En 1990, La Croix avait mené une enquête inédite sur les cours d’assises. Vingt ans après, nous avons refait ce travail. Il apparaît que les homicides sont en baisse constante, alors que les viols augmentent sensiblement. Les peines, elles, sont considérablement plus sévères
Une partie des avocats de la défense attendent, le 04 mai 2004 dans la cours d’assises du Pas-de-Calais à Saint-Omer, le début du procès Outreau (Charlet/AFP).
On entend tout et son contraire sur les assises. Certains dénoncent un laxisme grandissant, quand d’autres fustigent une politique pénale trop répressive. Les victimes se plaignent de l’indulgence des peines, quand les avocats de la défense dénoncent des sanctions toujours plus lourdes. Comment s’y retrouver ?
C’est précisément ce à quoi s’est attelée La Croix en comparant à vingt ans d’intervalle l’activité des cinq cours d’assises siégeant à Douai, Paris, Aix-en-Provence, Lyon et Versailles. En s’appuyant sur les verdicts rendus entre 1985-1989 puis entre 2004-2008 pour trois catégories de crimes pour viol, homicide volontaire et vol criminel (avec effraction, en réunion, avec armes, etc.). De cette comparaison inédite, il ressort plusieurs constats impressionnants.
Des homicides en baisse
C’est le premier enseignement majeur. En vingt ans, le nombre d’homicides volontaires a sensiblement baissé. À la cour d’assises de Paris par exemple, 105 personnes ont été jugées pour ces faits ces cinq dernières années, contre 279 il y a vingt ans. À Lyon (Rhône), la baisse enregistrée est de 60 %.
La chancellerie relativise certes cette diminution en rappelant qu’elle ne dépasse pas 14 % au plan national. Mais du côté de l’Observatoire national de la délinquance (OND), on assure que le nombre d’homicides enregistré par la police a baissé de 30 % en quinze ans et qu’il a même atteint son plus bas niveau en 2009.
« Les statistiques sanitaires, policières et judiciaires abondent toutes dans le même sens. La période actuelle est la moins meurtrière depuis le début du XXe siècle », confirme le sociologue Laurent Mucchielli, auteur de L’Histoire de l’homicide en Europe (1). « Ce constat invite à une plus grande prudence celles et ceux qui embrassent un peu vite l’air du temps et s’inquiètent d’une montée de la violence physique ».
Davantage de viols jugés
À cette baisse des homicides répond une augmentation considérable du nombre de viols soumis aux jurés. Alors que les vols criminels constituaient la majorité des affaires renvoyées aux assises il y a vingt ans, ils se trouvent aujourd’hui relégués loin derrière les viols. À Douai, par exemple, les vols ont baissé de 44 % quand les viols, eux, ont augmenté de 70 %.
Constat identique à Aix-en-Provence, qui compte sur vingt ans deux fois moins de vols et 40 % de viols supplémentaires. Une évolution qui fait écho aux statistiques nationales de la chancellerie, selon lesquelles les viols renvoyés devant la justice ont augmenté de 179 % en vingt ans, quand les vols accusaient une baisse de 42 %.
Toutefois, que l’on ne s’y trompe pas. Ces chiffres ne signifient pas nécessairement que davantage de violeurs passent à l’acte. « Cette évolution démontre avant tout que les services policiers et judiciaires sont davantage à l’écoute des victimes », souligne Me Anne Jonquet, avocate à Bobigny et spécialiste de ce contentieux. « Les crimes sexuels sont d’autant plus fréquemment portés à la connaissance des autorités que plusieurs lois récentes ont étendu la définition même du viol. »
Depuis 1990, par exemple, la Cour de cassation reconnaît le viol entre époux. En 1994, le nouveau code pénal a donné une définition plus large du viol. Enfin, depuis 2004, tout adulte a la possibilité, à sa majorité, de porter plainte pour un viol subi dans son enfance et cela pendant vingt ans, c’est-à-dire jusqu’à l’âge de 38 ans. Autant de réformes ayant abouti à une multiplication de procès.
Des condamnations de plus en plus sévères
Autre phénomène mis au jour grâce à notre enquête. En vingt ans, les peines de prison se sont considérablement allongées. Le nombre de condamnations à plus de 10 ans de réclusion a fait un bond impressionnant. À preuve, il y a vingt ans à Versailles, 25 % des violeurs écopaient de plus de dix ans de prison, c’est le cas de 45 % d’entre eux aujourd’hui. Dans cette même cour d’assises, le constat est plus saisissant encore en matière d’homicide : il y a vingt ans, 35 % des condamnés se voyaient infligés plus de dix ans de réclusion, contre 80 % aujourd’hui.
À cela, plusieurs raisons. La flambée, dans les années 1990, du contentieux portant sur les crimes sexuels commis sur mineurs ne serait pas étrangère à cette évolution. Me Alain Molla, avocat pénaliste depuis trente-trois ans notamment à la cour d’assises des Bouches-du-Rhône (Aix-en-Provence), situe le début de cette sévérité accrue à ces mêmes années.qui atteignit tous les crimes », estime-t-il.
Cette évolution des mentalités s’est accompagnée d’une empathie plus grande en direction des victimes. « Or, elles ont aujourd’hui tendance à demander un surplus de pénalité dans l’espoir de compenser ainsi leur douleur », estime Denis Salas, magistrat et auteur de La Volonté de punir (2). « Dans ce contexte, la sévérité des peines ne peut que s’accroître… »
Des verdicts plus cohérents d’une cour à l’autre
Alors qu’il ressortait des statistiques recueillies il y a vingt ans des verdicts très contrastés, on constate cette fois une certaine cohérence dans les sanctions prononcées aux différents coins de France. Ce qui n’empêche pas la cour d’assises siégeant à Aix-en-Provence de se distinguer légèrement des autres pour sa sévérité, de même que pour son taux d’acquittement élevé puisqu’il concerne plus de 10 % des prévenus, contre 5 % en moyenne ailleurs.
Autre constat, conforme cette fois à celui dressé il y a vingt ans : la cour d’assises de Paris reste la plus indulgente des juridictions. Un président de cour d’assises ayant siégé à Paris et en province avance une possible explication : « Le niveau d’études des jurés y est souvent plus élevé qu’ailleurs. Lors des délibérations, ils débattent de manière souvent plus abstraite et distante de l’acte commis. Ils prennent plus souvent en compte la souffrance psychique de l’accusé. Tout cela a tendance à diminuer la peine. »
Des acquittements stables et des appels limités
Dernière leçon : la proportion des acquittements est, elle, restée plutôt stable au fil des ans. Ainsi à Douai, on passe de 6,4 % d’acquittés à 6,6 %, à Versailles de 4,6 % à 4 %, à Lyon de 3,1 % à 2,5 %. Enfin, n’ayant été introduite qu’à partir de l’an 2000, la possibilité de faire appel des verdicts d’assises empêche toute comparaison avec les chiffres collectés par La Croix dans les années 1980.
Cependant, une étude menée par la chancellerie pour les années 2003-2005 montre que l’appel n’a que peu d’incidence sur le verdict final. Seule une personne sur quatre y recourt. Et parmi elles, moins d’une sur dix voit sa peine inversée (passant du statut d’acquitté à celui de condamné, ou l’inverse). Toutes les autres écopent de sanctions proches de celles prononcées en première instance.
Une comparaison qui se situe au moment où une nouvelle réforme pénale pourrait voir le jour. Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux, doit en dévoiler les contours en février (lire les Repères). Mais, d’ores et déjà, avocats et magistrats parient sur une nouvelle évolution des sanctions. La motivation des verdicts d’assises pourrait notamment y contribuer.
C’est en tout cas l’opinion de l’avocat pénaliste Me Gilles-Jean Portejoie : « En empêchant les jurés de s’en remettre à leur seule “intime conviction” et en leur demandant d’expliquer la démarche qui les amène à condamner, le doute de certains apparaîtra au grand jour. » À suivre donc, et rendez-vous dans vingt ans…
Marie BOETON
(1) En collaboration avec Pieter Spierenburg, Éd. La Découverte, 2009, 27 €.
(2) Chez Hachette, 2005, 8,50 €.
Deux sources ont été utilisées pour réaliser cette enquête:
Les verdicts de 1985 à 1989 portant sur trois crimes dans cinq cours d’assises ont été collectés en 1990 par la rédaction directement auprès des greffes des cours.
Les verdicts vingt ans après (2004 à 2008) portant sur les mêmes crimes et les mêmes cours d’assises ont été obtenus auprès du service statistique de la chancellerie, qui collecte dorénavant ces chiffres, sauf les acquittements, obtenus de chaque greffe.
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Les assises : textes et réformes à venir
LES TEXTES VOTÉS
Depuis 1990, quatre grands textes au moins ont fait évoluer les assises.
Un nouveau code pénal en 1994, qui redéfinit notamment la notion de viol.
La loi du 15 juin 2000, qui ouvre la possibilité de faire appel des verdicts d’assises.
La loi du 10 août 2007, qui crée les peines planchers et impose une sanction minimale pour les récidivistes.
La loi du 25 février 2008, qui autorise la rétention en fin de peine, sans limite dans le temps, de personnes supposées dangereuses.
LA RÉFORME À VENIR
La ministre de la justice Michèle Alliot-Marie doit présenter ce mois-ci les contours de la future procédure criminelle. Voici les préconisations formulées par le rapport Léger dont elle devrait s’inspirer :
Présence renforcée des avocats en garde à vue, avec accès aux procès-verbaux dès la 12e heure.
Création de délais butoirs en matière de détention provisoire. Les personnes poursuivies pour crime ne pourraient pas être privées de liberté plus de deux ans. Si à l’issue de cette période, la personne mise en cause n’a pas été jugée, elle devra être remise en liberté.
Nouveau rôle pour le président d’assises. Ayant aujourd’hui la possibilité de rechercher la vérité en posant des questions, le président pourrait à l’avenir être cantonné au rôle d’arbitre en veillant uniquement au bon déroulement des débats.
Introduction du plaider-coupable en matière criminelle. La «reconnaissance préalable de culpabilité » devrait permettre d’accélérer les procédures, en incitant à avouer le crime. En échange de quoi, la peine maximale encourue serait minorée, sauf si la personne poursuivie risque la perpétuité.
Motivation des verdicts. Aujourd’hui, les verdicts d’assises sont fondés sur l’intime conviction. Ils pourraient devoir être motivés.
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Trois regards experts sur les assises
Le premier a présidé plusieurs centaines de procès dans trois grandes villes du Sud-Est. Le deuxième tient le rôle de l’avocat général depuis plus de dix ans aux assises de Paris. La troisième, avocate pénaliste, défend depuis quinze ansdes accusés en région parisienne. Paroles sans fard de trois professionnels
« Le regard sur les affaires de viol a évolué »
Jean-Marie Fayol-Noireterre, ancien président de cour d’assises et formateur
Observer, scruter l’évolution des mentalités, telle a été l’opportunité offerte à Jean-Marie Fayol-Noireterre pendant quinze ans. Président de cour d’assises à Saint-Étienne (Rhône-Alpes) de 1990 à 2000, puis à Grenoble (Isère) et à Valence (Drôme) entre 2000 et 2005, le magistrat a participé aux délibérations des jurés dans plusieurs centaines de procès. Aujourd’hui âgé de 70 ans, il était il y a trois mois encore formateur à l’École nationale de la magistrature, face à de futurs présidents de cours d’assises à qui il prodiguait ses conseils.
Durant toutes les années où il a présidé les assises, ce magistrat a pu voir « le regard des jurés sensiblement évoluer sur les affaires de viol ». « C’est surtout, dit-il, l’évolution des jurés masculins qui m’a étonné. Ils sont devenus aussi sévères que les femmes, voire plus encore ! » Fini l’époque où certains laissaient entendre que le comportement de la victime était en partie responsable de son malheur. « Ce genre d’allégation a totalement disparu. Les hommes sont devenus très sensibles au sort des femmes victimes. » Et le juge d’analyser : « L’idée d’être identifié aux accusés de viols en tant qu’homme les met sans doute mal à l’aise. Au final, ce sont parfois eux les plus sévères au moment de décider du montant de la peine. »
Le président d’assises se remémore ainsi une délibération houleuse entre deux jurés : « Un homme plaidait pour qu’on condamne un violeur à douze ans alors qu’un autre juré, une femme en l’occurrence, demandait, elle, que l’on s’en tienne à huit. Cela n’en finissait pas. Tout à coup, la jeune femme a éclaté en sanglots et a raconté qu’elle avait elle-même été violée dans sa jeunesse. Elle ne s’était jamais confiée à qui que ce soit. C’était saisissant de voir que cette femme, elle-même victime, réclamait une peine plus clémente que son homologue masculin… »
Autre différence observée par le magistrat entre les hommes et les femmes : ces dernières s’avèrent beaucoup plus exigeantes en matière de preuves. « Elles cherchent toujours à savoir si les faits sont clairement établis, notamment en matière d’atteinte sexuelle. Plus attentives à cet aspect en tout cas que leurs collègues masculins », assure Jean-Marie Fayol-Noireterre. De quoi faire dire à l’ex-président de cour d’assises que « les avocats des accusés poursuivis pour viol se trompent souvent lorsqu’ils récusent les jurés femmes au prétexte qu’elles seraient forcément plus dures que les hommes ».
« Une plus grande tolérance envers certains crimes familiaux »
Philippe Bilger, avocat général
Les peines de plus en plus lourdes prononcées par les cours d’assises sont-elles dues à une sévérité croissante des jurés ? À entendre l’avocat général près la cour d’appel de Paris, Philippe Bilger, les choses ne sont pas si simples. Lui qui depuis 1999 a requis aux assises dans des procès médiatisés – celui de Bob Denard, d’Émile Louis ou de Youssouf Fofana – s’étonne de la très grande imprévisibilité des verdicts finalement prononcés. Certains vont bien au-delà de son réquisitoire. D’autres, au contraire, conduisent presque à dédouaner l’accusé.
« Certains criminels sont ainsi beaucoup plus lourdement condamnés que par le passé quand d’autres, à l’inverse, bénéficient d’une quasi “absolution” », souligne le magistrat. Pour lui, les condamnés les plus lourdement sanctionnés ont presque tous le même profil. Ils ont porté atteinte à l’intégrité physique ou à la vie de leur victime sont récidivistes et avaient un discernement altéré au moment des faits. « Les jurés semblent convaincus que ces individus-là continueront à agir de même par la suite, précise le magistrat. Ils écopent, en conséquence, de peines qui ne cessent de s’alourdir au fil des ans. »
Une évolution étonnante quand on sait que le fait d’avoir un discernement altéré devait, à l’origine, conduire à abaisser la peine prononcée. « Ce n’est plus le cas aujourd’hui, renchérit Philippe Bilger. Le déséquilibre psychique amène plutôt les jurés à durcir les sanctions. »
À l’inverse, l’avocat général a remarqué que le jury populaire se montre de plus en plus tolérant envers certains crimes commis au sein de la famille. « La détresse de certains accusés les bouleverse », analyse l’avocat général, qui rappelle les verdicts très cléments – voire les acquittements – prononcés fréquemment dans les affaires d’euthanasie ou d’infanticides de nourrissons ou d’enfants handicapés. « Les prévenus impliqués dans ce type d’histoires familiales douloureuses bénéficient d’une compréhension nouvelle, note Philippe Bilger.
Les jurés sondent, plus que par le passé, leur épaisseur psychologique. Ils sont très sensibles à la part d’humanité de ces criminels et se demandent comment, eux-mêmes, auraient réagi dans une pareille situation. » Que penser alors de ces jugements parfois cléments ? Le magistrat s’avoue troublé : « Je me garderai bien de commenter de tels verdicts car chaque histoire est singulière. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que, quelle que soit la décision, ces affaires doivent continuer à être jugées aux assises. »
« On s’est aperçu que les avocats femmes étaient sérieuses ! »
Clarisse Serre, avocate pénaliste
Avec sa longue chevelure brune et bouclée, sa taille élancée et son allure décidée, on la surnomme « la lionne » dans les prétoires. À 38 ans, Clarisse Serre, avocate pénaliste depuis quinze ans, fait partie d’une espèce rare. Elle plaide aux assises au milieu d’un monde très masculin – « macho », dit-elle même ! Avant d’ouvrir son propre cabinet à Paris, elle a été la collaboratrice de quatre grands ténors (Patrick Maisonneuve, Pierre Haïk, Paul Lombard et Philippe Dehapiot) et n’a jamais dévié de sa trajectoire. Pour faire sa place dans les salles d’audience – à Versailles, Évry et Paris notamment –, elle a dû batailler. Fière de dire qu’aujourd’hui, certains clients viennent la trouver pour faire appel alors qu’en première instance, défendus par des grands noms, ils ont écopé d’une lourde peine.
Une audience aux assises, « c’est un travail intense de chaque minute », dit-elle. Quand il y a 25 accusés dans le box, il ne faut pas en laisser un dans l’oubli. Il faut aussi être disponible quand on est seule à assurer la défense. Ne rater ni un mot, ni un regard, ni une attitude. Connaître son dossier par cœur pour relever un détail oublié par le président. Veiller à l’agenda : « Un témoin qui passe à dix heures du soir, cela n’a pas le même impact sur les jurés. Il faut être là à 100 %. » Car aux assises, rien n’est jamais acquis.
À commencer par le verdict. Clarisse Serre dit n’avoir eu jusqu’ici qu’un seul acquittement. « J’ai dû me battre pour cela. » En revanche, elle s’est parfois dépensée avec succès pour obtenir une peine plus légère. Elle se souvient ainsi de ce jeune qui en première instance avait pris dix-huit ans de réclusion pour une agression sur une vieille dame. Un dossier difficile à plaider. Pourtant en appel, la peine a été ramenée à huit ans. « Aux assises, on remet tout à plat. Avec un président consciencieux, des jurés attentifs, on peut relativiser le rôle d’un accusé. »
Enfin elle aime la plaidoirie. « Ce n’est pas l’aspect essentiel, mais si celle-ci est bonne, cela ne fait pas de mal ! Il faut s’y lancer à fond, ne pas être timide et bien sentir que l’on plaide pour quelqu’un », soutient-elle, tout en avouant aimer que les confrères la félicitent.
Il y a quelques années encore, une avocate pénaliste était forcément une simple assistante. Plus maintenant. « J’ai parmi mes clients des vieux routiers du grand banditisme. Ils se sont aperçus que les femmes savaient s’imposer face au président, qu’elles étaient sérieuses, connaissaient leurs dossiers et avaient de bons résultats. »
Un métier prenant pour cette jeune mère de trois enfants dont l’aînée veut déjà suivre la trace. Une seule fois, elle a voulu quitter le métier. On jugeait une évasion de la prison de Fresnes. Elle défendait un homme qui, sans être parmi les organisateurs, avait profité de l’occasion pour fuir. Il a pris huit ans et fait une tentative de suicide à Noël. « Les avocats hommes n’y mettent pas autant d’affectif. Moi j’ai voulu tout plaquer. “Il faut te relever”, m’a dit un confrère. Je l’ai écouté. »
Marie BOËTON et Marie-Françoise MASSON
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Une protection renforcée pour les personnes âgées
Un amendement du gouvernement a été adopté mercredi 27 janvier par la commission des lois de l’Assemblée nationale lors l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi).
Ce texte, qui doit être débattu au Parlement à partir du 9 février 2010, prévoit de porter les peines de prison de cinq à sept ans pour les vols commis au préjudice de personnes vulnérables (dont les personnes âgées) et de porter de sept à dix ans la peine encourue pour les vols avec violence commis à leur encontre.
Cette annonce a été faite par Brice Hortefeux le week-end du 30 janvier après le double meurtre de deux personnes âgées dans l’Oise.
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A Madrid, une autre idée des droits de la défense
La justice espagnole est soucieuse du droit des accusés. Mais se montre inflexible lorsqu’il s’agit de terrorisme. Exemple, la garde à vue
Est-ce le souvenir douloureux du franquisme ? En Espagne, les droits des accusés sont sensiblement plus importants qu’en France. Un exemple peut être trouvé avec la garde à vue. Dès 1978, la Constitution espagnole a défini les droits individuels des détenus pendant cette période. Cette garde à vue ne pourra donc pas durer plus de 72 heures, pendant laquelle la présence de l’avocat sera obligatoire. Alors qu’en France, on s’interroge encore aujourd’hui sur cette présence dès la première heure.
En Espagne encore, au-delà des 72 heures, le détenu sera déféré à la justice ou libéré. Toute personne détenue doit être informée dès qu’elle est arrêtée, de ses droits, de la raison de sa détention et peut décider de se taire. « Aucun interrogatoire ne peut avoir lieu sans la présence d’un avocat quelle que soit l’affaire de droit commun. Sinon l’enquête de la police est déclarée nulle », explique l’avocat Fernando Piernavieja, président du Comité d’accès à la justice du Conseil des barreaux européens (CCBE) et membre du Comité du pénal et des droits humains du CCBE.
La Constitution prévoit également que toute personne détenue illégalement peut faire reconnaître ses droits en justice. « Du coup dans 99 % des cas, la procédure est respectée. D’après une étude comparative que nous avons effectuée auprès de différents pays européens, l’Espagne est l’un des pays qui offre le plus de garanties en ce domaine. »
«De telles mesures peuvent entraîner des dérives graves»
Paysage tout différent pour les questions de terrorisme. Cette fois, c’est l’Espagne qui se montre plus dure que la France.
Durant cinq jours (au lieu de 72 heures en France), le suspect d’activités terroristes peut être retenu et interrogé par la police sans pouvoir communiquer avec quiconque. Mis ensuite entre les mains d’un juge, ce dernier peut autoriser la prolongation de cette détention pendant huit jours. « Cette procédure constitue une énorme difficulté », assure Virginia Alvarez, responsable des relations institutionnelles et de politique intérieure au sein d’Amnistía Internacional Espagne.
L’accusé aura seulement droit à un avocat d’office qui ne pourra assister qu’aux interrogatoires choisis par la police. Il n’aura pas d’entretien privé avec son défenseur, ne pourra pas appeler un médecin. Et ses proches ne seront pas avertis. « À l’ONU, l’auteur d’un rapport sur la torture s’est inquiété dès 2003 de telles mesures qui peuvent entraîner des dérives graves : il faudrait installer des caméras et des vidéos durant ces interrogatoires », s’insurge Virginia Alvarez.
Valérie DEMON, à Madrid
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Juré d’assises, quand le devoir vous rattrape
Rendre la justice en cour d’assises est le devoir de tout citoyen désigné par le tirage au sort. Voici le témoignage de cette expérience, où l’anonymat a été préservé, conformément à la loi
L’annonce arrive par lettre recommandée. Le tirage au sort sur liste électorale vous a désigné pour être juré d’assises. Six mois plus tard, les choses se précisent avec l’arrivée d’un nouveau courrier : une convocation cette fois, en bonne et due forme.
Inutile de penser vous soustraire à ce devoir, il vous en coûterait la somme de 3 750 € d’amende. Vous n’aviez pas vraiment songé à vous dérober non plus. La session durera quinze jours, avec trois affaires à juger. Meurtre, viol et viol encore.
Trois affaires. Trois fois tiré au sort. Jamais récusé. Exceptionnel, mais imparable. Le temps d’accomplir son devoir est venu. Levez la main et dites : « Je le jure . » Le moment est solennel, le temps compté. Trois jours et deux nuits pour juger une affaire.
Désormais, vous appartenez à la cour. Au coude à coude avec trois magistrats. Neuf jurés – aide-soignante, commerçant, standardiste, enseignant… – à qui l’on demande de rendre la justice. « De quel droit ? », vous interrogez-vous. Peu importe, les états d’âme visibles sont proscrits. Les sentiments – compatissants ou haineux – doivent rester cachés. Visage de marbre.
Chaque suspension d’audience vous fait passer d’un monde à l’autre
L’entrée se fait dorénavant par une porte qui ouvre sur les coulisses du tribunal. Un endroit où les muscles se relâchent, la parole se délie et les fous rires nerveux fusent. Un endroit où se décide dans le plus grand secret la condamnation des autres. Ceux de l’autre côté du mur. Chaque suspension d’audience vous fait passer d’un côté à l’autre, d’un monde à l’autre.
La porte s’ouvre. « La cour ! » Tout le monde se lève. Les victimes et les accusés vous font face. Chacun avec ses attentes et ses angoisses. La séance peut commencer. Place au ballet des robes noires. La greffière lit les chefs d’accusation.
Le chronomètre est lancé. Certains détails, ignobles, commencent à peser sur l’assemblée. Vous êtes concentré. Vous notez beaucoup de choses. Pour vous souvenir de manière précise. Pour éviter les erreurs, les malentendus. Pour tenter de comprendre… pourquoi.
La salle est séparée en deux. Victimes et accusés. À gauche le « bien » et à droite le « mal ». Les Assises c’est « du sang et des larmes ». Ils doivent se souvenir ensemble, sans se regarder… Remuer le passé pour tenter de construire un avenir plus serein. Dans un temps donné. Ils sont face à vous. Tout près, un ou deux mètres. À les observer toute la journée, vous finissez par les connaître un peu. Par les comprendre. Par vous sentir concerné parfois.
Les témoins s’adressent à la cour avec émotion
À la barre se succèdent ensuite les témoins venus soutenir l’un ou l’autre camp. Mal à l’aise, ils donnent l’impression d’être jugés aussi pour ce qu’ils « oublieraient » de dire. Ils s’adressent à la cour avec émotion. Ils défilent comme des hommes et des femmes pris au piège, ils ont hâte d’en finir. Leur histoire racontée, ils fuient vers la sortie.
Puis arrivent les experts : enquêteurs de personnalité, policiers, médecins légistes, psychiatres, psychologues… Ils ont passé au crible les faits, étudié les profils psychologiques, analysé les actes, recoupé les événements, plongé dans le contexte familial… Les avis s’expriment, se contredisent ou se confortent.
L’exposé des experts est efficace mais n’empêche pas le doute de s’immiscer dans les esprits. La cour interroge chacun d’entre eux pour tenter d’enrichir le dossier avec de nouveaux éléments. Ce seront les derniers. Ceux qui permettront peut-être de vous forger une « intime conviction ».
Puis le ballet reprend. Retour des robes noires. L’avocat des parties civiles. L’avocat général. Puis l’avocat de la défense. Chacun travaillant pour son parti. Avec quelle conviction ? Ces résumés de l’affaire adoptent une perspective différente suivant la cause que l’avocat défend. Ces prestations oratoires s’adressent en tout premier lieu aux jurés. Peuvent y figurer des raccourcis volontaires, des contre-vérités et de la morale à bon marché.
Exprimer son « intime conviction »
La fin de ces envolées lyriques marque le temps du départ en délibération, le plus difficile. Celui du choix. Celui de la condamnation. Un temps indéterminé et secret où la cour est enfermée dans la chambre des délibérations, surveillée par des gardes, pour exprimer son « intime conviction ». Le temps pour les magistrats de guider les jurés vers l’annonce du verdict.
Autour d’une table, magistrats et jurés retracent encore une fois l’histoire. Retour sur les faits. Vous devez répondre à cinq questions qui, dans une suite logique, aboutiront à la reconnaissance ou non de la culpabilité de l’accusé. Le tour de table commence. Premières impressions.
Les jurés parlent d’abord. Les magistrats ensuite. Le président des Assises donne le ton. Il anime et distribue la parole. Chacun à son tour. Les choses se précisent pour certains. Les moins déterminés suivront le mouvement. Les votes se succèdent et le sort de l’accusé se dessine. « Coupable », par une majorité de huit voix sur douze.
Puis vient la peine. Fonction des circonstances « aggravantes ». Une peine qu’il est très difficile de quantifier pour un non-initié. ça vaut combien ? Au-delà de cinq ans, pas de sursis. Le réquisitoire de l’avocat général n’est qu’une indication, « on n’est pas obligé de le suivre ».
Le verdict doit être annoncé : retour tendu dans la salle d’audience
Nouveau tour de table. Chacun essaie de se souvenir de ce qu’il a pu entendre aux informations télévisées. « Un viol, d’habitude, c’est plutôt dix ans, non ? » Chacun donne un chiffre. On en discute. Les plus avertis prennent des positions claires. Les autres suivront. On vote plusieurs fois, jusqu’à ce qu’une majorité de sept voix sur la peine se dégage.
Le verdict tombe de l’urne. Petits papiers sur lesquels il est écrit : « Sur mon honneur et en ma conscience ma déclaration est… ». La délibération prend fin. Le verdict doit être annoncé. Retour tendu dans la salle d’audience. Ne rien montrer. Cela va très vite. L’accusé « accuse » le choc et est emmené par les gardes. L’audience criminelle est terminée. Les jurés se retirent et retournent à leur vie de citoyen ordinaire.
Camille Cayenne
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Les verdicts dans cinq cours d’assises
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