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PARIS (AFP) — La libération conditionnelle de l’ancien préfet du Var Jean-Charles Marchiani a été ordonnée vendredi, avec effet au lundi 16 février, par un juge d’application des peines du tribunal de grande instance de Paris, a-t-on appris de source judiciaire.M. Marchiani, 65 ans, fait partie des 27 détenus à qui le président Nicolas Sarkozy avait accordé une remise de peine en décembre : l’ancien préfet du Var, artisan de la libération des otages du Liban en 1988, avait bénéficié d’une grâce de six mois.

Il est incarcéré depuis le 26 mai 2008 à la prison de la Santé, à Paris, où il purge une peine de trois ans pour avoir perçu des commissions occultes dans le cadre de passations de marché à la fin des années 1990.

Avec la grâce présidentielle, l’incarcération de Jean-Charles Marchiani devait s’achever en théorie le 6 octobre 2009, mais la sortie est possible dès maintenant en raison d’aménagements de peine et du choix d’une libération conditionnelle.

Son avocat, Me Jacques Trémolet de Villers, avait d’ailleurs déposé une demande de mise en liberté de son client le 24 décembre dernier.

C’est encadré de deux gendarmes que ce proche de Charles Pasqua comparaît depuis début octobre 2008 au procès de l’Angolagate, où une peine de prison de 3 ans, dont 18 mois avec sursis, assortie d’une amende de 200.000 euros, a été requise contre lui mercredi.

Dans cette affaire de vente d’armes de guerre à l’Angola dans les années 90, l’accusation lui reproche d’avoir touché plusieurs centaines de milliers de dollars contre du lobbying en faveur des intérêts angolais.

Il devrait savoir, lors du jugement attendu à l’automne, si la justice le condamne à retourner derrière les barreaux. Mais il sera en tout cas libre mercredi prochain, lorsque son avocat plaidera sa défense au tribunal correctionnel de Paris.

L’idée d’une grâce en faveur du préfet avait resurgi lorsque M. Sarkozy avait demandé le 28 novembre à la ministre de la Justice Rachida Dati de lui faire “des propositions” en vue de gracier des détenus dits méritants.

Mais la grâce partielle de l’ancien agent secret avait suscité l’indignation du Parti socialiste et des Verts qui avaient dénoncé une “nouvelle illustration d’une dérive du fonctionnement des institutions et de la pratique présidentielle”, un retour des “privilèges”, et “une dérive monarchique”. L’UMP y avait vu “un choix juste et humain”.

14 février 2009 Ouest-France

Un avant-projet de réforme doit être présenté, fin mars,sur la base du rapport de la commission Varinard.

Trois questions à…Philippe Bonfils.

Professeurde droità Aix-Marseille IIIet avocat, membrede la commission Varinardsur la réformede la justicedes mineurs.

Pourquoi réformer l’ordonnance de 1945 sur la délinquance des mineurs ?

Cette ordonnance a connu trente et une réformes. Elle est devenue illisible. Il existe un décalage entre la philosophie de ce texte, qui affirmait la primauté de l’éducatif sur le répressif, et la réalité de la délinquance des mineurs, qui a augmenté plus vite que celle des majeurs.

Que propose la commission Varinard ?

Le rapport fait soixante-dix propositions, dont soixante-huit ont été adoptées à l’unanimité. Nous proposons de rédiger un code de la justice pénale des mineurs. Il reprend le principe de l’atténuation de la responsabilité : un mineur de moins de16 ans encourt une peine diminuée de moitié par rapport à un majeur. Nous réaffirmons le principe de la primauté de l’éducation sur la répression. Mais nous en avons bien conscience, ce n’est pas en changeant les textes que l’on va tout changer.

Qu’en est-il notamment du seuil de 12 ans, qui a suscité une vive polémique ?

La commission propose de fixer la minorité pénale à 12 ans, âge en dessous duquel un jeune ne peut se voir appliquer une sanction pénale. C’est à partir de 12 ans que l’on observe une cassure dans les actes. L’emprisonnement ne serait possible qu’à partir de 14 ans, au lieu de 13 actuellement, sauf à titre exceptionnel en matière criminelle, dès 12 ans.

Recueillipar Yannick GUÉRIN.

Ça balance

Il est souhaitable que la (le) future ministre de la justice ait un poids et une expérience politique suffisants pour mener LA grande réforme de la Justice après Outreau. Il faudra qu’elle puisse avoir une vision structurante de la justice, une capacité à convaincre le Président de la République et une volonté de fer pour obtenir du ministère des Finances les indispensables moyens de la réforme.

Il lui faudra avoir de la volonté sans autoritarisme, une vue prospective de la justice, la capacité à dialoguer, le courage de s’opposer parfois au Président de la république,  une communication qui ne soit pas  autocentrée. C’est à ce prix qu’une nouvelle chance de réformer la justice de ce pays ne sera pas irrémédiablement gâchée.
La confiance de la population et des professionnels sera indispensable pour conduire la justice vers une réforme consensuelle et acceptée.

Le programme de la ministre devra permettre de corriger un état des lieux catastrophique :
• La  carte judiciaire, qui ne simplifie rien, mais tue la justice de proximité devra être revue ainsi que la dépense inutile de 500 millions d’euros qui y est afférente
• Une solution d’urgence devra être trouvée pour désencombrer les prisons surchargées comme jamais ;
• Le contrôleur général des prisons devra se voir doté de moyens suffisants ;
• La réforme de la justice des mineurs devra être menée à bien en maintenant la priorité éducative ;
• La ministre de la Justice devra retrouver son rôle de garde des sceaux, chargée de préparer la nouvelle  réforme constitutionnelle annoncée ;
• Elle devra respecter la liberté de parole des procureurs à l’audience (comme le prévoit le code de procédure pénale)  et ne pas convoquer un substitut dont les réquisitions à l’audience ne lui conviendraient pas ;
• Elle ne devra pas faire interroger une substitute en pleine nuit en violation de toutes les pratiques en matière disciplinaire ;

• Elle devra suivre les avis négatifs du CSM-parquet pour les nominations de procureurs comme le faisaient ses prédécesseurs Pierre Méhaignerie ou Elisabeth Guigou ;
• Elle ne devra pas politiser la justice ;
• Elle ne devra pas supprimer les juges d’instruction sans donner son indépendance au parquet et sans faire cesser les nominations des procureurs par le pouvoir exécutif ;
• Elle devra revoir les peines planchers qui aboutissent à des décisions injustes et à l’encombrement des prisons ;
• Elle devra abandonner le projet “dépénalisation du droit des affaires” alors que la crise financière prouve que les milieux d’affaires doivent être contrôlés ;
• Elle ne devra pas faire voter des lois d’application immédiate, censurées pour violation de la Constitution (comme celle sur la rétention de sûreté) ;
• Ministre de la justice en charge des libertés publiques, elle ne devra pas assister sans réagir à un accroissement record des mises en garde à vue sous contrôle du parquet ;
• Elle  devra revoir d’urgence la mise en place du nouveau logiciel de gestion des dossiers pénaux CASSIOPEE qui provoque des retards de traitement de plusieurs milliers de dossiers pénaux dans les tribunaux concernés ;
• Elle devra augmenter et non diminuer les recrutements annuels de magistrats à l’ENM  car la justice est encombrée comme jamais ;
• Elle devra résoudre le problème crucial de l’insuffisance du nombre de greffiers ;
• Elle ne devra pas re-signer les mêmes décrets que ceux qui risquent d’être annulés par le Conseil d’Etat afin de contourner celui-ci ;
• Elle améliorera la mise en  place des  pôles d’instruction qui ont pris un retard considérable et elle leur accordera des moyens supplémentaires ;
• Elle ne devra pas virer les membres de son cabinet et éviter d’établir ainsi un record au sein du gouvernement (le record actuel est de 23 membres de cabinet virés, dont 2 directeurs de cabinet par une seul ministre) ;
• Sous sa direction, la justice française ne devra plus disposer du budget de la justice par habitant le plus faible d’Europe (35ème rang en Europe) ;
• La justice ne devra pas être de plus en plus  encombrée ;
• La justice ne devra pas être de plus en plus compliquée ;
• La justice ne devra pas être de plus en plus lente ;
• Les droits de la défense ne devront plus être laissés à la marge ;

Une chance a été gâchée, il ne faudrait pas en perdre une deuxième.

Dominique Barella (ancien président  de l’Union syndicale des magistrats, ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature) •

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PARIS – Le tribunal administratif de Paris a débouté mercredi le braqueur multirécidiviste Antonio Ferrara qui réclamait en référé la suspension de son régime de détention à l’isolement en raison de la dégradation de son état de santé.

Son avocate, Me Nadia Moussif, demandait que ne soit pas exécutée une décision du 19 décembre 2008, par laquelle la garde des Sceaux Rachida Dati avait prolongé de quatre mois supplémentaires un placement à l’isolement systématiquement renouvelé depuis août 2003.

L’avocate avait produit un certificat médical attestant que “l’état psychologique et psychique (du braqueur) ne semble plus compatible avec un maintien à l’isolement”, et insisté notamment sur l’absence de lumière du jour dans tous ses espaces de détention à Fleury-Mérogis, y compris la cour de promenade.

Or depuis le 21 novembre 2008, date du certificat établi par une unité de soins aux détenus, “l’Administration pénitentiaire a pris certaines mesures permettant notamment à l’intéressé d’accéder, quoique +de manière aléatoire+, à un lieu de promenade où pénètre la lumière du jour et de disposer de parloirs sans dispositif de séparation avec sa mère et sa compagne”, indique l’ordonnance du tribunal dont l’AFP a obtenu copie.

La suspension d’urgence du placement à l’isolement n’étant pas justifiée, la requête est rejetée, ajoute le texte.

“C’est faux, quasiment rien n’a été fait depuis la date du certificat médical, on est très déçu”, a réagi auprès de l’AFP Me Moussif, annonçant son intention de former un pourvoi devant le Conseil d’Etat.

Antonio Ferrara, 35 ans, auteur déjà de deux évasions – dont la dernière à Fresnes en 2003 lui a valu en décembre 17 ans de réclusion – est un des détenus les plus surveillés de France. Il avait été placé à l’isolement un mois après son arrestation en juillet 2003.

(©AFP / 11 février 2009 20h49)

Par Bertrand Baheu-Derras, élève-avocat

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Il y a quelques années, la question aurait été jugée à coup sûr subversive. Le fait même de la poser aurait pu être jugé comme une impertinence portant en elle-même atteinte au respect dû à la Justice. Pourtant, l’indépendance et l’impartialité de la Justice, comme la laïcité nonobstant son siècle d’existence en France, ne sont pas des acquis démocratiques définitivement gagnés mais appellent au contraire une vigilance de tous les instants et, plus encore, un renforcement.

On a traditionnellement coutume de distinguer l’indépendance de l’impartialité. Ces notions concernent toutes deux les rapports extérieurs de la Justice car elles visent précisément à protéger cette dernière des pressions et influences qui peuvent provenir de l’extérieur et s’exercer contre elle. L’indépendance concerne ses rapports ascendants, c’est-à-dire vis-à-vis de l’Etat, lequel est institutionnellement représenté par le pouvoir politique qui comprend le pouvoir législatif et surtout le pouvoir exécutif, et traduit ainsi un corolaire de la séparation des pouvoirs. L’impartialité concerne ses rapports descendants, c’est-à-dire vis-à-vis des justiciables eux-mêmes, qu’ils soient ou non parties à un procès, et, plus généralement, de la société. L’indépendance est une interdiction faite au pouvoir politique de s’immiscer dans la magistrature tandis que l’impartialité est une obligation faite au magistrat de juger en toute neutralité l’affaire qui lui est soumise. On observe d’ores et déjà une mesure de variabilité selon que ces notions valent uniquement pour la magistrature du siège ou également pour la magistrature du parquet.

L’indépendance est assurée par un éloignement du pouvoir politique de l’administration de la Justice pour la confier à une autorité indépendante de par sa composition et son fonctionnement et dont l’indépendance est censée rendre précisément à son tour la Justice indépendante : nomination, formation, inspection[1], notation, carrière, discipline. L’impartialité est assurée par des règles de la procédure judiciaire qui formulent tantôt des interdictions, tantôt des obligations au magistrat, soit d’office, soit à la demande d’une partie au procès : abstention, récusation, renvoi pour cause de suspicion légitime, renvoi pour cause de récusation contre plusieurs juges, renvoi pour cause de sûreté publique voire prise à partie. On observe là aussi une mesure de variabilité selon le degré de cet éloignement, plus ou moins total, et la mise en œuvre de ces interdictions et obligations, plus ou moins accessible et effective.

Force est d’observer que jamais, on ne pose cette question en se demandant si la Justice est dépendante et partiale mais plutôt si elle est indépendante et impartiale. C’est qu’en France, l’indépendance et l’impartialité de la Justice sont des sujets sensibles auxquels on ose rarement s’exposer de front. Mettre en doute l’indépendance et l’impartialité de la Justice a quelque chose de rebelle si bien que la question doit être traitée avec précaution et euphémismes, sous peine d’être taxé de polémique. Si on s’accorde sur le fait qu’elle puisse manquer çà et là un peu d’indépendance ou d’impartialité, jamais cependant on se permettrait d’affirmer que la Justice serait à ce point privée du minimum vital.

C’est la raison pour laquelle, ces dernières années, le législateur qui s’est intéressé à précisément renforcer l’indépendance de la Justice a pu dresser le constat de quelques dysfonctionnements dans l’institution judiciaire. Souvent, il s’est agi de réformer l’autorité qui assiste le président de la République dans son rôle constitutionnel de garant de l’indépendance de la Justice : le Conseil supérieur de la magistrature. Nombre de réformes ont pu être proposées et certaines même ont été abandonnées en cours d’élaboration voire été retirées en cours d’examen législatif, signe de la sensibilité extrême de la question.

On se souvient notamment de la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993 qui avait suscité beaucoup de remous sous François Mitterrand. On se souvient encore du rapport Truche sous Jacques Chirac et Lionel Jospin qui avaient finalement retiré le projet alors qu’il arrivait devant le Congrès[2]. Tout dernièrement, c’est la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République qui est venue le réformer à la suite du rapport Balladur[3].

Mais il faut noter d’emblée que ces réformes et, plus généralement, ces discussions passent sous silence deux points majeurs. Le premier est évidemment la Justice administrative : notre pays connaît une dualité dans l’organisation de ses juridictions, entre ses juridictions judiciaires et ses juridictions administratives, et chaque fois qu’il s’agit de renforcer l’indépendance de la Justice, seules les premières occupent le champ des réformes sans s’intéresser aux secondes. C’est au demeurant compter sans les juridictions financières, la kyrielle des autorités administratives indépendantes dotées d’un pouvoir de sanction quasi-juridictionnel et le Conseil constitutionnel. Le second est l’impartialité du magistrat lui-même, en tant qu’individu doué d’humanité et d’un esprit qui peut se sentir écrasé sous le poids des pressions de plus en plus nombreuses et intimidantes qui pèsent sur lui dans notre société moderne et le fragilisent : seule l’indépendance de la magistrature, en tant qu’institution judiciaire, retient l’attention, oubliant que la Justice est composée d’hommes et de femmes qui restent avant tout des êtres humains.

Si la question de l’indépendance et de l’impartialité de la Justice revêt une telle importance, c’est en raison de la confrontation de deux courants qui évoluent en sens contraire. Un premier courant défend ardemment l’indépendance et même l’impartialité de la Justice en les définissant comme un principe essentiel sans lequel l’Etat ne serait pas démocratique. Il suffit d’observer, pour s’en convaincre, combien on jauge le niveau de démocratie dans un pays suspecté de dictature au regard du niveau d’indépendance ou d’impartialité de sa Justice : tel pays sera jugé antidémocratique au motif parmi d’autres que sa Justice n’est ni indépendante vis-à-vis du pouvoir politique, ni impartiale vis-à-vis des justiciables. Ce courant n’est pas nouveau et remonte au moins aux Lumières, c’est-à-dire Montesquieu et Locke tout particulièrement. L’idée générale et simple à comprendre est que les magistrats puissent rendre leurs décisions sans crainte, ni intérêt, qu’ils aient la conscience libre et hors de toutes concessions lorsqu’ils doivent juger. C’est dans ce contexte que l’indépendance et l’impartialité de la Justice sont des principes effectivement garantis en France par la Convention européenne des droits de l’homme et la Constitution[4].

Un second courant tend à affaiblir l’indépendance et l’impartialité de la Justice par l’effet collatéral de pressions voire de tensions que subissent de plus en plus les magistrats, sans le vouloir, dans une société moderne devenue exigeante voire intransigeante envers eux. Ces pressions qui étaient largement politiques par le passé sont désormais, de façon grandissante, également sociales : ce n’est plus seulement le pouvoir politique qui s’immisce subrepticement dans les affaires de la Justice mais également les citoyens, les médias, les corps intermédiaires, l’opinion publique et ce, par des voies détournées mais toutes convergentes vers ce même objectif inavoué de fléchissement de la toute liberté dont pourraient jouir les magistrats.

En définitive, s’opposent un courant intellectuel et même philosophique largement reconnu et partagé et un courant factuel et sociétal qui prend de l’ampleur sans toujours la mesurer. C’est cette opposition entre ces deux courants contraires qui complique les tentatives de convergence et qui depuis des siècles, en France, pose la délicate question de l’indépendance de la Justice, plus encore sans doute que celle de son impartialité qui est peut-être considérée davantage comme un acquis ou une problématique de second rang, sûrement à tort. On aboutit ainsi à des discours et déclarations de hautes personnalités politiques et même d’éminents juristes rappelant avec conviction que la Justice est et doit être indépendante mais que contrebalancent, dans la réalité, des affaires judiciaires qui surprennent par l’inattendu ou l’invraisemblance de leur issue, des décisions relatives à l’administration de la Justice ou le déficit de confiance publique que connaît la Justice.

Ces circonstances amènent tout naturellement l’observateur à s’interroger sur les facteurs de cette forme moderne de dépendance et de partialité de la Justice française à même d’expliquer ce phénomène. Il faut bien comprendre que si le problème éternel de l’indépendance et de l’impartialité de la Justice n’est pas nouveau, les données du problème, quant à elles, ont évolué. Il s’agit moins de dépeindre un constat sans doute polémique et exagéré d’une Justice qui serait placée sous la coupe du pouvoir politique ou les humeurs des magistrats que de décrypter en réalité un phénomène psychologique et sociologique.

Les facteurs de la dépendance moderne (I) et ceux de la partialité moderne de la Justice (II) montrent irréductiblement les limites de l’exigence d’indépendance et d’impartialité de la Justice qui se voudrait absolue en démocratie.

I- Les facteurs de la dépendance moderne de la Justice

La dépendance moderne de la Justice n’est pas une dépendance franche, contrairement à ce qu’on pourrait penser et à ce qui a longtemps été le cas dans l’histoire. Ce n’est pas une dépendance directe vis-à-vis du pouvoir politique qui dicterait aux magistrats leurs décisions, s’inviterait dans le cours des affaires ou s’immiscerait dans l’administration de la magistrature.

En effet, il n’y a plus de monarchie dans laquelle, disait-on, « le roi est fontaine de toute justice » ; il n’y a plus de Justice administrative qui soit retenue et exercée par l’administration elle-même ; il n’y a plus de lits de justice par lesquels le monarque s’invitait dans les Parlements ; il n’y a plus d’épurations permettant de renvoyer les magistrats indociles[5] ; il n’y a plus de juges auditeurs envoyés par le pouvoir politique dans les tribunaux et lui offrant la voie d’influer sur leurs décisions dans certaines affaires.

La dépendance moderne de la Justice est en réalité plus sournoise et insidieuse qu’il y paraît, plus latente et lancinante. Le pouvoir politique ne s’invite plus désormais sur le devant de la scène judiciaire comme auparavant mais se maintient en fait dans les coulisses où il conserve et joue un rôle, un rôle plus diffus qui ne dit pas son nom.

Il n’est sans doute pas possible de dresser une typologie exhaustive des facteurs de la dépendance moderne de la Justice. Cependant, des facteurs majeurs peuvent être décrits, permettant une compréhension satisfaisante de la problématique. Ces facteurs sont tantôt institutionnels (A), tantôt intellectuels (B).

A) Les facteurs institutionnels de la dépendance moderne de la Justice

Les facteurs institutionnels s’observent au sein d’institutions de la République dont l’organisation ou les attributions mettent la Justice dans une situation de dépendance moderne à l’égard du pouvoir politique.

Un premier facteur institutionnel résultait de la composition du Conseil supérieur de la magistrature : il était présidé par le président de la République et vice-présidé par le garde des Sceaux, ministre de la Justice jusqu’à l’adoption de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008. Désormais, la formation plénière est présidée par le premier président de la Cour de cassation qui peut être suppléé par le procureur général près la Cour de cassation et chacun d’eux préside, respectivement, la formation compétente à l’égard des magistrats du siège et la formation compétente à l’égard des magistrats du parquet. Le président de la République est ainsi entièrement évincé mais le garde des Sceaux, ministre de la Justice, quant à lui, conserve toujours le droit de participer aux séances du Conseil supérieur de la magistrature.

Même si la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 vient tout juste de remanier le Conseil supérieur de la magistrature, le fait que la présidence ait été pendant des décennies assurée par le président de la République continuera à demeurer dans les esprits de la magistrature comme le rappel de l’emprise longtemps exercée par le pouvoir politique. Cette modification institutionnelle demandera du temps pour parvenir à effacer des décennies et des décennies de présidence du Conseil supérieur de la magistrature assurée par le président de la République, avant que le temps n’accomplisse son travail d’oubli et de libération mémorielle. Surtout, cette mesure réformatrice à l’endroit du Conseil supérieur de la magistrature ne doit pas occulter tous les dispositifs qui, à d’autres endroits, mettent encore la Justice en situation de dépendance moderne.

Un deuxième facteur institutionnel résulte du mode de désignation des magistrats. Si le président de la République a perdu la présidence du Conseil supérieur de la magistrature, il n’a cependant pas perdu son pouvoir de nomination des magistrats. Même si sa nomination est proposée par le Conseil supérieur de la magistrature ou doit recevoir l’avis conforme de ce dernier, le magistrat du siège reste nommé par décret du président de la République. C’est ainsi que l’ancien juge d’instruction Eric Halphen, qui avait été placé à sa demande en position de disponibilité, a été nommé en 2007, à la suite de sa demande de réintégration, vice-président du Tribunal de grande instance de Paris au sein duquel il est affecté à la 19ème Chambre, une formation compétente en matière d’accidents de la circulation.

La nomination des magistrats du parquet, quant à elle, n’est ni proposée par, ni soumise à l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, lequel délivre seulement un avis simple. Ses avis négatifs sont d’ailleurs régulièrement ignorés par le ministère de la Justice qui de plus en plus passe outre ces derniers comme cela a été le cas en 2007 avec la nomination de l’ancien juge d’instruction Philippe Courroye en qualité de procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Nanterre, juridiction précisément compétente dans l’affaire du financement illégal du RPR. Déjà en 1996 et 2006, la nomination respectivement d’un ancien directeur de cabinet du garde des Sceaux, ministre de la Justice et d’un ancien conseiller à la justice du président de la République au poste de procureur général près la Cour d’appel de Paris avait suscité la polémique. Les magistrats du parquet sont tout simplement nommés par le président de la République sur proposition du garde des Sceaux, ministre de la Justice comme les ministres eux-mêmes le sont sur proposition du Premier ministre.

Quant aux membres de l’ordre administratif, leur nomination n’est absolument pas soumise à de telles procédures. Les membres du Conseil d’Etat, c’est-à-dire les maîtres des requêtes, les conseillers d’Etat en service ordinaire et le vice-président, sont nommés par décret, en Conseil des ministres pour les deux derniers, sur la proposition du garde des Sceaux, ministre de la Justice, sans aucun avis de quelque autorité indépendante que ce soit. Seules les nominations au tour extérieur et les nominations parmi les membres du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel sont précédées d’un avis, respectivement du vice-président du Conseil d’Etat et de celui-ci délibérant avec les présidents de section du Conseil d’Etat, mais ce n’est pour autant un avis conforme. S’agissant des membres du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, ils sont nommés par décret du président de la République. Seules les nominations au tour extérieur ou par détachement font l’objet de propositions, formulées par le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel et seules les affectations des conseillers d’Etat en service ordinaire dans les fonctions de président de cour administrative d’appel sont précédées d’un avis du vice-président du Conseil d’Etat délibérant avec les présidents de section du Conseil d’Etat.

Un troisième facteur institutionnel résulte d’ailleurs de la situation des magistrats du parquet. Ces derniers sont en effet placés sous l’autorité hiérarchique du garde du Sceaux, ministre de la Justice, c’est-à-dire du pouvoir politique, lequel dispose à leur égard du pouvoir d’instruction. Alors qu’elles avaient disparu ces dernières années au profit d’instructions générales sur la seule manière dont les magistrats du parquet devaient appliquer la politique pénale[6], les instructions individuelles dans les affaires particulières ont récemment fait leur réapparition. Dans les affaires du mariage de Bègles entre deux hommes, du mariage de Lille dont le mari avait demandé la nullité pour erreur sur les qualités essentielles de l’épouse en raison de son mensonge sur sa virginité, de la remise en liberté d’un détenu par suite d’une erreur de plume dans un arrêt, le parquet n’a pas agi de son propre chef mais sur l’instruction du garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cette situation, que ne connaissent pas, par exemple, l’Italie ou le Portugal dont les Constitutions respectives garantissent l’indépendance du parquet, a valu une formule attribuée à Maître Pierre Lœwel s’adressant à un avocat général durant un procès : « Dans cette affaire, le ministère public, c’est le ministère tout court. »

D’autres facteurs institutionnels peuvent être recherchés dans le fait que le Premier ministre soit le président du Conseil d’Etat, sans doute parce que « juger l’administration, c’est encore juger », selon la maxime restée célèbre ; dans le pourvoi en cassation dans l’intérêt de la loi que le garde des Sceaux, ministre de la Justice peut donner instruction au procureur général près la Cour de cassation de former alors même qu’aucune des parties à l’affaire n’a formé de pourvoi, résurgence du pouvoir d’évocation qui appartenait au roi en son Conseil sous l’Ancien régime ; dans le droit de grâce et d’amnistie qui permet au président de la République d’effacer d’un coup de décret magique des condamnations pénales décidées par la Justice et l’actualité en a récemment montré tout l’usage avec la grâce partielle de Jean-Charles Marchiani ; dans l’existence même d’un ministère de la Justice, résurgence de l’ancien office de chancelier de France, là où n’existe pas, en revanche, un ministère du Parlement mais simplement un secrétariat d’Etat chargé des relations avec le Parlement et où là encore la Principauté de Monaco a institué plus volontiers une Direction des services judiciaires, indépendante du Gouvernement ; dans le profile et le mode de désignation des neuf membres du Conseil constitutionnel qui ne sont pas des magistrats et qui sont nommés, à parité, par le président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat et le président de la République là où le Tribunal constitutionnel fédéral en Allemagne est composé uniquement de hauts magistrats au nombre de seize nommés à parité par chacune des deux chambres parlementaires ; dans l’audition d’un « juge Burgaud » par une commission d’enquête parlementaire là où à l’inverse « les juges ne peuvent (…) citer devant eux les administrateurs pour raison de leur fonction »[7].

La conjugaison de ces facteurs institutionnels crée une situation dans laquelle les magistrats sont les victimes d’un sentiment d’affaiblissement de leur indépendance qui ne leur permet pas dès lors de jouir d’une pleine et entière liberté de conscience et de jugement dans l’exercice de leurs fonctions. L’idée d’un pouvoir judiciaire en France, à égalité avec le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, apparaît alors comme une vulgaire utopie. C’est une double situation de césarisme ou de bonapartisme, d’une part, et de centralisation marquée par un fort légicentrisme, d’autre part.

Ce césarisme ou bonapartisme, d’une part, est généré sous la Ve République par le régime semi-présidentiel de la France dans lequel le président de la République n’est plus seulement une figure honorifique, comme au cours des précédentes Républiques, mais « la clef de voûte de notre régime parlementaire », selon les propres termes de Michel Debré dans son discours de présentation de la Constitution de la Ve République au Conseil d’Etat le 27 août 1958. Elu au suffrage universel direct depuis 1962 et non plus nommé par le Parlement comme auparavant, il tire une force de légitimité directement des urnes électorales. Or, le président de la République est celui qui, loin d’être anodin, nomme les magistrats, celui qui, jusque récemment, présidait le Conseil supérieur de la magistrature et celui qui constitutionnellement est le garant de l’indépendance de la Justice.

Cette centralisation marquée par un fort légicentrisme, d’autre part, est générée depuis la Révolution française par la suprématie accordée au Parlement et reconnue à la loi au sens formel du terme. Déjà l’absolutisme de la monarchie française, instauré pour parvenir à asseoir le pouvoir royal à la fin du Moyen-Age dont le système féodal avait morcelé le pouvoir politique sur tout le territoire, constituait un vecteur de centralisation, « seule portion de la constitution de l’Ancien régime qui ait survécu à la Révolution », comme le démontra Tocqueville[8]. Même si le pouvoir législatif est rationalisé sous la Ve République dans le but d’empêcher les travers de la souveraineté parlementaire qu’ont connue les régimes d’assemblée des IIIe et IVe Républiques, le Parlement reste et la loi se maintient comme l’expression de « la volonté générale » au sens de Rousseau[9]. Il suffit, pour s’en convaincre, de se souvenir qu’il a fallu attendre les arrêts Jacques Vabre de 1975 de la Cour de cassation et Nicolo de 1989 du Conseil d’Etat pour que le juge accepte d’écarter une loi contraire à une convention internationale, tout particulièrement la Convention européenne des droits de l’homme. Alors qu’elle existe depuis 1803 aux Etats-Unis dans le cadre du judicial review et depuis des décennies en Allemagne, en Italie ou encore en Belgique, il a fallu pareillement attendre la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 pour que l’exception d’inconstitutionnalité soit offerte aux justiciables en France pour écarter dans une affaire l’application d’une loi non-conforme à la Constitution.

Se maintient ce faisant une idéologie dont l’origine est à rechercher chez certains philosophes des Lumières et Révolutionnaires selon laquelle la puissance « de juger est en quelque façon nulle » et « les juges de la Nation ne sont (…) que la bouche qui prononce les paroles de la loi ; des êtres inanimés qui n’en peuvent modérer ni la force ni la rigueur » chez Montesquieu[10] ou encore « la bouche de la loi, instrument passif, aveugle, dont toutes les actions, toutes les décisions sont d’avance écrites dans la loi » chez Clermont-Tonnerre à l’Assemblée constituante de 1789. Leurre d’une Justice sans hommes et, partant, sans humanité, cette conception d’une Justice mécanique s’est forgée en réaction aux débordements des cours souveraines que constituaient les Parlements d’Ancien régime : usant voire abusant de leur droit de remontrance et itérative remontrance contre les projets de réformes initiés au XVIIIe siècle pour sortir le Royaume de la crise[11], se mêlant ainsi des affaires de l’administration et du pouvoir politique, sans compter leur pratique des arrêts de règlement, allant jusqu’à se mettre en grève et provoquer des lits de justice comme celui de la mémorable séance de la Flagellation du 3 mars 1766, « l’esprit des grandes corporations judiciaires est un esprit ennemi de la régénération », selon la formule résumée de Thouret à l’Assemblée constituante de 1790[12]. C’est dans ce contexte historique que par la loi des 16-24 août 1790, les Révolutionnaires ont entendu soumettre les magistrats à leur « nouvel ordre judiciaire » destiné à empêcher ces débordements et empiètements sur leur action administrative et politique[13]. A vrai dire, la Justice d’Ancien régime telle que décrite ci-dessus est un fantôme qui continue d’hanter la Justice d’aujourd’hui.

Cette double situation en provenance de l’histoire de la France rencontre précisément un regain à l’heure actuelle à travers des facteurs intellectuels plus contemporains de la dépendance moderne de la Justice.

B) Les facteurs intellectuels de la dépendance moderne de la Justice

Les facteurs intellectuels s’observent, de la même façon que cette double situation de césarisme ou bonapartisme et de centralisation marquée par un fort légicentrisme, dans les discours et déclarations de personnalités politiques ainsi que dans leur ambition voire leurs tentatives d’affaiblir l’indépendance de la Justice et le pouvoir qu’elle représente. Or, si les magistrats peuvent être la cible d’attaques personnelles, il faut rappeler qu’ils ne peuvent pas, en retour, répliquer à celles-ci car ils sont astreints à un devoir de réserve en vertu de l’article 10 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : cette situation génère inéluctablement un déséquilibre au détriment des magistrats. Quelques illustrations suffisent à se forger une compréhension de ces facteurs intellectuels contemporains.

D’une part, on observe des facteurs tendant directement à affaiblir l’indépendance de la Justice. En 2005, le nouveau président du parti au pouvoir en France s’en prend au juge (trois en réalité) qui a remis en liberté conditionnelle Patrick Gateau, condamné en 1990 à perpétuité pour assassinat, parce qu’il vient de récidiver sur une joggeuse, Nelly Cremel : il doit « payer pour sa faute », déclame-t-il. La seule réaction qu’aura alors le président de la République, garant constitutionnel de l’indépendance de la Justice, sera une lettre adressée à trois des membres du Conseil supérieur de la magistrature dans laquelle il mentionnera sommairement : « Le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs et le respect de l’indépendance de la Justice sont intangibles et essentiels à l’équilibre et au bon fonctionnement de nos institutions. J’en suis le garant et soyez assuré que j’y suis particulièrement attentif. Rien ne saurait les remettre en cause. » Doit être d’ailleurs rattachée à ce fait la série de déclarations, réflexions et tentatives au sujet de la responsabilité des magistrats qui devraient, comme n’importe quel autre individu, être tenus responsables de leurs fautes et en répondre. En 2006, il s’en prend au Palais de Justice de Bobigny qu’il accuse de laxisme en matière de délinquance, juvénile tout particulièrement. L’article 434-24 du Code pénal ne condamne-t-il pas d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende « l’outrage par paroles (…) à un magistrat, un juré ou toute personne siégeant dans une formation juridictionnelle dans l’exercice de ses fonctions ou à l’occasion de cet exercice et tendant à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont il est investi » ? En 2008, en président de la République désormais, il demande à la Cour de cassation de lui faire toutes les propositions pour permettre une application immédiate de la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté alors que le Conseil constitutionnel vient de censurer la disposition prévoyant son application aux personnes condamnées pour des faits commis antérieurement à sa promulgation[14], que les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent à toutes les autorités et que le principe fondamental de non-rétroactivité de la loi pénale interdit formellement une telle application rétroactive.

D’autre part, on observe des facteurs qui aboutissent indirectement à fragiliser l’indépendance de la Justice. Ce sont en réalité les polémiques que suscitent certaines affaires judiciaires revêtant une importance tangible et dont s’emparent les personnalités politiques dans des termes qui manquent généralement de réserve et de respect à l’égard de l’indépendance de la Justice et du travail en cours des magistrats qui en sont saisis. En 2004, lors de la séance de questions au Gouvernement à l’Assemblée nationale, le Premier ministre répond à un député s’interrogeant sur le projet de mariage de Bègles : « Le Code civil ne permet ni n’autorise le mariage de deux personnes de même sexe. Donc, si un tel événement avait lieu, il ne pourrait être qualifié de mariage. Il s’agirait d’une manifestation illégale, nulle en Droit et de nul effet. » Déjà en 1976, le ministre de l’intérieur, Michel Poniatowski, déclare à la télévision, à propos de l’affaire Patrick Henry : « Si j’étais juré, je me prononcerais pour la peine de mort. »

En 2008, le porte-parole du parti au pouvoir en France déclare que le jugement ayant annulé le mariage de Lille est « profondément choquant », une « mauvaise interprétation de l’esprit de la loi » et incite le garde des Sceaux, ministre de la Justice à engager une démarche juridique pour obtenir son annulation puis, à la suite de l’arrêt rendu par la cour d’appel dans la même affaire, à demander un pourvoi en cassation dans l’intérêt de la loi. Le parti de l’opposition, par la voix de sa secrétaire nationale chargée de la parité, affirme, quant à lui, qu’il « porte atteinte au principe constitutionnel d’égalité entre les hommes et les femmes et de non-discrimination » ainsi qu’aux « principes de laïcité en soumettant les lois de la République au droit coutumier ».

Ce sont là quelques illustrations auxquelles pourrait être encore jointe la polémique récente suscitée par la remise en liberté en 2008 de Jorge Montes par suite d’une erreur de plume de la cour d’appel. L’article 434-25 du Code pénal ne condamne-t-il pas de six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende « le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance » ?

Il en va plus fortement ainsi lorsque la personnalité politique est partie à l’affaire. Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer les rebondissements de nombreuses affaires politico-financières ou scandales impliquant des personnalités politiques. C’est ainsi, par exemple, qu’en 2008, dans l’affaire Clearstream, l’ancien Premier ministre est, dans un premier temps, mis hors de cause par le parquet alors que les juges d’instruction décideront pourtant de le renvoyer devant le tribunal correctionnel. Il suffit également d’observer la pratique actuelle du président de la République en exercice qui consiste à saisir la Justice plus que tous ses prédécesseurs lorsqu’il estime qu’une atteinte a été portée à son honneur ou à son image. Le 7 janvier 2009, lors de l’audience solennelle de la Cour de cassation, il déclare d’ailleurs dans son discours : « Nul ne pourra contester non plus que lorsque dans ma vie privée ou publique j’ai été l’objet d’accusations fallacieuses ou d’instrumentalisations intéressées, c’est à la justice que j’ai demandé protection et réparation. Comme tous les Français, je veux quand il est mis en cause, que mon bon droit soit reconnu. »

Pourtant, il n’est pas un Français comme les autres, un justiciable ordinaire du fait de l’immunité de juridiction dont il jouit, le mettant asymétriquement à l’abri de toutes actions à son encontre, et de la fonction proéminente qu’il occupe au sein de l’Etat. « Juge supérieur de l’intérêt national », selon la formule de Michel Debré, il est un « arbitre entre les partis » qui se doit de s’extraire des clivages, de se placer hors du jeu des querelles partisanes voire des provocations personnelles, qu’elles émanent de la vox populi ou de la voix des hommes politiques. Elles constituent de toutes les manières la contrepartie inséparable de l’exercice du pouvoir et font partie du jeu de l’exercice d’une fonction telle que celle de président de la République.

Ces facteurs de dépendance moderne de la Justice permettent d’expliquer l’inattendu ou l’invraisemblable de l’issue des affaires évoquées : un mariage de Bègles annulé en première instance, en appel et en cassation après l’action en nullité intentée par le parquet ayant reçu instruction d’agir alors que le Code civil ne contient aucune nullité expresse et que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme offre la voie de la reconnaissance de ce mariage ; un mariage de Lille annulé en première instance mais jugement aussitôt infirmé en appel après l’intervention du pouvoir politique ayant donné instruction au parquet de faire appel alors que les époux souhaitaient tous deux l’annulation de leur mariage et que ce jugement s’inscrivait dans la droite ligne de la jurisprudence relative à l’erreur sur les qualités essentielles ; un arrêt de remise en liberté renfermant une erreur de plume mais aussitôt rectifiée après l’intervention du même pouvoir politique ayant donné instruction au parquet de former une requête en rectification d’erreur matérielle alors que la jurisprudence de la Cour de cassation ne l’autorise pas[15].

Endiguer le phénomène de dépendance moderne de la Justice nécessite au moins trois évolutions : l’indépendance du parquet qui serait dorénavant placé sous un procureur général près la Cour de cassation devenu procureur général de la République ou de la Nation, comme cela existe en Espagne, aux Pays-Bas ou encore au Portugal[16] ; le renforcement de l’indépendance du Conseil supérieur de la magistrature qui pourrait se muer en un Conseil supérieur de la Justice dont les attributions seraient plus larges et pourraient rapatrier des attributions de la Chancellerie, telles la formation et l’actuelle Inspection générale des services judiciaires, ainsi que couvrir non plus seulement la magistrature judiciaire mais également les membres de l’ordre administratif[17] ; le passage du mode de leur nomination à une procédure plus grandement démocratique et représentative, au moins pour les postes élevés de la Justice, afin d’éviter toute critique de politisation et lui conférer un caractère plus solennel. Mais plus encore que l’indépendance, c’est sans doute l’impartialité de la Justice qui traverse actuellement un courant de fortes turbulences dans une société devenue de plus en plus exigeante et intransigeante à son égard.

II- Les facteurs de la partialité moderne de la Justice

La partialité moderne de la Justice n’est pas une partialité induite, contrairement à d’autres pays voire d’autres temps, à une corruption gangrénant le système. Sans doute non plus le dispositif d’aide juridictionnelle n’est-il pas parfait mais pour autant, le problème contemporain ne se situe pas sur le plan d’une difficulté éventuelle d’égal accès à la Justice, pour le pauvre comme le riche, le faible comme le fort. Il se situe davantage dans le for intérieur du magistrat lorsqu’il est appelé à se prononcer, à se positionner sur une question dépassant la seule sphère du cas particulier qui lui est soumis, à trancher une question qui intéresse, au-delà des seules parties à l’instance, des intérêts plus larges voire la société tout entière. Avant de décrire les différents types de facteurs de la partialité moderne de la Justice (B), doit d’abord être cerné le contexte de celle-ci (A).

A) Le contexte de la partialité moderne de la Justice

Aux magistrats, se posent des questions non plus seulement de droit mais fréquemment de société : ils ne sont plus seulement saisis de faits ou actes juridiques mais également, dans une tendance en progression, de faits sociaux. Ce peut être aussi bien un fait divers qui parce que médiatisé ou particulièrement grave, retient l’attention de l’opinion publique tout entière qu’un fait de société généralement nouveau ou prenant de l’ampleur et qui ne rencontre aucun écho juridique. En matière de faits de société, ce n’est pas une tendance propre à la France : la plupart des démocraties modernes font face à cette problématique consistant à ériger la Justice en pouvoir régulateur au sein de l’Etat, un pouvoir judiciaire en véritable contre-pouvoir, en tous les cas à égalité avec le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, saisi aujourd’hui de toute part par les requêtes des citoyens en appelant au juge pour répondre à celles de leurs revendications que les hommes politiques ont laissé sans réponse .

Non préparée à ce phénomène nouveau pour lequel originellement elle n’est pas faite, notre Cour de cassation, pour s’en tenir à la France, traverse cette crise identitaire quant à sa place au sein de l’Etat. En dehors des seules difficultés matérielles, la difficulté majeure à résoudre avant l’avènement de ce qui pourrait constituer un véritable pouvoir judiciaire en France est celle de l’impartialité car la Justice ne saurait trancher de telles questions de société si des pressions extérieures s’exerçant sur elles venaient à troubler la sérénité du libre travail des magistrats.

S’est développée ces dernières années, sous l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme[19], qui s’est elle-même fait l’écho de la conception anglo-saxonne, une distinction à propos de l’impartialité, entre l’impartialité objective et l’impartialité subjective[20]. L’impartialité subjective se définit comme la libre conscience du magistrat, dans l’affaire qui lui est soumise, induite par son attitude de neutralité à l’égard des parties au procès, de la cause, des intérêts en présence. Cette forme d’impartialité doit être précisément garantie par les règles de la procédure judiciaire précitées.

L’impartialité objective, quant à elle, se définit toujours comme cette libre conscience du magistrat mais induite, cette fois-ci, par le fonctionnement de l’institution judiciaire dont il est membre. Issue des pays anglo-saxons pour lesquels « justice must not only be done : it must also be seen to be done », cette forme d’impartialité s’est développée peu à peu en Europe sous l’impulsion de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme[21] et se trouve progressivement garantie, en France, par l’instauration d’interdictions et obligations nouvelles à l’égard des magistrats et qui visent essentiellement à éviter soit qu’un magistrat puisse avoir à connaître deux fois de la même affaire à un titre ou à un autre , soit l’immixtion d’un magistrat n’appartenant pas au siège dans le délibéré de l’affaire.

La Justice française connaît à l’heure actuelle des difficultés aussi bien en matière d’impartialité objective qu’en matière d’impartialité subjective. Les facteurs de la partialité objective résultent d’institutions ou de dispositifs intervenant dans le cours du processus judiciaire. L’objectivité de cette forme d’impartialité signifiant l’apparence d’impartialité que la Justice doit manifester à l’égard des justiciables, il faut observer combien la Justice reste en apparence suspecte aux yeux de ces derniers qui doutent de sa véritable impartialité. Le nombre d’arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme condamnant la France au visa de l’article 6 de la Convention atteste d’ailleurs de la prégnance de ces facteurs. Le commissaire du Gouvernement, dont le nom est déjà source d’ambiguïté, est à lui seul la plus emblématique cible des critiques de la Cour de Strasbourg, notamment à cause de sa présence au délibéré et de la difficulté à soumettre ses conclusions au principe du contradictoire[22]. A compter du 1er février 2009, il change d’ailleurs de nom au profit de celui de rapporteur public[23]. D’une manière générale, l’impartialité objective progresse à tâtons, en France, au fur et à mesure des améliorations apportées à celles de ces institutions ou ceux de ces dispositifs qui apparaissent à l’occasion incompatibles avec cette exigence.

Plus que l’impartialité objective, c’est l’impartialité subjective qui présente actuellement des inquiétudes nouvelles. Construite autour de la notion de for intérieur du magistrat, de l’être humain en somme, elle constitue la part inaccessible de l’exigence d’impartialité, une part imprenable à la différence de l’impartialité objective ou même de l’indépendance dont des mécanismes correctement réglés voire institutionnalisés peuvent être mis en place pour les assurer. Comment s’introduire dans le for intérieur d’un individu, d’un magistrat ?

Pourtant, le for intérieur du magistrat, siège de cette impartialité subjective, est le plus en proie aux attaques extérieures dans notre société contemporaine. La Justice est démocratisée, plus vulgarisée voire banalisée en tous les cas qu’autrefois, que les citoyens la saisissent plus et plus facilement qu’auparavant ou qu’ils se saisissent, par le relai des médias et des corps intermédiaires, des affaires à fort retentissement ou fortes répercussions dans la société. S’exerce dès lors sur la conscience judiciaire un poids issu de ces exigences, pressions, intransigeances de la société. Témoin du ressenti réel de ces agressions extérieures chez le magistrat, la concision de ses décisions, de la motivation de ses décisions plus exactement, traduit en réalité ce qui n’est qu’un mécanisme de défense psychologique face à la crainte viscérale de l’erreur, un mécanisme destiné à éviter les développements dans lesquels pourraient s’introduire les lecteurs avec le risque de provoquer malencontreusement des sous-entendus voire des malentendus : la concision est un rempart contre la pénétration de la conscience du magistrat. A l’opposé des magistrats anglo-américains dont la motivation des décisions peut dépasser les dix ou vingt pages, sans compter les opinions dissidentes, concordantes ou individuelles qui viennent s’y ajouter et qui existent également à la Cour de justice internationale et à la Cour européenne des droits de l’homme, les magistrats français s’illustrent par le laconisme de la motivation de leurs décisions qui peut tenir, comme c’est le cas à la Cour de cassation, en quelques lignes[24]. Ces facteurs qui contribuent à fragiliser l’impartialité subjective du magistrat sont essentiellement de trois types.

B) Les types de facteurs de la partialité moderne de la Justice

Le premier type de facteurs est processuel. La procédure judiciaire est de nos jours fréquemment perçue comme une voie tantôt de redressement des torts, tantôt de thérapie personnelle, tantôt de rédemption, tantôt d’expiation, tantôt de vengeance personnelle. Tour à tour, le demandeur ou le défendeur, la partie civile ou l’accusé ou prévenu attendent de la Justice bien plus que ce que des magistrats sont normalement en mesure de fournir. A la liste des affaires déjà invoquées, peuvent être ajoutées les affaires du sang contaminé, de l’hormone de croissance, de l’Erika, de l’amiante, toutes ces affaires fameuses qui ont d’une manière générale le luxe d’avoir un nom à particule que tout le monde connaît. Dans ces affaires dont la nature pénale implique les plus forts enjeux humains, le risque de l’erreur judiciaire ou du verdict impopulaire pèse comme une épée de Damoclès sur la conscience des magistrats, y compris des jurés. Les scènes de liesse et, à l’inverse, les scènes de colère de la part des victimes ou même, selon le cas, des individus poursuivis, au sortir de la lecture du verdict voire au cours du procès, sont pour les magistrats chargées d’affects qui peuvent troubler la sérénité d’esprit que requiert une charge telle que celle de juger une affaire, juger un homme.

D’aucuns ont en mémoire ces images de hordes de gens assiégeant les Palais de Justice à l’occasion de procès retentissants, confinant à des scènes de trouble voire désordre qui siéent peu avec la sérénité que requiert l’œuvre judiciaire. C’était plus gravement encore le cas au temps de la guillotine où les abords des cours d’assises criaient des « A mort ! », comme Maîtres Robert Badinter et Jacques Vergès ont pu les décrier lors de leurs plaidoiries notamment dans les affaires Bontems et Bouhired. Les passions humaines, souvent des locaux, sont en effet capables de se déchaîner avec une ardeur telle qu’une chape de plomb peut se faire ressentir sur les magistrats, y compris les jurés. Le renvoi pour cause de sûreté publique, autrement appelé le dépaysement, n’existe-t-il pas dans ces circonstances ?

Le deuxième type de facteurs est professionnel. La magistrature est en effet une profession. Le magistrat a étudié pendant un certain nombre d’années, passé avec succès un concours sélectif et suivi une formation professionnelle pour accéder à cette profession. Il n’est dès lors pas anormal que la magistrature, nonobstant son statut particulier, reste une profession exercée contre rémunération et s’inscrivant dans le cadre d’une carrière. Il s’ensuit tout naturellement deux phénomènes chez les magistrats, sources de ce facteur professionnel de mise à mal de leur impartialité subjective : l’expression d’aspirations professionnelles et la vigilance à l’égard de la sanction disciplinaire.

Le phénomène de vigilance à l’égard de la sanction disciplinaire porte sur le risque pour le magistrat de faire l’objet de poursuite disciplinaire devant le Conseil supérieur de la magistrature. Il semble toutefois faible, étant donné le nombre très marginal de sanctions disciplinaires prises chaque année à l’encontre de magistrats . Peut-être la tendance s’inversera-t-elle à court ou moyen-terme avec la faculté désormais reconnue à tout justiciable de saisir le Conseil supérieur de la magistrature en vue de poursuivre disciplinairement un magistrat et qui pourrait se traduire par une augmentation du nombre des sanctions disciplinaires. Sans conteste faut-il être vigilant vis-à-vis de la tentation de plus en plus grande de la part de certains hommes politiques de vouloir soumettre les magistrats à un régime de responsabilité professionnelle : un tel régime induirait nécessairement un regain de ce phénomène de vigilance des magistrats à l’égard de la sanction disciplinaire voire professionnelle.

L’expression d’aspirations professionnelles est en revanche le phénomène le plus tangible. Il porte sur l’avancement en grade et l’obtention de promotions. Or, l’avancement et les promotions ne sont pas automatiques : elles sont décidées au vu du mérite du magistrat. La carrière des magistrats étant particulièrement complexe, il convient d’éviter toute incompréhension en se limitant aux grandes lignes.

Pour les magistrats de l’ordre judiciaire, il existe deux grades, le second et le premier, outre une classe hors hiérarchie pour les fonctions les plus élevées. Les procureurs généraux et premiers présidents de cour d’appel sont appelés à évaluer les magistrats dans leur ressort tous les deux ans et adressent notamment au garde des Sceaux, ministre de la Justice, leurs présentations en vue du tableau d’avancement, établies par ordre de mérite. Chaque magistrat peut toutefois, de sa propre initiative, se porter candidat au tableau d’avancement. Le tableau d’avancement, qui mentionne tous « les magistrats jugés dignes d’obtenir un avancement »[26] du second grade au premier grade, est ensuite arrêté par la Commission d’avancement composée de dix-neuf magistrats. Après la nomination par décret soit au premier grade, soit à une nouvelle fonction parmi celles correspondant à chacun des deux grades, l’affectation précise au sein des services de la juridiction à laquelle est rattaché le magistrat est enfin décidée au début de chaque année judiciaire par le président de celle-ci.

Pour les membres du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, il existe trois grades. Ils sont pareillement évalués et notés tous les ans par le président de la juridiction à laquelle ils appartiennent, les présidents de tribunal administratif étant toutefois évalués tous les deux et par le chef de la mission permanente d’inspection des juridictions administratives. Les présidents de ces juridictions adresse leurs avis sur l’avancement des membres de leurs juridictions au Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel qui propose ensuite le tableau d’avancement. La nomination au grade supérieur ou à une nouvelle fonction parmi celles correspondant à chacun de ces grades est alors prononcée par décret. L’affectation précise des membres du Conseil d’Etat au sein des sections de ce dernier est enfin décidée annuellement par le vice-président de celui-ci délibérant avec les présidents de section. De même, l’affection précise des membres du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel au sein des formations de ces juridictions est décidée annuellement par le président de chacune d’elles.

L’institution judiciaire, si elle ne comprend pas une hiérarchie décisionnelle, comprend ce faisant bel et bien une hiérarchie organique. C’est cette hiérarchie organique, caractéristique de tous les corps de la fonction publique, fût-ce la Justice, qui peut représenter un poids et être la source d’une extrême retenue de la part des magistrats. En somme, dans une affaire sensible telle que définie ci-dessus, il sera préférable pour le magistrat qui souhaiterait garder intacte la bonne estime qu’ont ces supérieurs hiérarchiques à son égard de se conformer au consensus, explicite ou implicite, fût-il peu ou prou en marge de ce que dit le droit, de ce qui apparaît le plus conforme à l’intérêt général ou à la vérité ou de ce qui respecte le plus les droits et libertés fondamentaux. Le magistrat aura ainsi au long de sa carrière tout intérêt à faire montre de prudence dans ses actes et décisions. C’est que le mérite, critère de l’avancement dans la carrière d’un magistrat, se concilie mal avec l’idée d’un magistrat audacieux dans ses décisions, telles que censurer les lois au regard d’une convention internationale ou de la Constitution ou reconnaître pour la première fois à un individu ou une catégorie d’individus un droit fondamental qui ne serait pas prévu par la loi.

Outre le fantôme de la Justice d’Ancien régime qui guette dans les prétoires, le magistrat doit veiller à ne pas s’attirer l’accusation de « gouvernement des juges ». Cette attention scrupuleuse à l’égard de l’ordre juridique préétabli, alors que le droit est une matière infiniment évolutive en fonction de l’évolution de la société, est un meilleur gage de mérite dans la carrière professionnelle. Cette tradition française de retenue des magistrats explique qu’il ait fallu un procès comme celui de Bobigny pour remettre en cause sous l’égide de Maître Gisèle Halimi le consensus dégagé autour de la pénalisation de l’avortement[27] et, aujourd’hui, il faut fréquemment attendre l’intervention de la Cour européenne des droits de l’homme comme en matière de non-discrimination successorale vis-à-vis des enfants adultérins[28] ou de droit des personnes transsexuelles à obtenir la modification de la mention relative au sexe à l’état civil[29].

Il y a au fond, dans l’existence de cette hiérarchie organique, un élément qui apparaît fatalement troublant avec la notion voire l’exigence d’impartialité subjective et qui semble immédiatement en relativiser toute la portée. Là non plus, il ne s’agit pas pour le magistrat, contrairement à ce qu’il serait facile de croire, de se voir dicter sa décision par sa hiérarchie, laquelle n’est pas décisionnelle mais organique. Il s’agit plutôt, comme avec le pouvoir politique, de subir indirectement une pression extérieure et d’en subir malgré lui le poids psychologique à l’heure où la réussite professionnelle est une culture sociale.

Le troisième type de facteurs est médiatique. Les médias représentent, comme d’aucuns le savent, le quatrième pouvoir de la République. Jamais les journalistes ne se sont autant passionnés pour les affaires judiciaires, ni les citoyens autant délectés pour leurs chroniques judiciaires. L’heure est à la communication et à la transparence la plus totale et ce mouvement n’épargne évidemment pas la Justice. C’est ainsi que l’alinéa 3 de l’article 11 du Code de procédure pénale, issu de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, permet désormais au procureur de la République de rendre publics certains éléments de la procédure pénale en cours, donnant ce faisant lieu à des conférences de presse devant caméras de télévision et micros.

Quant au secret de l’enquête et de l’instruction, qu’en reste-t-il au fond ? La question se pose à tel point que le président de la République envisage même de le supprimer. Si ce secret permet sans aucun doute de protéger la présomption d’innocence bénéficiant au « présumé auteur des faits », pour reprendre la formule journalistique, et le bon déroulement des opérations d’investigations, il permet aussi de garder la porte du Palais de Justice suffisamment close aux pressions extérieures.

Enfin, l’exigence de transparence est à ce point extrême que le nom même du ou des magistrats auteurs de la décision judiciaire relatée par tel ou tel article de presse ou dans telle ou telle affaire défrayant la chronique est citée par les journalistes. Cette identification qui peut être vécue par le magistrat comme une révélation de son identité donne plus facilement source à un comportement précautionneux de la part du magistrat : voir son nom étalé dans les journaux a indubitablement un effet déstabilisant. Le juge d’instruction voit ses moindres actes d’instruction relatés dans la presse, les magistrats du parquet voient leurs moindres réquisitions à l’audience citées et les magistrats du siège voient leurs décisions commentées dans un style journalistique parfois incertain. Cette médiatisation délétère des magistrats atteint son paroxysme avec des affaires telles que celle d’Outreau ayant fait du « juge Burgaud » le bouc-émissaire d’une Justice sujette à des dysfonctionnements. La loi de Lynch peut s’abattre à tout instant sur le magistrat, sans crier gare.

On constate finalement que l’exigence d’indépendance et d’impartialité de la Justice a ses limites. Eprouvée jusqu’à l’absolu, elle vient à inévitablement être en bute à d’irréductibles obstacles. Si la solution en matière d’indépendance semble plus aisée à trouver dans des mécanismes institutionnels ou procéduraux destinés à améliorer son effectivité, les solutions semblent, en matière d’impartialité et plus fortement d’impartialité subjective, plus difficiles. En vérité, il faudra tôt ou tard définitivement résoudre l’épineuse question en France de la consécration d’un véritable pouvoir judiciaire qui serait incarné par une même institution réunissant toutes les juridictions, libéré de toutes interférences politiques, n’ayant plus à rougir face au pouvoir politique, capable de porter haut et fort sa légitimité, ayant confiance en elle, ce qui supposerait au moins une consécration constitutionnelle. Mais n’est-ce pas là l’utopie d’un pouvoir judiciaire en lieu et place de l’actuelle autorité judiciaire en France ?

Cet article est en partie inspiré par un entretien avec une magistrate, actuellement vice-procureure de la République, ayant été notamment substitute à l’administration centrale du ministère de la Justice, et lui rend hommage.

Bertrand BAHEU-DERRAS

Elève-avocat au barreau de Paris

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[1] En France, l’inspection est assurée, pour l’ordre judiciaire, par l’Inspection générale des services judiciaires, placée sous l’autorité du garde des Sceaux, ministre de la Justice et régie par le décret n° 65-2 du 5 janvier 1965 relatif à l’exercice des attributions de l’inspecteur général des services judiciaires et, pour l’ordre administratif, par la Mission permanente d’inspection des juridictions administratives, exercée par un conseiller d’Etat sous l’autorité du vice-président du Conseil d’Etat et régie par le Code de justice administrative.

[2] Projet de loi constitutionnelle relatif au Conseil supérieur de la magistrature, n° 835, déposé à l’Assemblée nationale le 15 avril 1998, dont le texte définitif a été adopté par le Sénat le 18 novembre 1998, soumis au Congrès par décret du 3 novembre abrogé par décret du 20 janvier 2000 et lettre du président de la République au président de l’Assemblée nationale du 19 janvier 2000.

[3] Dominique Rousseau, L’article 28 – Un CSM sans tête et sans pouvoirs nouveaux, Les Petites Affiches, 14 mai 2008, n° 97, p. 80.

[4] Constitution du 4 octobre 1958, article 64 et Convention européenne des droits de l’homme, article 6.

[5] L’épuration de la magistrature de la Révolution à la Libération, Actes du colloque de l’Association française pour l’histoire de la Justice des 4 et 5 décembre 1992 , Revue « Histoire et droit », n° 6 (en ligne).

[6] Déclaration de politique générale de Lionel Jospin, Premier ministre, à l’Assemblée nationale du 19 juin 1997 (en ligne) : « sans attendre, j’annonce solennellement que, dès aujourd’hui, plus aucune instruction concernant des affaires individuelles, de nature à dévier le cours de la Justice, ne sera donnée par le garde des Sceaux et que les projets de nomination de magistrats du parquet qui recueilleraient un avis défavorable du Conseil supérieur de la magistrature ne seront pas maintenus par le Gouvernement ».

[6] Loi sur l’organisation judiciaire des 16-24 août 1790, article 13.

[7] Alexis de Tocqueville, L’Ancien régime et la Révolution, 1856 (en ligne).

[8] Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social ou Principes de droit politique, 1762 (en ligne).

[9] Charles de Montesquieu, De l’esprit des lois, 1748, Livre XI, Chapitre VI.

[10] François Olivier-Martin, L’Absolutisme français. Les Parlements contre l’absolutisme traditionnel au XVIIIe siècle, LGDJ, 1997.

[11] Jacques-Guillaume Thouret, Discours sur la réorganisation du pouvoir judiciaire, 24 mars 1790 (en ligne).

[12] Jean-Claude Farcy, L’Histoire de la Justice française de la Révolution à nos jours, PUF, 2001.

[13] Décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008 « Loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ».

[14] Cass. crim., 18 janvier 1994, n° 93-85225 : « si en application de l’article 710 du Code de procédure pénale, les chambres d’accusation peuvent procéder à la rectification des erreurs purement matérielles contenues dans leurs décisions, ce pouvoir trouve sa limite dans la défense de modifier la chose jugée ou de restreindre ou d’accroître les droits consacrés par ces décisions ».

[15] Jean Pradel, Jean-Paul Laborde, Du ministère public en matière pénale : à l’heure d’une éventuelle autonomie ?, Recueil Dalloz, 1997, n° 19.

[16] Bertrand Louvel, La tutelle de l’exécutif sur le juge français ébranlée par le modèle européen, Gazette du Palais, 22 mai 2008, n° 143, p. 2.

[17] Fabrice Hourquebie, Sur l’émergence du contre-pouvoir juridictionnel sous la Ve République, Bruylant, 2005.

[18] CEDH, 1er octobre 1982, Piersack c/ Belgique : «  Si l’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugé ou de parti pris, elle peut, notamment sous l’angle de l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention, s’apprécier de diverses manières. On peut distinguer sous ce rapport entre une démarche subjective, essayant de déterminer ce que tel juge pensait dans son for intérieur en telle circonstance, et une démarche objective amenant à rechercher s’il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime ».

[19] Jean-François Kriegk, L’impartialité, contrepartie exigeante de l’indépendance, Les Petites Affiches, 12 juillet 1999, n° 137, p. 5.

[20] CEDH, 17 janvier 1970, Delcourt c/Belgique, § 31.

[21] L’exigence d’impartialité du juge dans le procès civil et les procédures de récusation et de renvoi pour cause de suspicion légitime, BICC 2008, n° 679, 1er avril 2008, pp. 7 à 11 (en ligne).

[22] CEDH, 7 juin 2001, Kress c/ France ; 5 juillet 2005, Loyen c/ France ; 12 avril 2006, Martinie c/ France.

[23] Décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 relatif au rapporteur public des juridictions administratives et au déroulement de l’audience devant ces juridictions.

[24] Aline Vignon-Barrault, Les difficultés de compréhension d’un arrêt : Point de vue du lecteur, Les Petites Affiches, 25 janvier 2007, n° 19, p. 22

[25] Rapport annuel 2007 du Conseil supérieur de la magistrature, p. 35 (en ligne).

[26] Décret n° 58-1277 du 22 décembre 1958 portant règlement d’administration publique pour l’application de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, article 20.

[27] Gisèle Halimi, Simone de Beauvoir, Le procès de Bobigny : La cause des femmes, Editions Gallimard, 2009.

[28] CEDH, 1er février 2000, Mazurek c/ France ; le législateur français adoptera, à la suite de cet arrêt, la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral qui supprimera l’ancien article 760 du Code civil.

[29] CEDH, 25 mars 1992, B. c/ France ; la Cour de cassation procèdera, à la suite de cet arrêt, à un revirement (Cass. Ass. Plén., 11 décembre 1992, n° 91-11900) de sa jurisprudence antérieure (Cass. civ. 1ère, 21 mai 1990, n° 88-12829, n° 88-12163, n° 88-12250, n° 88-15858).

Le président français Nicolas Sarkozy poursuit ses atteintes aux libertés publiques en engageant une réforme de la justice pénale qui, sous prétexte d’améliorer la protection des libertés individuelles, la rendra moins indépendante.

Ce projet, qu’il a annoncé le 7 janvier lors de la rentrée solennelle de la Cour de cassation (la plus haute juridiction judiciaire), aura pour principale mesure la disparition du juge d’instruction remplacé par « un juge de l’instruction, qui contrôlera le déroulement des enquêtes mais ne les dirigera plus ». Ce qui ne peut signifier qu’une chose : la direction des enquêtes sera laissée au parquet.

Le parquet, aussi appelé ministère public, est une organisation très hiérarchisée qui regroupe les magistrats (les procureurs et leurs substituts) chargés de diriger les enquêtes de police et de requérir une peine contre l’accusé. Il est à la jonction entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Selon l’article 30 du code de procédure pénale, il est placé sous l’autorité du ministre de la Justice et doit appliquer la politique pénale décidée par le gouvernement. Il n’instruit les affaires qu’à charge.

Le juge d’instruction, créé par le Code Napoléon de 1808, fait partie des magistrats « du siège » c’est-à-dire ceux qui bénéficient de l’inamovibilité (les juges). Il intervient dans les affaires les plus graves, les plus complexes (les crimes et certains délits) qui représentent 5 pour cent du total des affaires traitées. C’est une institution spécifique aux systèmes juridiques dits « inquisitoires » (par opposition au système « accusatoire » anglo-saxon) comme les systèmes français, belge, ou encore le système italien jusqu’en 1989, date à laquelle celui-ci fut réformé.

Dans un système inquisitoire moderne, les tribunaux conservent une petite partie de leurs prérogatives de l’Ancien Régime. En théorie, la justice pénale n’est pas censée être là, seulement pour départager des plaignants sur la base des arguments qu’ils lui présentent, mais pour aller rechercher elle-même des éléments de la vérité avant le procès et ne déterminer qu’ensuite qui a tort et qui a raison.

En conséquence, les juges d’instruction y sont dotés de pouvoirs étendus pour instruire les affaires « à charge et à décharge ». Une fois saisis d’une affaire par le procureur ou un plaignant, ils peuvent perquisitionner, interroger qui ils souhaitent, placer les personnes en détention provisoire, et peuvent ordonner l’usage de la force publique pour exécuter ces décisions.

Un rapport précisant le contenu de la réforme devrait être rendu en juin. Ce dont on peut déjà être sûr c’est que les personnes mises en examen auront beaucoup moins de chances de prouver leur innocence si la seule enquête à leur décharge doit être menée à leurs frais et par un avocat qui ne jouira pas d’autant de possibilités d’action que le parquet.

On peut également supposer qu’il sera encore plus difficile de prouver les atteintes aux droits des personnes commises par l’État, que ce soit dans la répression des mouvements de contestation qui s’amplifient actuellement ou dans les opérations militaires à l’étranger.

Très peu d’avocats se sont prononcés en faveur de cette réforme, alors qu’ils ont encore plus intérêt que les magistrats à obtenir des garanties sur l’indépendance de la justice. La chaîne publique France 2 a dû aller jusqu’à interviewer l’avocat personnel de Sarkozy, Thierry Herzog (sans préciser ce détail) pour trouver quelqu’un de favorable.

Avant 1896, les inculpés n’avaient pas droit à l’aide d’un avocat quand ils étaient entendus par le juge d’instruction, qui était peu contrôlé – Balzac pouvait le qualifier de « personnage le plus puissant de France ». Par la suite, des réformes successives ont réduit ses pouvoirs. En 2000 un poste de Juge des libertés a été créé, il autorise les mesures de mise en détention provisoire ou d’écoutes téléphoniques ; en 2001 on a créé une chambre de l’instruction devant laquelle les personnes mises en examen peuvent contester les décisions des juges d’instruction et ceux-ci travaillent systématiquement en équipes depuis 2004. Il y a donc un autre motif à cette réforme que la défense des libertés.

Dans un entretien avec le journaliste Karl Laske de Libération, la juge Eva Joly qui avait notamment instruit l’affaire Elf a déclaré : « Le véritable projet est de bâillonner et de supprimer les contre-pouvoirs en France. Seuls 5 pour cent des affaires viennent devant le juge d’instruction. Mais ce sont les dossiers compliqués, qui ne concernent pas la délinquance ordinaire. Pourquoi penser que la défense des libertés individuelles serait, dans une affaire, mieux assurée par le parquet et la police qu’avec un juge d’instruction indépendant, contre lequel il existe des recours ? Le juge est une personne identifiée, nommée par décret, après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature [l’autorité qui est également en charge de juger leurs fautes professionnelles], qui mène l’enquête, contrairement aux policiers ou aux parquetiers qui peuvent être mutés, sont interchangeables, et n’offrent pas une garantie de continuité ».

Elle poursuit : « Si le souci était de mieux garantir les libertés individuelles, il faudrait plutôt mettre fin à la possibilité pour les policiers ou le parquet de placer en garde-à-vue nos concitoyens pour outrages. Ou encore se pencher sur les comparutions immédiates. On y juge encore le vol de deux bouteilles de shampoing restituées. La commission sur l’affaire d’Outreau n’a pas non plus préconisé la suppression du juge d’instruction. À l’époque d’Outreau, c’est un système entier qui avait dysfonctionné. »

La dramatique affaire d’Outreau en 2004-2005, où 17 personnes avaient été accusées de violences sexuelles contre des enfants sur la base de témoignages qui se sont tous révélés infondés lors du procès, avait été l’occasion pour le pouvoir d’imputer à la seule fonction de juge d’instruction tous les manques du système judiciaire.

Cette réforme ne fait pas non plus l’unanimité au sein du parquet : à Nancy le 9 janvier, durant l’audience solennelle de rentrée du Tribunal de grande instance qui réunissait les magistrats du siège et du parquet, la présidente du tribunal, Marie-Agnès Crédoz, a déclaré sa « grande interrogation sur le sens du discours du chef de l’État, » ajoutant : « L’indépendance est la seule garantie d’une bonne justice, puisqu’elle oblige à l’impartialité, à l’objectivité, à la neutralité, mais qu’elle met aussi le juge à l’abri de l’intrusion d’autres pouvoirs. Tous les magistrats présents se sont alors levés pour applaudir, à l’exception du procureur de Nancy, Raymond Morey.

Cet événement a également mis en évidence le poids de la hiérarchie sur le parquet : après le discours, le procureur Morey a rapidement convoqué les membres du parquet en groupe pour les sermonner, puis ils ont reçu une seconde convocation devant le procureur général Christian Hassenfrantz pour le même motif. La réforme confierait la direction des enquêtes à des gens que l’on ne laisse pas même applaudir librement.

Les juges d’instruction dans leur version actuelle participent à la garantie d’une justice indépendante. Mais cette garantie reste toute relative lorsque le pouvoir politique veut y faire obstruction. Le juge Éric Halphen avait ainsi abandonné ses fonctions devant les obstacles rencontrés durant l’enquête sur les HLM de Paris qui impliquait le président Chirac et d’autres hauts responsables de la droite.

L’existence de ces juges n’est pas non plus une garantie d’ouverture des poursuites lorsque des intérêts très hauts placés sont en jeu. L’un des cas les plus graves de déni de justice concerne le massacre des Algériens de Paris en octobre 1961, ordonné par le préfet Maurice Papon, qui n’a jamais donné lieu à une enquête. Il a fallu attendre 1999 pour que ces faits soient évoqués devant un juge, et ce ne fut pas pour juger Papon mais au cours d’un procès en diffamation qu’il avait intenté – et perdu – contre l’historien Jean-Luc Einaudi [Cf. A qui profite le silence ? Maurice Papon et le massacre d’octobre].

Certains juges d’instruction, démontrant un véritable mépris pour les droits démocratiques, ont par ailleurs abusé de leur pouvoir, utilisant par exemple la détention préventive comme moyen de pression alors que l’article 137 du code de procédure pénale ne prévoit cette mesure qu’« à titre exceptionnel ». [Cf. France : Le Juge Bruguière – de l’utilisation de l’anti-terrorisme comme instrument politique].

En outre, l’indépendance juridique n’est pas garante d’indépendance politique, et n’a pas empêché certains d’entamer une carrière politique tout à fait conventionnelle : Éva Joly est maintenant conseillère du gouvernement norvégien et liée au Parti vert. Bruguière a soutenu Sarkozy en 2007 et s’est présenté sous l’étiquette UMP aux élections législatives qui ont suivi – sans être élu. Halphen avait un temps soutenu le nationaliste de gauche Jean-Pierre Chevènement en 2002.

Les juges d’instruction constituent néanmoins un impondérable dans le jeu de la démocratie bourgeoise française. Ils ont pu révéler de nombreuses affaires de financement occulte concernant tous les grands partis politiques du PCF à l’UMP. La réforme annoncée par Sarkozy semble montrer que lorsque cette démocratie est en crise elle ne peut plus se permettre ce genre de luxe.

Plusieurs affaires de grande ampleur sont actuellement en cours et leur élucidation serait sérieusement compromise si cette réforme devait aboutir : l’affaire Clearstream [Cf. : L’affaire Clearstream: la droite française en crise], l’affaire de l’UIMM [lien anglais : France: corruption scandal hits employers’ federation, unions] ou encore l’affaire Total (une affaire de commissions occultes versée pour obtenir des marchés en Irak ou en Russie sur laquelle enquête le juge Philippe Courroye depuis 2002).

Par Olivier Laurent
11 février 2009

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09-02-2009 20:00
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La tribune de Thibaud Cotta, avocat au Barreau de Paris…
Thibaud Cotta, avocat au Barreau de Paris

Thibaud Cotta, avocat au Barreau de Paris

Le président de la République, le 7 janvier dernier, prononçait un discours à l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation. Il affirmait sa volonté d’entamer un dialogue avec l’autorité judiciaire sur les réformes nécessaires. Dans le même temps, il annonçait la suppression du juge d’instruction au profit d’un juge de l’instruction.

On passerait ainsi d’un juge d’instruction, dirigeant les enquêtes, à un juge de l’instruction, se limitant à les contrôler. Difficile de dialoguer alors que les décisions sont prises avant même que la commission de réflexion sur ces questions, mise en place en octobre 2008 par la garde des Sceaux, n’ait rendu son rapport.

A l’heure où vous prenez le métro pour vous rendre à votre travail, dans une société secouée par une crise sociale, financière et institutionnelle importante amenant chacun à s’interroger sur les fondements du “vivre ensemble”, des milliers de personnes se dirigent vers les tribunaux pour y être entendues ou jugées. Si la justice est en crise, à l’instar des autres institutions traditionnelles, on ne doit pas oublier qu’elle assure quotidiennement la préservation de la paix sociale. Si un changement décisif doit avoir lieu, un débat public et démocratique doit être ouvert, sans précipitation. Pour la première fois depuis longtemps, un collectif composé de magistrats, d’avocats, d’universitaires, de professionnels de la justice s’est créé à cette fin.

Notre démarche n’est pas corporatiste. Elle traduit notre volonté de protéger les libertés fondamentales et une justice assurant un traitement humain des situations dramatiques auxquelles elle est confrontée. Que penser d’une justice pénale avec un procureur seul, dépendant du pouvoir exécutif, pour diriger les enquêtes ? Qui garantira les droits de la défense ? Qui assurera cette indépendance et cette impartialité indispensables à l’écoute de la cause de chacun ? Si l’autorité qui dirige l’enquête n’est plus une autorité judiciaire indépendante, pourra-t-on encore parler de justice démocratique ? La justice est notre bien commun. Son avenir nous concerne tous. Nous appelons l’ensemble de la République à un dialogue authentique, dépassant l’enceinte des palais de justice, dans le cadre d’états généraux de la justice pénale dont l’acte fondateur aura lieu le 21 mars 2009, à Paris, afin que le changement décisif de l’institution judiciaire ne conduise ni à la remise en cause des libertés individuelles, ni à une justice creusant les inégalités.

» Plus d’infos : http//etats-generaux-justice.blogspot.com