On peut tout dire de la justice quand elle se trompe et surtout lorsqu’elle ne reconnaît pas ses erreurs mais force est de constater que dans cette affaire la justice n’a pas été expéditive, aveugle et a respecté de plus fort la présomption d’innocence. Elle a fait preuve d’une bienveillance remarquable à l’égard de l’accusé tout en veillant scrupuleusement aux droits de la victime. On peut dire que le glaive et la balance n’ont jamais été aussi marquants dans le symbole.

13 juin 2007 : 13 années après le premier dépôt de plainte à la brigade des mineurs de Montreuil, la Cour d’assises de Paris statuant en appel, condamne le père de la plaignante à 6 ans d’emprisonnement pour viol par ascendant.

2 novembre 1994 : Agnès dépose plainte pour de multiples viols perpétrés par son père dans le giron familial. Traumatisée, en larmes, elle va décrire aux inspecteurs de police au moins trois scènes de viols dans des conditions particulièrement choquantes et humiliantes dont le premier s’est déroulé six mois plus tôt en mai 1994 alors qu’elle était encore mineure, élément aggravant qui ne sera pas retenu, du reste, dans la prévention ni dans l’accusation.

Les faits sont contestés, « je n’ai jamais touché ma fille » dira le père avant d’ajouter plus tard : « mais de toutes façons, si j’avais voulu elle aurait été consentante, x’est une fille facile, volage… »

1992 : Agnès, 16 ans, perd sa mère, avec laquelle elle vit depuis l’âge de trois ans, d’une grave maladie. Elle est placée par la DDASS dans un foyer puis hébergée chez un oncle maternel. Mais comme les malheurs n’arrivent jamais seuls, Agnès tombe enceinte de son petit copain, elle n’a que 17 ans et l’oncle la met à la porte. C’est dans ces conditions qu’elle retournera vivre chez son père biologique qu’elle n’avait pas revu depuis l’age de 10 ans.

Philippe est boulanger, c’est un « rustique » un vrai de vrai, il est marié à Sandrine depuis une dizaine d’années et a un enfant avec elle, Jimmy âgé de trois ans.

Agnès accepte une IVG et la petite famille recomposée s’installe à Aubervilliers dans un petit pavillon en duplex.

Suite au dépôt de plainte, une instruction criminelle est ouverte au parquet de Bobigny mais, compte tenu des dénégations du père et de la fragilité de la victime, la procédure est correctionnalisée et requalifiée en agression sexuelle.

Agnès l’accepte : elle ne souhaite pas voir son père comparaître devant une Cour d’Assises qui pourrait l’envoyer en prison pour 20 ans au maximum.

4 février 1998, le Tribunal correctionnel de Bobigny condamne Philippe à trois ans d’emprisonnement sans mandat de dépôt, celui-ci fait immédiatement appel.

Octobre 2000 : la Cour d’appel de Paris confirme la culpabilité de Philippe et le condamne à la peine de 4 ans d’emprisonnement dont deux avec Sursis et Mise à l’Epreuve.

Contre toute attente, probablement inspiré par la récente réforme de la Procédure pénale instituant l’appel des décisions de Cour d’assises, Philippe forme un pourvoi en cassation et invoque l’incompétence des juridictions correctionnelles, s’agissant de viol.

2003 : La chambre criminelle de la Cour de Cassation ne peut que casser la décision de la Cour d’Appel de Paris et renvoyer l’affaire pour être jugée devant la juridiction compétente.

C’est ce que fera la Chambre de l’instruction.

Pendant ce temps, Agnès s’impatiente et pense que son père va s’en sortir en ayant multiplié les recours pourtant juridiquement légitimes.

C’est vrai qu’il proteste le papa, ses dénégations vont lui faire prendre le risque d’aller au devant de graves ennuis si la Cour d’Assises qu’il a lui même « convoquée » le déclare coupable !

16 mars 2006 : Philippe n’a pas fait un jour de prison, cette affaire dure depuis 12 ans et nous sommes enfin devant la Cour d’Assises de Bobigny. Agnès supporte mal cette nouvelle épreuve où elle devra se répéter une nouvelle fois. Redire son calvaire, les viols répétés, ces moments atroces pendant lesquels, paralysée par une étrange peur, elle se laissera faire sans résister, sans crier alors que son demi-frère dort dans la chambre incestueuse et que sa belle-mère regarde la télévision au premier étage.

Pourtant, c’est avec une détermination remarquable qu’Agnès va dire et redire ce qu’elle a vécu sans jamais varier dans ses déclarations et avec une précision telle que son récit paraît d’autant plus crédible.

L’ambiance est tendue mais ne semble pas atteindre Philippe. Il aime sa fille, dit-il, il ne comprend pas pourquoi elle l’accuse. Son avocat croit fermement à l’acquittement en plaidant le doute mais aussi à peine voilée, la thèse du père selon laquelle Agnès est une fille volage et que sa souffrance si elle n’est pas feinte n’est pas le fruit des actes que l’on reproche à son client.

Un instant, le doute plane sur la Cour d’Assises mais les jurés ne l’entendent pas comme cela. Verdict : 6 ans d’emprisonnement, mandat à la barre. Philippe repart entre les gendarmes, et fait immédiatement appel. Incarcéré pendant deux mois, il est remis en liberté par la Chambre de l’Instruction.

11 juin 2007 : Cour d’assises de Paris statuant en appel. Agnès est toujours là mais commence à se résigner. « S’il est acquitté on aura tout fait… »

L’avocat général, Philippe Bilger sera implacable et ne laissera aucune chance à l’accusé du moins en ce qui concerne sa culpabilité.

La défense ne modifie guère sa précédente stratégie : Agnès souffre mais cette souffrance n’est pas le fait de son père, c’est son enfance dramatique, ses épisodes scabreux d’abandon et de rupture mais Philippe n’a pas pu violer sa fille…

La valse des témoins de moralité et la défense talentueuse n’ont pas réussi à instiller le doute dans l’esprit des jurés.

La Justice tranche : 6 ans d’emprisonnement pour Philippe après 13 ans de procédure qu’il a lui-même voulue. Il a exercé tous les recours, a fait intervenir dans ce dossier 26 magistrats professionnels et 21 jurés, des policiers, des psychologues, psychiatres des avocats des greffiers et autres personnels judiciaires…

La Justice a fait son travail, j’aime la Justice de mon pays lorsqu’elle a donné toutes les chances à l’accusé.

Par :
Maître Alain Bouazis
Avocat à la Cour

34 rue de Liège
75008 PARIS
01 42 78 15 97

Réponse de l’Avocat de la Défense: COMBIEN COUTE D’AVOIR CONFIANCE EN LA JUSTICE ? 6 ANS, par Maître BARONE

En ces temps où la question des moyens occupe le moindre membre de l’honorable institution judiciaire, la Cour d’Assises de Paris statuant en appel a précisé qu’avoir confiance en l’institution coûte 6 ans.

Initialement, l’affaire est simple.

En novembre 1994, une jeune femme de 17 ans déboule dans un commissariat pour affirmer que son père, un petit boulanger, l’a violé sans violence, en lui faisant croire que les relations entre père et fille sont naturelles. Les faits se sont produits, plusieurs fois par semaine entre début mai et mi-juillet, ainsi qu’une fois en octobre.

L’émoi de la prétendue victime est manifeste. Nul ne saura jamais, si ce n’est elle et son père, si il résulte d’un quelconque viol paternel.

Le père est entendu immédiatement. Il nie. L’inspecteur dira qu’il « tombe des nues ». Sa femme, la belle-mère de la victime, confirme les dénégations, alors même que la prétendue victime affirme que cette dernière était toujours présente au cours des faits reprochés.

Bien qu’aucune preuve ni scientifique, ni testimoniale ne soit entre les mains de la police ou de la justice, le petit boulanger est convoqué par un juge d’instruction. Et là, il commet une première erreur. Il fait confiance en la justice et choisit un avocat au hasard. Un avocat qui hésite car c’est la première fois qu’il traite une telle affaire, un avocat sans expérience, dont le petit boulanger est convaincu, qu’il le croyait coupable.

L’instruction ne sert qu’à peu de choses. Malheureusement, il y a une confrontation et lorsque l’on demande au petit boulanger s’il a violé sa fille, il répond « non, mais si j’avais voulu, elle n’aurait pas dit « non » », signifiant par là que sa fille « traîne trop avec les garçons », ainsi que le lui a dit sa femme.

Malheureusement, ni l’avocat, ni le juge d’instruction ne demanderont d’explication et tout reposera sur cette phrase qui ne prouve rien.

Mais que cela ne prouve rien, ne signifie pas que cela n’a pas d’impact.

L’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel pour agression sexuelle y fait référence, tout comme les décisions du Tribunal correctionnel et de la Cour d’appel. Finalement le petit boulanger est condamné à 4 ans, dont deux avec sursis.

Pour avoir prétendument violé 20 fois sa fille, le petit boulanger est condamné avec les remises de peine à ne faire qu’une année de prison. Une véritable aubaine. Et là, il commet sa deuxième erreur. Il refait confiance en la justice. Il décide de faire requalifier l’affaire. Puisqu’il parait qu’il y a viol, la Cour d’assises devait être saisie et peu importe, que 20 années de prison soient encourues.

La Cour d’Assises se réunit et à nouveau, on ne parle que de « la phrase ». Il est condamné à 6 ans. Sans motivation, la Cour d’assises ne motive pas ses décisions.

Appel est interjeté, la Cour d’Assises statue à nouveau, les 6 ans sont confirmés. Toujours sans motivation.

En l’absence de preuve, par deux fois, la Cour d’Assises donne une prime à la victime, qui souffre et qui maintient ses déclarations.

L’intime conviction a triomphé des preuves.

Mais à mon sens, un doute persiste.

J’ai un doute quand une jeune fille de 17 ans, ayant une vie sexuelle normale et ayant connu une IVG, se laisse convaincre lorsque son père lui dit que les relations sexuelles entre père et fille sont normales.

J’ai un doute quand rien n’annonce les viols et que le violeur est sain d’esprit, travaille et ne boit jamais.

J’ai un doute quand 20 viols réalisés par surprise et sans violence ne génèrent aucun dégât gynécologique.

J’ai un doute quand l’expert affirme que les propos de la victime sont à relativiser, puis dit l’inverse, un an plus tard.

J’ai d’autant plus le doute que la fille du petit boulanger a vécu notamment un abandon par sa mère à la naissance, le retour de sa mère, la découverte à 8 ans que son beau-père n’est pas son père, le décès suite à une longue maladie de sa mère, la DDASS et une IVG, le tout avant sa dix-septième année.

J’ai un doute quand des témoins affirment, au contraire de la victime, que cette dernière a eu des relations sexuelles avec des tiers et notamment son cousin germain, peu de temps après les prétendus viols.

J’ai enfin des doutes, quand l’épouse d’un prétendu violeur, laquelle n’aurait pas pu ignorer les viols, porte un enfant du prétendu violeur, moins d’un an après la date des faits reprochés.

Comme l’a écrit, mon ami, l’avocat de la partie civile, lequel était ce jour là, avec le procureur Bilger, mes contradicteurs, j’aime la justice de mon pays, mais, j’ajouterais que je n’aurais confiance en elle que lorsque ses décisions ne me laisseront plus de doute.

Maître BARONE

163, rue Saint-Honoré

75001 Paris

Tél : 01.47.03.64.00

barone@avocats163.com


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