Aux Etats-Unis, les fichiers de délinquants sexuels sont publics, et accessibles sur l’internet. The Economist, qui prend partie contre les dérives que cela entraîne, y revient en détail au travers de l’histoire édifiante d’une jeune Américaine de 29 ans, fichée depuis 13 ans pour corruption de mineur : à 17 ans, elle avait été surprise en train de faire une fellation à un camarade de classe de 15 ans.

En 1996, Wendy Whitaker avait 17 ans. Un jour, en classe, le professeur éteint la lumière pour y diffuser une vidéo, et son voisin lui propose de profiter du noir pour lui faire une fellation. Le garçon allait avoir 16 ans trois mois plus tard.

Wendy Whitaker fut donc accusée de sodomie (en Georgie, c’est ainsi que l’on qualifiait les fellations). Wendy a rencontré son avocat 5 minutes avant l’audience. Il l’a incitée à plaider coupable. Elle ne comprenait pas trop ce qui lui arrivait.

Wendy a été condamnée à 5 ans de prison avec sursis, et a été incarcérée un an. Elle est inscrite au registre des délinquants sexuels, de Georgie, consultable sur l’internet (y compris via Google Maps), où n’importe qui peut trouver son nom, sa photographie et son adresse, ainsi que le motif de sa condamnation pour pédophilie : il y est inscrit “sodomie“, sans autre explication.

Sex Offender
Copie d’écran de sa fiche, floutée par mes soins à l’intention des moteurs de recherche

Du fait de son inscription dans le registre, Wendy n’a pas le droit d’habiter ni de travailler à moins de 300 mètres de tout endroit susceptible d’accueillir des enfants (écoles, parcs, bibliothèques, piscines…).

140 villes ont porté cette distance à 750 mètres. A Miami, une centaine de délinquants sexuels ont ainsi été contraints de se réfugier sous un pont, parce qu’ils ne peuvent pas vivre ailleurs.

Jusqu’à récemment, il était également interdit aux personnes figurant dans le registre d’habiter près d’un arrêt de bus, ce qui ne revenait à interdire aux personnes fichées d’habiter dans quelque agglomération que ce soit.

Cette interdiction a finalement sauté, mais, et après avoir acheté une maison avec son mari, un juge a découvert que l’église de son quartier accueillait occasionnellement une garderie, et elle a été contraint à déménager. Son mari a perdu son emploi dans la foulée.

Pourtant, ce qu’a fait Wendy n’est plus considéré comme un crime en Georgie : en 1998, une cour de justice a finalement autorisé les fellations (qui étaient interdites, même entre époux), et depuis 2006, les relations sexuelles entre adolescents consentants ne sont plus traitées comme des crimes. Mais la loi n’est pas rétroactive.

674 000 personnes fichées

Il existe de tels registres de criminels sexuels dans tous les états américains et, en décembre de l’an passé, 674 000 personnes y étaient fichées, un nombre sans cesse croissant, ne serait-ce que parce que, dans 17 états, on y est fiché pour la vie.

On aurait tendance à croire qu’on y trouve que des violeurs ou pédophiles. Mais dans cinq états, le simple fait d’aller voir une prostituée suffit à y être fiché, tout comme le fait d’uriner en public, dans 13 d’entre-eux, et 29 y inscrivent également les adolescents ayant eu une relation sexuelle consentie avec un autre adolescent.

On y trouve même des personnes qui, depuis, se sont mariées avec celle ou celui avec qui ils avaient eu des relations sexuelles consenties, mais qui, prohibées par la loi, leur avaient valu d’être condamnées.

On y trouve aussi des adolescents qui, parce qu’ils ont reçu, ou envoyé, des “sextos” d’eux nus à leur petit(e) ami(e), y ont été condamné pour “pédo-pornographie“.

On y trouve également des parents accusés de complicité pour avoir autorisé leur adolescent, mineur, à faire l’amour.

Plusieurs personnes ont été tuées par des gens qui avaient eu connaissance de leur passé judiciaire via ce type de bases de données. Si les meurtres sont rares, les cas de harcèlement sont, eux, très fréquents, y compris des enfants de ceux qui sont fichés, sans parler du fait que ces derniers n’ont pas le droit d’aller avec leurs enfants au parc, à la piscine ou au musée, et donc de vivre ce que tout bon parent se doit de faire avec ses enfants.

Un fichage contre-productif

Cette ostracisation entraîne également pertes d’emploi, déménagements (entre 20 et 40% des personnes fichées), dépressions… facilitant d’autant le risque de récidive.

Plusieurs études ont été consacrées à la récidive des délinquants sexuels. L’une d’entre-elle, portant sur 10 000 Américains, a montré que 5% d’entre-eux avaient récidivé dans les 3 ans. Une autre, portant sur 29 000 anglo-saxons, a constaté un taux de récidive de 24% dans les 15 ans suivant leur première condamnation.

Le suivi psychologique ferait chuter le risque de récidive de 43%, mais les autorités dépensent plus d’argent dans la répression et le fichage -qui coûte plusieurs millions de dollars, dans chaque état- que dans la prévention. Parce que c’est plus “payant“, tout simplement -à court terme en tout cas.

Le fichage des délinquants sexuels est en effet d’autant plus populaire que les crimes ou délits qui leur sont imputés font peur, et sont largement exploités, souvent de façon populistes, tant dans les médias que par les responsables politiques.

Quel homme politique oserait prendre la défense des délinquants sexuels au nom de la défense des droits de l’homme ou de la vie privée ?

Un examen officiel du registre georgien, qui répertorie plus de 17 000 délinquants sexuels (dont près de 400 femmes), a révélé que 65% de ceux qui y étaient fichés ne représentaient pas de risque particulier, et que 5% d’entre-eux seulement étaient considérés comme dangereux.

Un fichage également contre-productif. Une étude universitaire avance d’ailleurs que ce type de fichage n’a quasiment aucun impact sur la récidive. Sans parler du fait que le nombre de personnes fichées rend d’autant plus difficile le suivi, par les autorités et les policiers, de ceux qui sont vraiment dangereux.

Vers un fichier pan-européen des criminels sexuels ?

Human Rights Watch fait partie de ceux qui réclament que l’on n’y fiche pas les mineurs, non plus que les auteurs d’infractions mineures, que seuls les criminels considérés comme dangereux y soient inscrits, et que les données ne soient pas accessibles au grand public.

Les états américains sont tenus de créer de telles fichiers depuis 1994, et de l’interconnecter dans une base de données nationale depuis 2006. En Grande-Bretagne, on peut y être fiché dès l’âge de 11 ans. Et plusieurs politiciens européens parlent de créer un fichier pan-européen.

En France, la loi Perben II a créé le Fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles en 2004, pour “prévenir la récidive des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes déjà condamnés et faciliter l’identification des auteurs de ces mêmes infractions, les localiser rapidement et à tout moment

43 408 personnes y sont fichées. Ce FIJAISV ne peut être consulté sur l’internet, mais nombreux sont ceux qui peuvent y accéder : gendarmes et policiers, autorités judiciaires, préfets et les ceux qui sont chargés de valider le recrutement des professionnels en contact avec les mineurs au seins d’un certain nombre d’administrations : direction des ressources humaines de l’éducation nationale, rectorats et les inspections académiques, directions départementales des affaires sanitaires et sociales, directions régionales et départementales de la jeunesse et des sports, directions départementales du travail…

Les données (nom, prénom, sexe, date et lieu de naissance, nationalité, alias éventuel, dans certains cas la filiation, leur adresse) y sont conservées pendant 20 ou 30 ans.

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