Le 8 décembre 2009 à 18h00 – Mis à jour le 8 décembre 2009 à 18h36 | ||
Tags : planète justice documentaire Faits divers |
LE FIL TéLéVISION – Condamné à perpétuité pour le meurtre de deux enfants à Montigny-les-Metz en 1986, Patrick Dils, mineur au moment des faits, est resté quinze ans derrière les barreaux avant d’être innocenté, le 24 avril 2002. Aujourd’hui reconstruit, il s’exprime avec force et sérénité dans “Erreurs judiciaires : le combat d’une vie”, un documentaire sur trois “condamnés à tort” que diffuse ce soir Planète Justice. Rencontre.
Patrick Dils : Je ne parlerais même pas de mensonge, plutôt d’omission. Il faut replacer les choses dans leur contexte. Au moment des faits, j’ai tout juste 16 ans. Je trimballe tout le mal-être d’un adolescent qui en voit de toutes les couleurs à l’école, à cause de son physique, de la couleur de ses cheveux… Ce qui aurait fait déborder le vase pour moi à l’époque, c’était qu’on dise : « Oh, t’as vu le petit Dils, c’est un “fouille-poubelle” ! ». Aujourd’hui, n’importe quel adulte dirait que c’est ridicule. Mais quand on est préado ou adolescent, on accorde une grande attention à l’image que les autres peuvent avoir de vous.
En France, notre système pénal repose sur la « culture de l’aveu », et non celle de la preuve. On a pourtant du mal à comprendre comment un innocent, même jeune et influençable comme vous l’étiez, peut avouer un crime qu’il n’a pas commis.
Sans entrer dans des détails, qui seraient trop longs à raconter ici, je dirais qu’on a tous des faiblesses, quelle que soit la période de notre vie. Pour moi, c’était la famille. En plus du fait d’être mineur, introverti et d’avoir subi plus de 30 heures d’interrogatoires. Les policiers ont joué sur cette corde sensible. « Tu dis que tu t’es absenté environ deux minutes ? Oui, on est d’accord. Ta maman a dit que tu es parti cinq minutes, oui, on est d’accord. Mais ton papa nous a dit que tu t’es absenté environ un quart d’heure… » Bien évidemment, mon père était de bonne foi quand il a fait cette déclaration aux policiers, sans en imaginer les conséquences.
Mes parents sont issus d’un milieu ouvrier très modeste. Dans mon enfance, ils m’ont transmis deux vraies valeurs : le respect du monde des adultes et celui de l’autorité. En l’espace de quelques heures, tout cela va s’effondrer. Complètement perdu face aux policiers qui m’interrogent sans relâche, je vais perdre tous mes repères.
A quoi peut-on comparer un ado ? A un morceau de pâte à modeler, à un fruit qu’il suffit de presser pour obtenir des aveux. Allez interviewer des gens qui ont été amenés, en correctionnelle ou aux assises, à livrer ne serait-ce qu’un simple témoignage. Dans 99 % des cas, la personne appelée à la barre vous dira qu’elle s’est sentie extrêmement mal à l’aise, qu’elle n’a ni dormi ni mangé la veille, alors qu’elle n’était pas incriminée. Alors imaginez un seul instant comment on se sent quand on est sur le point d’être accusé d’un double meurtre…
“Condamné à tort” à la réclusion criminelle à perpétuité, vous avez passé quinze ans pour rien derrière les barreaux. On dit souvent que les prisons sont pleines de gens qui se disent innocents. Est-ce une réalité que vous avez observée ?
Oui. Pour les détenus, se proclamer innocent, c’est une façon, non pas de se mettre en valeur, mais de se déculpabiliser de l’acte commis et éventuellement de semer le doute. Il ne faut pas se leurrer : les innocents ne courent pas les prisons. Mais je reste convaincu qu’il y a des gens qui ont été mal jugés, par rapport à un nom, des antécédents, une famille, un faciès… C’est inadmissible. Si l’on se base sur de telles données, à quoi sert la procédure ?
C’est votre mère qui, la première, a lu un article évoquant la présence du tueur en série Francis Heaulme à Montigny-les-Metz le jour du double meurtre.
Oui. Elle a transmis cet article à un de mes avocats en disant que ça serait peut-être bien d’étudier cette piste. Le rôle de ma mère a été primordial : c’est une femme extrêmement droite et déterminée, qui n’a pas froid aux yeux. Quelle maman, qui sait son fils innocent, ne se battrait pas bec et ongles pour le prouver ou essayer de l’expliquer ? Cet amour est très fort et puissant, comme l’est l’innocence.
Dans votre livre, Je voulais juste rentrer chez moi (2002), vous racontez les viols, le racket et l’extrême violence que vous avez subis en prison. En même temps, vous expliquez que vous avez tenu, sans jamais baisser les bras, ni avoir recours aux médicaments… C’est cela aussi, la force de l’innocence ?
Vous savez, l’esprit et le corps humain peuvent être parfois dotés d’une capacité à l’épreuve qu’on ne soupçonne pas. Et la flamme de l’innocence, c’est plus fort que tout ! Ce qui ne veut pas dire que je n’ai pas souffert. J’ai connu d’atroces moments de solitude et le sentiment d’être impuissant. Mais, même dans la journée la plus noire, il y a toujours un petit carré de lumière qui aide à surmonter la situation.
Aujourd’hui, à la différence d’autres innocents, qui restent brisés, vous semblez n’avoir aucune rancune…
Je n’ai absolument pas de haine. Ni même de colère. Je ne crois pas du tout à la loi du Talion. Après qu’on m’ait volé quinze ans de ma vie et une partie de ma jeunesse, je n’ai plus de temps à perdre. Il faut que j’avance sereinement dans l’existence. Mon but, c’est tout simplement de réussir ma propre vie, au niveau professionnel et affectif, comme toutes les ambitions que je peux avoir : développer mon association (La Louve, qui aide des enfants défavorisés), essayer de faire du bien autour de moi, continuer à donner des conférences sur mon expérience.
Le 16 juin 2003, l’Etat vous a versé un million d’euros (répartis entre vous, vos parents, votre frère et vos avocats) pour “réparation”. L’argent peut-il réparer vos souffrances ?
On a tous besoin d’argent pour vivre. En dehors de ça, l’argent n’est en aucun cas réparateur. On peut effectivement estimer combien valent quinze ans de galère et d’emprisonnement pour rien. On obtiendra des chiffres, mais on ne peut pas réparer un préjudice physique et moral et des années de souffrances. L’argent peut éventuellement permettre d’avancer plus rapidement et plus sereinement. Mais je suis un travailleur, un fonceur, et j’ai toujours gagné ma vie honnêtement : je n’ai pas attendu mes indemnités pour travailler. Moins de huit jours après mon acquittement, alors que je suis sorti de prison un mercredi dans la nuit, le mardi matin suivant, à 8 heures, j’« embauchais » [avant d’être incarcéré, Patrick Dils était apprenti-cuisinier. A sa sortie, il a travaillé comme magasinier dans une entreprise de la région parisienne. Aujourd’hui installé en Franche-Comté, il est cariste, NDLR].
Qu’avez-vous pensé de l’ensemble du documentaire, où sont aussi évoqués les cas d’Alain Marécaux, l’huissier de justice condamné à tort dans l’affaire d’Outreau, et celui de Pierre Royal, injustement accusé de viol par l’une de ses élèves ?
Premier point commun : on est tous innocents. Maintenant, les deux autres histoires sont différentes : ils ont connu moins de temps de détention et moins de destruction physique que moi. Pourtant, ils ont du mal à s’en remettre. Ils sont vraiment meurtris. Pourquoi cette différence avec moi ? Je crois que je la dois à mes parents et au caractère que je me suis forgé. Eux avaient déjà leur vie, une famille, un job. Moi, à 16 ans, je n’avais rien construit. Est-ce au bout du compte un avantage ? Je leur souhaite de réussir à retrouver la paix et la sérénité, bref, l’amour de la vie.
Propos recueillis par Emmanuelle Skyvington
Erreurs judiciaires : le combat d’une vie, mardi 8 décembre, 21h35, Planète Justice
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