Dans la tragédie de l’exécution le 29 décembre dernier du Britannique Akmal Shaikh, – premier Occidental exécuté en Chine depuis 50 ans -, on retrouve tous les paradoxes de la peine de mort et du combat pour son abolition.

akmal-shaikh_inlineEnjeu national jusque dans les années 90, l’abolition de la peine de mort est devenue une revendication internationale dans les années 2000. Elevée au rang de violation des libertés fondamentales – et plus particulièrement du droit à la vie et à une justice équitable, la peine de mort reste aujourd’hui une question éminemment politique, plus peut-être que tout autre violation des droits humains. La peine de mort n’est pas qu’une violation des droits de l’homme. Elle doit surtout être considérée comme un acte politique, comme l’apanage des Etats qui prétendent exercer une souveraineté entendue abusivement comme la raison d’Etat : aux côtés de théocraties comme l’Iran ou le Yemen, d’Etats ayant conservé une conception vengeresse de la justice pénale comme les Etats-Unis, la Chine est la triste championne du monde de son application. Depuis que la plupart des démocraties dans le monde y ont renoncé, à l’exception principale des Etats-Unis et du Japon, sa nature politique apparaît avec une grande clarté.

La Chine applique la peine de mort en violation de normes internationales récentes (à l’échelle de l’histoire) comme le Protocole n°2 du Pacte international des droits civils et politiques de l’ONU, ratifié à ce jour par 72 Etats dans le monde, ou l’Appel à un moratoire universel des exécutions demandé par 106 Etats lors de l’Assemblée générale des Nations unies en décembre 2008. Le droit international est aujourd’hui clair : il enjoint les Etats à abolir la peine de mort ou à en multiplier les conditions d’application pour en rendre son exécution rarissime. La Chine ne prend pas ce chemin.

Des milliers d’exécutions ont lieu chaque année en Chine même si leur rythme devrait avoir sensiblement baissé (l’absence de transparence de la justice pénale chinoise nous oblige à employer le conditionnel) depuis qu’une réforme pénale est venue subordonner toute application d’une condamnation à mort à une révision par la Cour suprême à Pékin.

Akmal Shaikh a-t-il eu droit à un procès équitable ?  A-t-il eu un avocat ? A-t-il eu accès à un traducteur ? Au-delà de ces manquements à un procès équitable (manquements consubstantiels à la justice de tous les pays qui appliquent la peine capitale) et parmi les circonstances les plus choquantes de cette exécution, il y a le fait que, selon ses défenseurs britanniques, Akmal Shaikh souffrait d’insuffisance mentale. Certes, les Etats-Unis eux-mêmes n’ont accepté que très récemment (par une décision de la Cour suprême en 2002) de prendre en compte la déficience mentale d’un accusé comme une circonstance atténuante. En l’espèce, Akmal Shaikh a manifestement été abusé dans sa faiblesse en transportant – en toute inconscience –  4kg d’héroïne lorsqu’il fut arrêté. Rappelons que la Chine est engagée depuis des décennies dans une politique particulièrement dure, cruelle, contre le trafic de drogue : chaque année, le 26 juin, la Journée internationale contre l’abus et le trafic illicite de drogues est « saluée » par des dizaines d’exécutions fortement médiatisées en Chine.

Certes, la Chine n’est pas un pays aussi monolithique qu’une théocratie comme l’Iran. On peut se dire en Chine ouvertement contre la peine de mort dans son principe. Robert Badinter, père de l’abolition en France, a effectué une tournée de conférences en Chine en 2007. Nous avons même entendu des Chinois s’exprimer ouvertement contre la peine de mort : le 3ème Congrès mondial contre la peine de mort a reçu à Paris en février 2007 trois militants abolitionnistes chinois. En coulisses, certains dirigeants ou intellectuels chinois, notamment parmi les générations montantes, reconnaissent que la Chine pourrait un jour abolir la peine de mort.

Et pourtant, ce que nous dit surtout l’exécution presque sommaire d’Akmal Shaikh, c’est que la peine de mort est une signature, un acte politique. Répondant aux protestations internationales, la Chine a voulu clairement affirmer sa puissance et une autorité que nul ne saurait contester. En Chine, la vie ne compte pas lorsque les dirigeants chinois décident d’appliquer la (prétendue) raison d’Etat. La Chine est un des derniers pays au monde à revendiquer la légitimité de la peine de mort comme arme légale dans la mise en œuvre de ses politiques publiques. Elle n’est pas employée que dans la lutte contre la drogue : on a aussi vu des dirigeants de sociétés ou de provinces exécutés pour corruption économique. On ne l’a pas assez dit, mais la préparation des JO de Pékin et son cortège d’expropriations ont certainement entraîné des arrestations arbitraires et un durcissement de la justice par « souci de nettoyage » de la ville.

A l’aune de l’exécution scandaleuse d’Akmal Shaikh, – et à deux mois du 4ème Congrès mondial contre la peine de mort qui se tiendra aux Nations unies à Genève avec le soutien des autorités suisses, il est temps que les abolitionnistes du monde entier mesurent les enjeux politiques de la peine de mort et ne s’en tiennent pas qu’à un discours humaniste, certes nécessaire mais point suffisant pour éradiquer la planète de la peine capitale.

Si l’on veut lutter contre la peine de mort dans un pays comme la Chine, il faut dialoguer (toujours le dialogue) avec les Chinois. Il faut expliquer à nos amis chinois que le sens de l’histoire, c’est l’abolition (à ce jour, 133 pays ont aboli la peine de mort ou renoncé à l’appliquer depuis plus de dix ans, et plus de 50 pays l’ont abolie pour tous les crimes depuis 1990). Il faut rappeler que la peine de mort n’est jamais dissuasive, que le risque de l’erreur judiciaire devrait interdire toute exécution, que les pleurs d’une mère ou d’un proche d’un condamné sont les mêmes à Pékin, à Dallas ou à Téhéran.

Mais surtout, il faut toujours garder en tête cette perspective que seul un changement de régime ou une démocratisation poussée pourra déboucher sur une renonciation à la peine de mort. Particulièrement en Chine et dans les pays autoritaires qui continuent de croire en une justice qui tue.

Par Michel Taube co-fondateur de Toogezer, le magazine de la Terre & des Hommes, et d’Ensemble contre la peine de mort

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