Xavier Beneroso

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Jean de Maillard est le vice-président du tribunal de grande instance d’Orléans. La suppression annoncée du juge d’instruction, il la voit d’un très mauvais œil. Pour ce magistrat en poste depuis vingt-sept ans, spécialisé dans la grande criminalité financière, cela annonce la fin de l’indépendance des magistrats commencée sous la gauche et achevée sous la droite. Entretien avec un juge sans concession.

FRANCE-SOIR. Que pensez-vous de l’autonomie de l’enquête revendiquée par la garde des Sceaux ?
JEAN DE MAILLARD. Michèle Alliot-Marie
fait un beau discours qui est émouvant sur le plan du respect de la Justice. Mais en réalité, la garde des Sceaux n’offre aucune garantie. Les magistrats du parquet sont soumis à leur autorité hiérarchique. Ils n’ont pas de statut d’indépendance. Aujourd’hui, pour la plus petite des affaires, le procureur ne prend plus d’initiative. C’est un processus de reprise en main qui a été enclenché lorsqu’Elisabeth Guiguou était Place Vendôme, sous la gauche (entre 1997 et 2000, Mme Guigou a été ministre de la Justice du gouvernement Jospin). Ce verrouillage a été fait de manière très habile… Il faut bien comprendre que les chefs de juridiction doivent passer un examen de bonne conduite tous les sept ans. Si, au bout de cette période, ils n’ont pas tenu leurs juges, ils sont mis sur la touche ! Alors…

Comment au quotidien se passent les relations entre les procureurs et leur hiérarchie en lien avec la Chancellerie ?
Aujourd’hui, les procureurs sont « caporalisés ». Sous surveillance. Ils sont obligés de rendre compte en permanence. Et les instructions sont toujours données par oral. Personne ne le voit, même pas la journaliste. Les procureurs passent leur temps au téléphone… Ils vont chercher les ordres. C’est cela qui a changé aujourd’hui. A mon avis, exception faite d’Eric de Mongolfier (NDLR : procureur au tribunal de grande instance de Nice), il y a peu de procureurs indépendants. Les parquetiers ne sont que des exécutants, des gratte-papier aux ordres !

Comment en est-on arrivé à cette situation ?
J’avoue ne pas comprendre très bien pourquoi le chef de l’Etat veut supprimer le juge d’instruction et confier les enquêtes uniquement au parquet. Le juge d’instruction était le magistrat le plus surveillé de France. Pourquoi faire tout ce cinéma ? Tous les gouvernements successifs avaient réussi à étouffer, à garrotter le juge d’instruction. Il était en état de mort clinique. Il n’avait plus de pouvoir, plus de moyens. Une situation favorable pour le personnel politique. En plus, si le juge d’instruction était bête, paresseux, ou carriériste… Le pouvoir savait que le dossier « sensible » ne sortirait jamais…

Que craignez-vous aujourd’hui ?
Que les parquets étouffent les affaires ! Prenez le dossier de Julien Dray (NDLR : M. Dray fait l’objet d’une enquête préliminaire pour abus de confiance par le parquet de Paris depuis le 10 décembre). Vous avez là une affaire dont l’enquête et la décision finale seront forcément politiques. Soit on a affaire à un montage et le député socialiste sera blanchi. Soit il sera renvoyé devant un tribunal. Mais pour le moment la situation est la suivante : personne ne sait si les charges sont fondées ou non, et Julien Dray ne peut même pas se défendre !

Quelle serait votre solution ?
Je n’ai pas changé de point de vue depuis vingt ans. Depuis la commission Delmas Marty qui préconisait un système à l’italienne. On a déporté les pouvoirs du juge d’instruction vers le parquet qui est réellement indépendant. Le chef de l’enquête n’a de compte à rendre. Mais ce n’est pas ce qui se passera en France…


Comme Marc Trévidic, les juges d’instruction refusent de mourir

Reuters Thierry Lévêque

Le magistrat Marc Trévidic a marqué le refus des juges d’instruction français d’accepter la suppression de leur fonction en relançant des affaires comme celles des moines de Tibéhirine ou de l’attentat de Karachi. 

Ce magistrat de 42 ans a ouvert dans ces dossiers des pistes embarrassantes pour l’Etat français, soupçonné d’avoir connu des suspects ou les scénarios d’attentats, sans les rendre publics pour protéger ses liens diplomatiques ou ses intérêts.

Nicolas Sarkozy a annoncé en janvier dernier la suppression de la fonction de juge d’instruction, magistrat indépendant par son statut. Il doit être remplacé pour toutes les enquêtes par les procureurs, nommés sur décret du président de la République.

Le juge Marc Trévidic s’oppose publiquement à cette réforme. Il a participé avec d’autres magistrats à un rassemblement de protestation en début d’année.

“Ces affaires montrent que le juge d’instruction est indispensable. Il faut des juges d’instruction pour que les affaires d’Etat puissent être instruites sans pressions”, a dit à Reuters Emmanuelle Perreux, présidente du Syndicat de la magistrature, classé à gauche.

Marc Trévidic a repris en juin 2006 d’importants dossiers instruits auparavant par un autre juge d’instruction, Jean-Louis Bruguière, qui a quitté ses fonctions pour se présenter sous l’étiquette de l’UMP aux législatives de 2007, sans succès.

Réputé connaisseur des affaires depuis son passage à la section antiterroriste du parquet en 2000-2003, Marc Trévidic n’a fait qu’approfondir des éléments jamais exploités.

RAISON D’ÉTAT

Ainsi, dans le dossier de l’attentat contre une synagogue parisienne de la rue Copernic, qui avait fait quatre morts en 1980, il a fait arrêter au Canada en novembre 2008 un enseignant en sociologie d’origine palestinienne, Hassan Diab.

Suspecté d’être membre d’un groupe armé palestinien ayant revendiqué l’attentat, le FPLP-OS, son nom figurait dans le dossier depuis 1999 mais il aurait été épargné en raison de réticences de certaines branches des services secrets français, estime une source judiciaire française.

Dans l’affaire de l’attentat de Karachi, qui a fait 14 victimes dont 11 employés français de la Direction des constructions navales en mai 2002, le juge Trévidic a dit aux victimes le 18 juin qu’il considérait comme “logique” la piste d’une action commanditée par des militaires pakistanais.

Ils auraient voulu punir la France de l’arrêt du paiement de commissions occultes sur des contrats d’armement. En partie redirigé vers Paris, l’argent aurait financé la campagne présidentielle de 1995 d’Edouard Balladur, que soutenait Nicolas Sarkozy, selon des dépositions et documents du dossier.

Là encore, la piste figurait dans certaines dépositions recueillies dès l’origine, mais elle n’a jamais été approfondie.

Le juge Trévidic a demandé la levée du secret défense dans ce dossier.

Il pourrait faire de même dans l’affaire de l’assassinat en 1996 de sept moines français en Algérie. La déposition d’un général français ouvre la piste d’une “bavure” de l’armée algérienne, scénario connu dès l’origine par la Défense et l’ambassade de France à Alger, mais caché, a dit le témoin.

“On n’imagine pas un magistrat du parquet mener des investigations aussi approfondies concernant d’aussi près l’Etat”, a dit à Reuters Christophe Régnard, président de l’Union syndicale des magistrats (majoritaire).

“Il faut que le système assure la possibilité à des juges qui veulent faire leur travail de pouvoir le faire”, dit-il.

Les syndicats s’appuieront sur ces exemples pour combattre la suppression du juge d’instruction et un autre projet restreignant l’accès des juges aux lieux et documents classés secret défense, qui doit être examiné au Sénat en juillet.

Edité par Yves Clarisse

2 réponses
  1. jean demaillard intime conviction
    jean demaillard intime conviction dit :

    j aurai bien voulu lire ce livre de jean demaillard qui devait paraitre en octobre 2009je regrette car celui ci est tres bon auteur

    Répondre

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