Après La Soif du Mal, Orson Welles rompt les ponts avec l’industrie américaine du cinéma. Il commence à travailler à une adaptation du Don Quichotte de Cervantes mais là encore la production est houleuse. Finalement, Welles trouve dans le roman de Franz Kafka Le Procès le support idéal pour l’expression de ses obsessions, d’autant qu’elles ont consolidées par ses difficultés perpétuelles.
Les frères Salking laissent carte blanche à Welles pour réaliser son film mais le cinéaste était quand même obligé de composer avec un budget plus serré que ce à quoi il aspirait. Welles doit renoncer aux ambitieux décors qu’ils projetait de faire construire dans un studio de Zagreb et devra se contenter de tourner en grande partie son film dans la gare d’Orsay à Paris.
Le Procès d’Orson Welles est plutôt fidèle au roman de Kafka, jusque dans de nombreux détails, mais demeure une réinterprétation du livre. Le film est introduit par un prologue, le récit symbolique d’un homme qui veut franchir les portes de la Loi gardées par un garde qui lui empêche l’accès. La séquence est animée, qui rappelle les gravures imprimées dans certains livres, et est la transposition d’un chapitre qui intervient tard dans le roman. Elle est surtout le cadre et la structure d’un récit nébuleux et baroque qui nous projettera pleinement dans le cauchemard de Welles. L’histoire débute vraiment avec le réveil de Joseph K. Un homme est dans sa chambre qui commence à l’assailir de questions, plus ou moins anecdotiques d’ailleurs. Un deuxième individu, puis un troisième, entrent à leur tour. La notion de persécution s’impose immédiatement. La scène est filmée pour grande-partie en plan-séquence, non pas que Welles soit absolument obsédé par cette idée, mais parce qu’elle s’intègre à une mise en scène générale qui peut à peu révèlera tous son sens.
Joseph K. est accusé et l’on vient le chercher pour son procès. Comme dans le roman, on ne saura jamais rien du motif qui vaudra au héros sa perte, et l’on aura aucun véritable indice concernant l’accusation. De la même manière que le livre par Kafka, l’adaptation par Welles contient une évidente résonnance politique, qui dénonce l’oppréssion étatique et bureaucratique, les deux étant liés. Mais on peut s’interroger aussi sur le sens de ce récit du point de vue de Welles lui-même. Le Procès pourrait être celui que les décideurs du cinéma ont perpétuellement intenté à l’artiste toutes ses années. Le sentiment de persécution pourrait être celui du cinéaste lui même, les portes de la lois, qui devront être franchies tout au long du film, pouvant tout aussi bien être les portes de la bureaucratie des sociétés modernes commes celle de la bureaucratie un peu plus privée des grands studios de cinéma.
Le Procès propose à Joseph K. de franchir une à une quelques portes. Pour lui, il s’agit d’abord de se battre pour prouver son innoncence et obtenir son acquitement, mais le principe tortueux est bien plus inquiétant que cela. Le parcours de Joseph K. est proprement infernal, qui à chaque porte franchie, se coince encore plus dans un cauchemard qui à l’écran est traduit tout à la fois par le caractère de plus en plus névrotique de Joseph K (Anthony Perkins), mais aussi par une mise en scène baroque, surchargée, fortement allégorique et de plus en plus étouffante. La première scène, parce qu’en plan-séquence dans un décor dépouillé, induisait une certaine liberté, un espace pour que le personnage puis évoluer physiquement et aussi respirer. Plus le film avance, plus le décor est donc surchargé, plus l’espace réservé au personnage se réduit, plus le montage s’accélère. Joseph K est comme dans une spirale intérieure dont il ne pourra pas se libérer.
Dans son parcours, Joseph K. se trouve confronté essentiellement à des femmes. Par elles, Welles dessine le portrait d’un Joseph K. faible, manipulable. Welles englobe son récit d’une charge érotique mais qui a une influence quasi démoniaque (Welles insiste d’ailleurs parallèlement sur leurs monstruosités, le personnage joué par Romy Schneider révèle sa difformité etc.) sur le héros soumis à elles, corrompu par le désir qu’il peut avoir pour chacunes et qu’elles ont pour lui, et qui asseoit par la même ses sentiments de culpabilité, de frustration. Joseph K. est plus que jamais la victime d’un système proprement cauchemardesque, ou les fantasmes et l’illusion prennent la place d’un quelconque réalisme. La métaphore est developpée jusqu’à son terme, et une conclusion désespérée qui n’est pas tout à fait fidèle à celle du roman mais qui augmente encore plus la charge antitotalitaire de Welles. Le cinéaste fait exploser son héros par une bombe, qui n’est pas un écho aux bâtons de dynamites en ouverture de La Soif du Mal, mais plutôt à l’idée de conclusion que Welles avait pour son Don Quichotte, à savoir une explosion atomique. Là, l’explosion n’est pas nucléaire mais elle renvoie quand même à cette idée de la Bombe A., symbole extrême de la toute-puissance totalitaire…
Benoît Thevenin
Le Procès – Note pour ce film :
Réalisé par Orson Welles
Avec Anthony Perkins, Orson Welles, Romy Schneider, Jeanne Moreau, Elsa Martinelli, Madeleine Robinson, Suzanne Flon, Akim Tamiroff, Fernand Ledoux, Michael Lonsdale, Van Doude, Jess Hahn, Billy Kearns, Jean-Claude Rémoleux, …
Année de production : 1962
Sortie française le 22 décembre 1962.
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