en 2008.

Mars 2007 Arrestation à Saint-Denis de Jean-François Crozet, qui avoue avoir participé à la tuerie avec Mamodtaky et Babar Aly. Son patron, Ryaj Damdjee, gérant d’une station-service dionysienne et beau-frère de Mamodtaky, est lui aussi mis en examen pour complicité.

Août 2006 La soeur de Mamodtaky et son ex-mari Riched Asgaraly sont extradés de Madagascar et mis en examen à La Réunion pour complicité d’assassinat.

Juillet 2005 Après une longue cavale dans l’océan Indien et en Afrique, Mamodtaky est interpellé à Madagascar, puis extradé vers la France. Il a toujours nié être l’auteur ou le commanditaire de la tuerie de Fenoarivo.

Novembre 2004 Babar Aly est retrouvé et interpellé par la police française en région parisienne. Une découverte d’autant plus étonnante que, d’après un acte de décès signé par un médecin militaire malgache, il est officiellement mort en prison depuis fin 2001.

Octobre 2003 Anita Remtoula dépose une plainte auprès de la justice française. Une information judiciaire est ouverte pour assassinats et tentatives d’assassinats.

Septembre 2002 La justice malgache prononce un non-lieu et referme le dossier.

Juillet 2001 Babar Aly s’accuse de la tuerie et innocente Mamod Abasse Mamodtaky, époux d’Anita Remtoula et principal suspect dans cette affaire.

22 avril 2001 Massacre de Fenoarivo, à Madagascar, au cours de laquelle cinq membres de la famille d’Anita Remtoula, Karanes de nationalité française, sont tués par balles. Cinq autres sont grièvement blessés.

Le procès d'assises de février s'était achevé dans la confusion: les quatre accusés avaient été remis en liberté. (Photo David Chane)

Grands Procès | Jugée à deux reprises, cette tragédie se résumera, sept ans plus tard, à un banal «accident».

© Keystone | Adèle Nicolo, la victime.

SANDRA JOLY | 19.08.2009 | 00:00

Lundi 7 septembre 1992. Maria et Fiorino Nicolo, atterrés par le chagrin, entrent tête baissée dans la grande salle de la Cour d’assises. Les parents d’Adèle, tuée en décembre 1988, attendent beaucoup de la justice genevoise. Ils espèrent que le procès des époux M., responsables à des degrés divers de la disparition de leur fille, soit à la mesure de «l’horreur vécue» tant par la victime que par sa famille.

Malheureusement, le verdict, rendu quatre jours plus tard, provoquera colère et incompréhension des parties civiles et des gens «de la rue».

La mort d’Adèle Nicolo, 18 ans, a énormément secoué les Genevois. Ils se rappellent la découverte macabre de son corps, «nu, ficelé avec du cordeau à lessive et enfermé dans un sac de voile rouge», dimanche 18 décembre 1988, dans les eaux hivernales du Léman, sous le ponton de la Pointe-à-la-Bise.

Enquête policière rapidement scellée

Commence alors une enquête qui mène rapidement la police aux patrons de la jeune fille, M. M., médecin dentiste, et sa femme Thérèse. Cette dernière croit à une liaison entre son mari et son assistante dentaire. Jalouse, elle entend «faire parler» Adèle, la fait venir au cabinet dentaire, un samedi matin, et la chloroforme. Ce geste entraîne son décès.

Paniquée, Thérèse appelle son mari «à la rescousse». Le duo veut «brouiller les pistes» et va se débarrasser du corps après un long périple nocturne. Non sans avoir préalablement appelé les parents d’Adèle pour leur signaler «son absence».

Machiavélique? Le cœur des gens de «la rue» le pense. Mais ce sont aux jurés de la Cour d’assises de trancher. Et c’est ce qu’ils font quatre ans plus tard, dans cette salle d’audience. Comble.

En ouverture du procès, le président Pierre-Yves Demeule lit l’acte d’accusation, notamment «la liste des effets personnels d’Adèle que le dentiste a cru bon de disperser dans toutes les poubelles du canton». Mme Nicolo secoue la tête. Elle ira plus tard à la barre brandir la photo de sa fille devant les jurés et «dire qui était son enfant. Pour ne pas oublier son visage» et ce drame épouvantable. Elle pleurera, en silence.

L’accusée aussi sanglote. Beaucoup. On découvre une femme toujours insatisfaite du travail d’Adèle, «totalement dévouée». Sa jalousie «injustifiée» la pousse à l’obsession. Me Dominique Poncet, son avocat, admet «la responsabilité pénale» de sa cliente, mais «conteste qu’elle a agi volontairement». Sa plaidoirie? «Convaincre le jury que Thérèse s’est rendue coupable d’un homicide par négligence et non d’un meurtre.»

«Grand enfant sous la coupe d’une perverse»

Quant au mari, il apparaît comme «un grand enfant, totalement sous la coupe de son épouse perverse» et laisse éclater son chagrin. «Je ne pouvais pas dénoncer ma femme, je ne pouvais pas dire la vérité.» La réponse de Me Alain Farina, qui représente les parents, est cinglante: «Cacher le corps d’Adèle, tel a été d’emblée le plan du couple que je qualifie de pervers, maudit et diabolique.»

Colère immense

Vendredi 11 septembre. Le verdict tombe: huit ans de réclusion pour Thérèse M. pour meurtre et atteinte à la paix des morts et deux ans de prison pour son mari accusé de profanation de cadavre et entrave à l’action pénale. Comme il a déjà effectué 18 mois de préventive, il est libre.

Eclate alors, dans la salle, un flot de haine «inévitable» face à des sanctions plus réduites que ce qu’avait requis le substitut Thierry Luscher. La famille, les amis de la victime et une partie du public vont hurler leur colère. Comme la cousine d’Adèle qui crie à l’assassin en désignant le dentiste, tandis que les gendarmes ramènent la condamnée en cellule. Un jeune homme va même cracher sur le mari, encore assis sur le banc des accusés, en lui jetant un «ça, c’est de la justice» vengeur.

La foule s’amasse dans la cour du Palais. Là, entre cris de révolte et sanglots de rage, le clan de la victime tente d’exorciser sa douleur. Le père d’Adèle qui s’était contenu pendant tout le procès explose: il se débat, insulte la justice, Genève, la Suisse, ce pays pour lequel il a sué trente ans durant comme chauffeur de camions.

Adèle rendue aux siens après un an et demi

Plus tard, ce père confie aux médias sa détresse face à la perte «injuste» de sa fille et face à cette si longue attente. Celle du corps d’Adèle, une année et demie après sa mort. En effet, plusieurs expertises ont été nécessaires pour connaître les circonstances exactes de son décès: chloroforme ou noyade? Finalement, Adèle Nicolo a pu être rendue aux siens et enterrée en été 1990.

De leur côté, Mes Dominique Poncet et Dominique Warluzel, avocats de Thérèse M., annoncent qu’ils se pourvoiront en cassation contre le jugement. Ils ne mettent pas fin à l’histoire incroyable d’un drame qui a révélé que «le chloroforme est une arme dangereuse lorsqu’il est manipulé par une femme atrocement jalouse».


La femme du dentiste va jusqu’au Tribunal fédéral

Un second procès s’ouvre trois ans plus tard. La peine est diminuée et l’accusée ira, jusqu’à exiger un dédommagement pour «détention injustifiée».

Thérèse M. veut un nouveau jugement. Et elle l’aura. Après avoir réussi à faire annuler l’arrêt de la Cour d’assises de 1992, elle comparaît, trois ans plus tard, devant un nouveau jury. Ses membres devront déterminer si l’accusée connaissait bien la toxicité du chloroforme et si elle pouvait prévoir une issue fatale à son comportement.

Les parents d’Adèle Nicolo, eux, sont retournés vivre en Italie, «pour s’éloigner de tout ça». Qu’ont-ils pensé de ce second verdict plus «clément»?

On ne le saura pas… En effet, condamnée une première fois à huit ans de réclusion, Madame M. est reconnue coupable d’homicide par négligence. Elle écope de trois ans d’emprisonnement, soit le maximum dans ces nouvelles circonstances. Durant le procès, le dentiste ne veut pas venir à la barre. Il dit «avoir trop souffert» de la forte médiatisation de cette affaire et refuse toute nouvelle déclaration en invoquant les menaces proférées par son «hystérique» épouse. Entre-temps, les choses se sont gâtées et un divorce est en route avec ses problèmes de pension alimentaire. Madame sort libre du tribunal. Le drame est finalement classé comme un «accident».

Déboutée…

On croit donc l’histoire terminée. Que nenni. Madame saisit le Tribunal fédéral. Elle exige 145 000 francs en dédommagement de deux ans de prison subis en trop. La Cour la déboute. Ses conclusions? «Pour avoir droit à une telle indemnité, il faut, selon la loi, avoir bénéficié d’un acquittement ou d’un non-lieu. Mais Thérèse M. a été reconnue coupable de la mort d’Adèle Nicolo. Seule la qualification juridique de son comportement a été modifiée lors du second jugement. Elle a bel et bien appliqué un tampon imbibé de chloroforme sur le nez de la victime.»

Sept ans après le drame, Mme M., murmure-t-on, «est retournée à son premier travail, plus artistique». Elle rédigerait des articles pour des revues d’art.
SJ