LE MONDE 2 | 10.07.09 | 18h36  •  Mis à jour le 10.07.09 | 18h36

u crime, ils ont fait un compagnon familier. Martial Montergnole a décidé un jour de quitter son métier de technicien agricole pour entrer dans la police et dirige aujourd’hui un groupe d’enquêteurs à la brigade criminelle de Paris. Alain Verleene a longtemps été juge d’instruction avant de présider, pendant dix-huit ans, les cours d’assises de la cour d’appel de Paris. Frédérique Beaulieu, qui a fait son entrée au barreau en 1981, a été formée au cabinet de Thierry Lévy avant de devenir avocate associée d’Henri Leclerc.

Elle est de ces avocats pour lesquels le métier de défendre ne se conçoit qu’au pénal, ” pour être le passeur, entre ceux qui ont transgressé et les autres “. Frantz Prosper est l’un des experts psychiatres les plus réputés pour les affaires criminelles. Il est particulièrement sollicité pour les expertises des crimes familiaux.

Michel Mary, journaliste, a rempli son carnet d’adresses policier et judiciaire dans tous les commissariats et les palais de justice de France au fil de trente et un ans de récits de faits divers et de procès dans les pages du Nouveau Détective. L’hebdomadaire, fondé en 1928 par les frères Gallimard et Joseph Kessel pour ” rendre compte de l’actualité criminelle “, s’est attaché aujourd’hui la fidélité de 300 000 lecteurs.

Le nom de Claude Chabrol est indissociable de l’univers du crime au cinéma. Enfant, il avait été très frappé par les grandes affaires criminelles de l’après-guerre. ” J’avais 12 ans, sur la place de mon village, à Sardent, dans la Creuse, on refaisait les procès derrière des caisses “, raconte-t-il. Il a réalisé plusieurs films inspirés des faits divers les plus célèbres (Landru, Violette Nozière, La Cérémonie, Les Noces rouges…).

Ces six témoins ont le goût du crime et portent sur lui autant de regards singuliers. Ils s’opposent, s’enchevêtrent, se complètent. Et se rejoignent sur une conviction : on est souvent moins loin du crime qu’on ne l’imagine.

Parmi eux, l’enquêteur de police tient une place à part. Du crime, il connaît d’abord la violence, la laideur, les cris des proches auxquels il annonce le pire, puis la passion de l’enquête. Plus tard, lorsqu’il est cité à comparaître comme témoin devant la cour d’assises pour expliquer son travail, il a parfois du mal à reconnaître son affaire dans celle qui est disséquée à l’audience.

Martial Montergnole, comme beaucoup de ses collègues chargés d’une enquête criminelle, se retrouve dans ces lignes de Georges Simenon (Maigret aux assises) : ” Dans son bureau du Quai des Orfèvres, [le commissaire] était encore aux prises avec la réalité. (…) Puis des mois passaient, parfois un an sinon deux, et il se retrouvait un beau jour enfermé dans la chambre des témoins avec les gens qu’il avait questionnés jadis. (…) La cour d’assises avait toujours représenté pour lui la partie la plus pénible, la plus morne de ses fonctions et il y ressentait à chaque fois une angoisse. Est-ce que tout n’y était pas faussé ? Non par la faute des juges, des jurés, des témoins, non pas à cause du code ou de la procédure, mais parce que des êtres humains se voyaient soudain résumés, si l’on peut dire, en quelques phrases, quelques sentences. (…) Etaient-ce vraiment les mêmes êtres humains, concierges, passants, fournisseurs, qui étaient assis, le regard vide, sur les bancs ? Etait-ce le même homme, après des mois de prison, sur le banc des accusés ? “

Désormais, le crime que l’enquêteur a vu nu ne lui appartient plus. Il s’est habillé pour être soumis à la cour d’assises. Accusation, défense, expertises, récit de témoins : ce qu’il a perdu en brutalité, il le gagne en complexité pour être jugé.

Il faut avoir vu le docteur Frantz Prosper déposer à la barre et conduire par sa voix la cour et les jurés dans les ténèbres de l’acte criminel. Sans notes, appuyé sur une mémoire vertigineuse du dossier, il pousse les portes, éclaire des recoins auxquels nul n’avait pris garde. Au crime, il donne des racines, l’épaissit d’une généalogie et d’une géographie familiale. Souvent, lorsque sa déposition s’achève, il faut un peu de temps pour que l’audience reprenne son cours, comme lorsqu’au cinéma, après un grand film, on peine à s’extraire de son fauteuil pour retrouver les bruits familiers du dehors.

Il faut avoir vu encore Alain Verleene conduire une audience pour apprendre ce qu’est un grand président de cour d’assises. Un de ces juges qui jamais ne renonce à comprendre. Plus le crime est douloureux, difficile, insupportable, plus il le fouaille. Là où l’on voudrait se détourner, lui s’attarde, oblige à affronter, à s’approcher. Il sait, le président, que la distance est le pire ennemi de celui qui est dans le box et qu’il va falloir coûte que coûte la franchir si l’on veut juger autant un crime que celui qui est accusé de l’avoir commis. Au fil de sa longue carrière de président d’assises, il a ainsi accompagné des milliers de jurés au plus près du crime, ” jusqu’à ce point d’angoisse où l’on se dit : “Mince, j’aurais pu le faire, ça aurait pu m’arriver.” “

Pascale Robert-Diard
Article paru dans l’édition du 11.07.09
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