Toute la nuit durant, les quatre chiens ont hurlé à la mort. Surtout le caniche abricot de Monique Lejeune, dont les aboiements stridents étaient parfois couverts par ceux du doberman de son fils Franck.
En cette nuit froide du 7 février 2003, les voisins de la maison de la rue du Virval, à Coulogne (Pas-de-Calais), n’ont pas dû beaucoup dormir. Pourtant, personne ne s’est inquiété avant 8 h 20. Ce samedi matin-là, M. Noblecourt, sans doute autant exaspéré qu’intrigué, pousse la porte, fermée mais non verrouillée, de sa voisine. Avant d’appeler, en toute hâte, les services de police de Calais.
L’autopsie du cadavre de Monique Lejeune dénombre « 58 plaies au moins », portées, la veille, entre « 20 heures et minuit ». « Toutes occasionnées alors que la victime était vivante, note le médecin légiste, par une arme blanche » : « une lame longue de 20 à 25 cm, comprenant un talon et un bord tranchant, une pointe effilée et large, en son extrémité, d’au moins 3 cm, sans cran ».
Le corps, ainsi lacéré, gisait allongé sur le dos, dans le hall d’entrée maculé de flaques de sang, « à environ 1,50 m de la porte d’entrée », consigne les enquêteurs sur PV. Sur le montant gauche du bâti de ladite porte, « une trace de main ensanglantée ». A l’extérieur, sur le portail, d’autres traces de sang sont découvertes.
« Face à face »
Qui a bien pu en vouloir, au point de la tuer, à Monique, seconde épouse de Claude Lejeune – absent au moment du drame – et lui-même décédé en 2007 ? Des « lésions de défense », situées pour l’essentiel aux avant-bras et aux mains, ainsi que des ecchymoses sur la face interne du bras droit de la victime semblent, en effet, indiquer un face-à-face entre Monique Lejeune et son agresseur.
De surcroît, tous les coups ont été portés au thorax.
Selon les premières constatations policières, rien n’aurait été dérobé. A l’intérieur de la maison, aucun désordre. Monique Lejeune, 53 ans, avait-elle alors des ennemis ? Il y a bien un voisin avec lequel elle avait eu des mots à propos d’une histoire de stationnement abusif de la voiture de l’un de ses trois fils. Mais rien de plus. L’entourage familial ?
Trois fils donc, nés d’un premier mariage avec Claude Flament, décédé brutalement. Le dernier des garçons, Pascal, vivait d’ailleurs toujours avec sa mère, remariée à un autre Claude. Le sieur Lejeune, lui, était divorcé depuis 1974 d’avec Béatrice Matis. Ensemble, ils ont eu cinq filles, dont Valérie qui s’entend bien avec sa nouvelle belle-mère, « une personne sans histoire ». Sur le papier, les Flament-Lejeune ressembleraient presque à la famille recomposée idéale.
Une chose est certaine : si Monique Lejeune avait un projet pour cette soirée du 7 février 2003, elle n’en a pipé mot à personne.
Une partie de la famille étant partie pour le week-end en région parisienne, elle assurait la garde du doberman de son fils Franck, le benjamin. Celui-ci lui a d’ailleurs passé un coup de fil vers 18 heures pour l’assurer de leur arrivée à bon port. Jean-Luc, l’aîné, est ensuite passé vers 19 heures, à vélo, comme il en avait souvent l’habitude à la sortie de son travail. Il aurait bu un verre de mousseux avec sa mère, qui lui aurait auparavant rafraîchi sa coupe de cheveux. Un voisin atteste la visite. Ensuite ? C’est le noir absolu.
ADN sous les ongles
Le 27 mars, soit sept semaines après le crime, Béatrice Matis, 58 ans, se présente au commissariat. Rappelons-le, elle est la première épouse de Claude Lejeune, le mari de la victime.
Le couple est séparé depuis trente ans. Quelque chose, qu’elle a caché à tous, la tracasse ; elle souhaite soulager sa conscience. En fait, elle s’est rendue le 7 février, vers 19 h 35, chez Monique. Elle savait qu’elle était seule et, justement, c’est ce qu’elle souhaitait afin de l’entretenir d’un projet de réunion familiale qui aurait rassemblé ses filles, soi-disant en froid.
Monique, qui aurait semblé « mal à l’aise », lui aurait indiqué « attendre quelqu’un ». En raccompagnant Béatrice à la barrière, Monique aurait perdu l’équilibre et aurait involontairement griffé sa visiteuse au poignet, où subsiste une petite trace. Aux policiers, Béatrice Matis le jure : Monique Lejeune était bel et bien vivante lorsqu’elle l’a quittée.
Sauf que les enquêteurs sont intrigués par ce témoignage. Une perquisition est menée au domicile et dans la voiture de celle qui est désormais suspecte. L’auto est impeccable, contrairement à l’habitation. Tombent alors les résultats des prélèvements effectués sous les ongles de la pauvre Monique : un ADN correspondant à celui de Béatrice Matis s’y trouve.
Déférée, le 29 mars 2003, devant la juge d’instruction Amélie Lefèbvre, en son cabinet de Boulogne-sur-Mer, Béatrice Matis est mise en examen pour « homicide volontaire » et placée sous mandat de dépôt.
Dans le fourgon qui l’emmène à la prison de Loos, Béatrice Matis aurait passé des aveux complets : oui, elle a tué l’épouse de son ex-mari. Celle-ci l’aurait mal reçue et insultée.
Sous le coup de la colère, elle se serait emparée d’un couteau, caché sous le siège de son véhicule, serait revenue chez Monique et l’aurait frappée avant de s’enfuir.
Après avoir jeté l’arme dans un container, elle serait rentrée chez elle, aurait brûlé ses vêtements et ses chaussures, tachés de sang. Mais voilà : trois jours plus tard, Béatrice Matis nie fermement s’être ainsi accusée. Après deux ans et demi de détention, la sexagénaire est remise en liberté sous contrôle judiciaire, en attendant son procès.
Béatrice Matis, défendue par le ténor lillois Eric Dupond-Moretti, a-t-elle ou non tué Monique Lejeune ? Les jurés de la cour d’assises du Pas-de-Calais ont désormais jusqu’à vendredi prochain pour en décider.
Edition France Soir du lundi 5 octobre 2009 page 8
le lundi 5 octobre 2009 à 04:00
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