Jean-Paul Laligant a été condamné pour avoir brandi un cutter et dit à un élève qui montrait son «zizi» : «Je coupe tout ce qui dépasse.» Il décide aujourd’hui s’il maintient son recours.
Par JACKY DURAND LIERNAIS, envoyé spécial
Jean-Paul Laligant, 52 ans, instituteur depuis trente-quatre ans, a rendez-vous, aujourd’hui, avec son avocate pour une difficile décision : doit-il renoncer à son appel devant la justice après sa condamnation à une amende de 500 euros avec sursis pour avoir lancé à un élève de 9 ans «Je coupe tout ce qui dépasse», son cutter en main, ou doit-il maintenir son recours contre une condamnation qui lui semblait injuste à sa sortie du tribunal de Dijon, le 11 mai ? Dans le premier cas, Jean-Paul Laligant dit qu’il a l’assurance de l’inspecteur d’académie de réintégrer son poste, mais il fera le deuil de son combat pour clamer sa bonne foi. Dans le second choix, l’instituteur resterait suspendu jusqu’à la fin de son recours. Un dilemme pour cet homme pudique, mais dont le regard trahit six mois d’épreuves.
Jean-Paul Laligant ne s’est jamais éloigné très longtemps de son Morvan natal. Il a exercé plus de vingt ans en classe unique. «Une école du temps», dit-il, à Champeau-en-Morvan. Avec le poêle à mazout au milieu de la classe et le logement de fonction à l’étage. En 2004, l’école a fermé. Jean-Paul Laligant s’est retrouvé «titulaire mobile». Et à la rentrée dernière, il a pris en charge une classe de l’école de Liernais.
«Arme». Le 26 septembre, dans l’après-midi, l’instituteur est occupé avec les CE2 quand des élèves viennent lui dire «qu’un CM1 est en train de montrer son zizi».«J’étais près de mon cartable, raconte Jean-Paul Laligant. J’ai sorti le cutter que j’utilise pour les travaux manuels et je l’ai montré en direction de l’enfant en disant : “Je coupe tout ce qui dépasse.” Il rigolait. Pour moi, c’était une plaisanterie.» Le lundi suivant, il affirme en avoir parlé avec la mère de l’enfant. Sans plus de conséquence, dit-il. On en cause aussi entre enseignants : «Des collègues me disent que Jean-Paul a montré un cutter, se souvient Pascal Malter, instituteur à Liernais et fidèle soutien de Laligant. Je leur ai dit que je le connaissais depuis longtemps et qu’il avait fait ça sans méchanceté.» L’incident semble clos. D’autant, qu’en octobre, l’instit démarre les cours de soutien scolaire où l’élève sermonné est appliqué et assidu.
Deux mois passent. Le 25 novembre, alors qu’il fait la classe, Laligant apprend qu’il est suspendu de ses fonctions en raison d’une plainte sur les faits du 26 septembre. Le 27 novembre, il est placé en garde à vue durant neuf heures à la gendarmerie de Liernais. Il raconte : «Les gendarmes m’ont demandé où était “l’arme” ? Je leur ai dit qu’elle était chez moi. On est monté dans la Nevada bleu pour aller chercher le cutter.» Pendant son audition, ses collègues et amis s’activent pour comprendre les ressorts de l’enquête. «On a appris que durant les deux mois écoulés, il ne s’était pas rien passé. Les gendarmes, qui avaient eu vent de l’épisode du zizi et du cutter, avaient convoqué une dizaine de parents d’élèves.» La mère de l’enfant a porté plainte. A Liernais, la mobilisation (habitants, élus, enseignants) s’organise pour soutenir l’instituteur qui reçoit le renfort des syndicats. Une pétition recueille 5 000 signatures. On répète d’autant plus que cet «incident aurait dû être réglé en interne» dans l’école que depuis la garde à vue, la mère de l’enfant a retiré sa plainte.
«Orgueil». Convoqué le 23 janvier devant le tribunal de Dijon pour répondre de «violences aggravées sur mineur de moins de 15 ans par personne assurant une mission de service public et avec arme», M. Laligant refuse la procédure de reconnaissance de culpabilité. Puis le parquet abandonne les circonstances aggravantes pour ne retenir que la prévention de «violences ou voies de fait sans ITT [incapacité temporaire de travail, ndlr]». Le 30 mars, devant le tribunal statuant en juge unique, l’instituteur a répété qu’il avait agi sur le ton de la plaisanterie et pour ramener le calme dans la classe. Mais, pour le substitut du procureur, ces faits nécessitaient une réponse pénale car «faire venir un élève à son bureau [contesté par M. Laligant],prendre un cutter dans son cartable, en sortir la lame et lui dire “je vais couper tout ce qui dépasse”, constitue un élément matériel de la violence». Pour Me Dominique Clément, l’avocate de l’instituteur, «la violence sur mineur n’est pas constituée. Il n’y a pas eu de contact physique, on était dans la menace symbolique sans que l’enfant songe à ce que l’instituteur passe à l’acte.»
A l’issue du jugement du 11 mai, le comité de soutien de Jean-Paul Laligant indiquait dans un communiqué : «Nous avons la nette impression que le parquet ne veut pas perdre la face dans une affaire qu’il n’aurait jamais dû instruire. […] Cet orgueil acharné risque de briser la carrière et la vie d’un homme, de sa famille.»«Tout le monde est perdant dans cette histoire, estime un membre du comité. Aujourd’hui, on passe aussi notre temps à défendre les parents de l’enfant impliqué dans cette histoire. Ils sont pris à parti alors qu’ils ne sont pas responsables de ce qui arrive à Jean-Paul. Ce n’est pas une histoire de parents qui prennent le pouvoir à l’école mais de la justice qui s’entête.» Contacté par Libération,«le procureur de la République de Dijon n’a pas souhaité s’exprimer étant donné la procédure d’appel», selon son secrétariat.
De son côté, l’inspecteur d’académie François Cauvez explique : «Tant que la procédure judiciaire n’est pas arrivée à son terme, je ne peux pas réintégrer monsieur Laligant. Si la procédure s’arrête, sa réintégration est envisageable. J’ai aussi expliqué à monsieur. Laligant que j’aurais à lui rappeler qu’un enseignant doit garder la maîtrise de soi et que brandir un cutter devant un élève est une chose qui ne se fait pas.» Pour les parents d’élèves de la FCPE qui soutiennent l’instituteur de Liernais, «il y a des choses plus importantes à soigner dans l’Education nationale que les quelques mots de M. Laligant. Ça peut arriver à n’importe quel enseignant de dire des mots qui seront mal interprétés.» Depuis novembre, Jean-Paul Laligant trompe son ennui en coupant du bois dans les forêts du Morvan. Mais il dit : «Je suis instituteur, pas bûcheron.»
Illustration François AYROLES
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