15 Avril, Deuxième jour de procès à la Cour d’assises de Nouméa

Perles d’audiences dans le Pacifique…

Dans l’enceinte du tribunal de Nouméa, ce mercredi 15 Avril deux mondes se sont succédé à la barre. Les auditions sont nombreuses, denses, longues. L’attention de la Cour est soumise à rude épreuve . Le va et vient entre deux mondes est un exercice qui demande de la concentration aux magistrats, aux jurés, aux avocats, aux experts et aux témoins.

Illustrations :

Marie-Hélène Iékawé, Alolo pour la famille et les amis, belle- sœur d’Antoine et Dydime est appelée comme témoin sur la personnalité des deux frères. Originaire de l’île de Tiga elle vit depuis 23 ans dans la famille Konhu à Kanuméra et Vao. Son mari est chef d’escale à l’aéroport de l’île des Pins, elle est secrétaire médical au dispensaire de Vao. Ils élèvent tous deux 7 enfants, deux filles aînés sportives de haut niveau dont l’une en équipe de France dans une discipline, le volley-ball que pratiquent les jeunes partout sur le caillou et dans les Iles loyauté, le plus jeune fils a 5 ans.

Elle parle de ses beaux-parents « c’étaient les premiers constructeurs de gîtes en tribu sur l’Ile des Pins, en 1986 » . Mais les financements sur fonds public pour les rénovations et les extensions, acceptés dans les palabres coutumiers par les Petits-Chefs n’ont jamais été accordés par le Grand Chef.

Elle parle de leur ligne de conduite : « faire tout pour que les enfants réussissent ».

Elle parle de leur vie avant 2002. « On vivait très heureux sur la plus belle baie de l’île, on a de beaux enfants, on a tous les deux un travail salarié »

Elle admet l’existence d’un conflit avec la grande chefferie mais « une chefferie, c’est tout pour un mélanésien. On ne conteste pas l’Autorité, mais la façon dont elle est exercée par la grande chefferie. Dans notre tribu, on représente l’autorité. Nous, on n’avait pas besoin de ça, à qui profite le crime ? » interroge-t’elle.

Elle revient sur le projet de village artistique monté par Dydime en 1990 « un beau projet : sculpter sur le Rocher en donnant une place à chacune des huit tribus et vendre aux touristes sur la baie, donner une activité aux jeunes pour les occuper sur l’île » . Et évoque la déception énorme dans le groupe quand le projet a été refusé sans qu’une alternative de solution soit donnée aux jeunes qui avaient travaillé dessus. Et la suite, pendant 2, 3 ans parce que « c’est vite fait de marginaliser, c’est plus dur de réintégrer » conclut elle sur l’évocation de ces années 90.

Et elle poursuit sur le drame de 2002 : « cette affaire c’est une souffrance de notre âme depuis 7 ans ».

Elle explique avec ses mots que « les deux (Antoine et Dydime) on les juge pour leurs défauts. Ils ont des qualités, il faut regarder dans le cœur des gens. Leurs défauts, les bêtises qu’ils ont faites, ça fait pas d’eux des assassins. Ils sont différents : Dydime c’est le grand frère, il a la parole facile, Antoine est plus réservé, je suis la femme de son grand frère, il me respecte, ne s’adresse à moi que quand c’est nécessaire, après 23 ans, il me vouvoie encore par respect ! Je leur ai toujours laissé mes filles à garder, en confiance. ». On apprendra d’elle par contre que son travail au dispensaire et ses relations avec les assistantes sociales l’ont conduit à avoir connaissance de plaintes de jeunes femmes au sujet d’agressions, « les plaintes n’ont jamais traversé l’océan » (jusqu’à Nouméa). Et aussi que 20 patients sont suivis par un psychiatre sur l’île « le docteur leur fait des injections régulières ».

Pas vraiment un paradis vu de l’intérieur, une fois replié le dépliant touristique !

Illustrations sur une autre planéte :

Aujourd’hui au tribunal de Nouméa on a vécu ce que Déwé Görödé, vice-présidente du gouvernement de NC, écrivain, femme de cœur et femme de lettres décrit si bien dans un texte offert à Antoine :

Extraits « /…/ Tomber sous le coup de la justice ici procède encore bien souvent d’une mauvaise rencontre de troisième type avec des êtres tombés du ciel ou …de la planète Mars. /…/ Avoir affaire à la justice dans ce pays, c’est encore aujourd’hui se retrouver devant un pouvoir régalien unilatéral avec tous les moyens légaux et répressifs dont il dispose à l’échelle …de la planète Terre.

Et d’abord la maîtrise de la langue dont elle use pour pouvoir ne serait-ce que répondre à la question. Evidemment, il y a le jury populaire, les assesseurs civils et coutumiers, les avocats commis d’office ou les avocats quand on en a les moyens. Mais il faut savoir aussi qu’il n’y a pas d’avocat kanak au barreau de Nouméa où jusqu’à présent et jusqu’à preuve du contraire, il n’y a eu qu’un seul juge Kanak.

Et il n’y a pas non plus de psychologues Kanak pour juger de la personnalité de l’accusé au moment des faits, de l’intérieur, on va dire, puisque c’est justement une science qui va et qui voit à et de l’intérieur. »

Après des heures d’auditions d’experts « tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien »

La querelle de mots cache une querelle de concepts, d’écoles. Chacun d’eux en toute sincérité se réfère à sa formation, son expérience dans un autre hémisphère, ses livres, ses maîtres à penser, ses modèles américains, canadiens, français. Ses grilles, ses planches de tests. Aucun de ses outils n’est adapté à la culture océanienne. Le complexe d’Oedipe est appelé en renfort. Pour comprendre des liens filiaux et expliciter des structurations de personnalités par rapport à l’image de la mère et du père. Dans un pays ou les enfants grandissent en tribu élevés par plusieurs femmes et guidés par des tontons utérins plus importants pour grandir que le géniteur. Dans un pays où on vit maritalement sans se marier tant que les aînés ne sont pas mariés dans l’ordre de la fratrie et tant qu’on n’aura pas du côté du garçon les moyens pour organiser un mariage digne de son clan et de ses coûteuses coutumes.

On retiendra quand même de l’audition du premier expert, médecin psychiatre, quant aux conditions de cette expertise, qu’il a répondu en Mai 2002 à une sollicitation pressante du Juge d’instruction. Il n’avait jamais fait d’expertises en urgence auparavant. Il aura vu Dydime et Antoine moins d’une heure chacun après leur arrestation et leur transfert à Nouméa dans la salle de garde-à-vue .

« Le juge voulait les réponses vite » dira-t’il , « j’ai pu répondre à sa demande », et aussi à propos des rituels supposés « c’est le juge d’instruction qui m’a renseigné » No comment…

Quant au second expert, commis en février 2004 par le même juge d’instruction à qui décidément on ne dit pas non, pour réaliser une contre-expertise psychologique en urgence, après 3 heures d’audition à la barre ce mercredi, il finira par soupirer « je commence à regretter d’avoir accepté de faire une expertise psychologique, je suis psychiatre ! »

Maryvonne Carpentier

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Marie-Hélène Iékawé, Alolo

Personnalités des accusés : bataille d’experts !

Heureusement qu’on n’en a pas entendu qu’un ! On a eu la démonstration qu’une expertise psychologique ou psychiatrique, c’est une vision partielle, et très subjective, qui peut affirmer la thèse contraire de l’expertise précédente …

Dydime, est pour l’un, bon père de famille qui a élevé 4 enfants, pour l’autre, il n’a pas manifesté beaucoup de constance auprès d’eux, pour l’un il est certes impulsif, mais davantage violent dans le verbal, même s’il ne recule pas devant l’affrontement physique, pour l’autre, son narcissisme, la boursouflure de sa personnalité, donc le refus de la critique fait qu’il peut passer à l’acte s’il rencontre une opposition… Quant à Antoine, pour l’un, il est calme, posé, même s’il peut manifester une certaine réactivité dans la tension, il ne souffre d’aucun trouble psychiatrique, d’aucune pathologie alors que pour le Docteur Schlitz, c’est assurément un psychopathe, capable de passer à l’acte, car il a une intolérance majeure à la frustration …Etc. !

Se saisissant de ce diagnostic contesté et contestable, l’avocat de la Partie Civile, par ses questions, reprend sa fable de schéma criminel de 2007 : Antoine n’ayant pas eu de relations sexuelles depuis des mois, se méprenant sur l’attitude de la jeune femme japonaise qu’il a emmenée visiter le rocher ne supporte pas d’essuyer un refus et passe à l’acte barbare…La graine de la culpabilité d’Antoine est semée, gageons qu’elle sera arrosée tous les jours par ce jardinier de l’intime conviction.

Les avocats de la Défense, eux, interrogent pour comprendre comment on peut arriver à des conclusions aussi contradictoires… .Des réponses données hier et aujourd’hui, il apparaît que :

- les expertises ont été réalisées à des dates différentes, au début de leur incarcération en 2002, 2004 et 2007, 2009 … Certaines ont été réalisées en prison. Évidemment, la situation émotionnelle n’est pas la même, le sujet vit différemment l’expertise si elle lui est imposée par le système judiciaire ou si c’est à la demande de son avocat …

- L’outil utilisé est différent. Il s’agit pour le Docteur Schlitz, psychiatre invité à mener une contre-expertise psychologique, de tests, qui ont l’inconvénient d’avoir été créé pour des sujets occidentaux, avec des références occidentales. Les planches, à partir desquelles le sujet est invité à s’exprimer, représentent des scènes de vie courante mettant en scène des personnages européens et renvoient symboliquement à des situations humaines universelles. L’interprétation qu’en fait le sujet peut révéler, et on s’appuie sur des statistiques pour l’affirmer, des troubles de personnalité, tout comme elle peut plutôt simplement révéler un champ d’expériences qui lui est personnel tout simplement… .

Pour le psychologue entendu hier, M. Tibouville, il lui a paru plus pertinent de ne pas utiliser ce genre de tests mais de conduire des entretiens cliniques diagnosticaux au cours desquels, plutôt que le discours explicite, c’est le discours latent qui est observé, analysé, interprété, à partir de critères internationaux. Cette technique permet de déceler d’éventuelles tentatives de manipulation, mais elle n’est possible que si le sujet accepte de collaborer, et l’expert alors se doit de créer la relation de confiance indispensable… Et il se doit d’avoir le moins d’information possible, outre les faits qui sont le prétexte de l’expertise, pour éviter les aprioris.

Or certains, comme le docteur Schlitz, disposait des rapports précédents, qu’il étaye manifestement. D’autre, la confiance ne s’étant pas établie, plutôt que de dire que le diagnostic ne peut être établi, tire des conclusions non étayées.

Pour le Docteur Masson , consulté par visioconférence, aucun des 2 frères ne présente de troubles mentaux. Il est expert national à la Cour de cassation, a fait en 40 ans plus de 10 000 expertises, est venu 42 fois en Nouvelle-Calédonie et rit en se rappelant les erreurs de décryptage des mimiques des gens d’ici, le silence d’un sujet, sa lenteur à s’exprimer ne signifiant pas forcément qu’il est méfiant et qu’il ne veuille pas collaborer. Lui, quand un sujet l’insulte, il évacue, il n’en tient pas compte, cela fait partie de l’ordre des choses étant donné la situation dans laquelle se trouve le sujet. Alors que dans l’entretien avec le psychologue M. Bonneteaux, le fait qu’Antoine ait interrompu la séance en saisissant et chiffonnant sa feuille de notes a été interprétée de façon définitive comme une preuve de propension au passage à l’acte, une incapacité à réfréner son impulsivité, à dominer sa frustration, critères répertoriés pour déclarer quelqu’un de psychopathe.

Les simples observateurs que nous sommes avons bel et bien relevé des déductions hâtives du style « il veut faire de la gestion, il aime donc le calcul, il est calculateur », des attitudes projectives « je sentais, « j’avais le sentiment », et des oublis d’objectivité : il « prétend » que le rocher leur appartient, il « s’accapare » le rocher …

Heureusement aussi qu’il a été dit que la psychiatrie, la psychologie ne sont pas des sciences objectives, mais bel et bien un ART … Façon de s’excuser de tout ce flou artistique ? Immanquablement, ces terribles affirmations sèment le doute. Ce doute qui en 2007 n’avait pas profité aux accusés. La partie civile semble pointer sa stratégie : elle applique le « On ne change pas une équipe qui gagne. Puisque ça a marché une première fois, pas de raison que ça ne marche pas une seconde fois » L’opération consiste à installer le décor avec le plausible, le moins certain, le farfelu et attendre qu’il y ait une fusion , ne macération entre toutes les déductions en comptant qu’il y aurait un soupçon résiduel en fin de parcours. C’est une stratégie et elle se respecte puisqu’elle a apporté ses fruits dans d’autres procès et qu’on a vu des innocents se faire condamner. C’est ainsi que se fait le lit de l’arrêt de la cour et des erreurs judiciaires.

C. Delorieux

La Tragédie du Rocher – journée du 1è avril du procès en appel : Un témoin peut en cacher un autre.

Le recit du proces Konhu : lundi 20 Avril

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