• Le Figaro.fr avec AFP 

Le Sénat a voté aujourd’hui l’expérimentation voulue par le gouvernement d’un tribunal criminel départemental, composé uniquement de magistrats professionnels, pour juger des crimes punis de 15 à 20 ans de réclusion. Les cours d’assises continueront à juger les crimes passibles de peines plus lourdes ou commis en état de récidive, et l’ensemble des crimes en appel. Cette expérimentation, prévue par le projet de réforme de la justice, vise à répondre à l'”engorgement des cours d’assises”, a expliqué la ministre de la Justice Nicole Belloubet. Elle sera mise en place dans au moins deux départements, et dix au maximum, choisis par arrêté de la garde des Sceaux.

“Ce sera une forme de cour d’assises” avec “des formalités allégées” et “cinq magistrats professionnels”, a-t-elle précisé, prédisant “un vrai succès” à ce nouveau tribunal. Le rapporteur LR François-Noël Buffet a défendu un dispositif permettant de “traiter de manière plus rapide un certain nombre de dossiers”, sans qu’ils soient correctionnalisés. “C’est une réponse au problème de la correctionnalisation des viols”, a estimé Marie Mercier (LR). Jacques Bigot (PS) a jugé “le principe de l’expérimentation intéressant”.

Le groupe CRCE (à majorité communiste) s’est prononcé contre, estimant que cette expérimentation actait “le désengagement de la cour d’assises”, sa présidente Eliane Assassi soulignant son attachement “au jury populaire”. Le sénateurs ont en revanche supprimé la procédure de comparution à délai différé, procédure intermédiaire entre la comparution immédiate et l’ouverture d’une information judiciaire, que souhaite instaurer le gouvernement. La ministre a défendu “une mesure de simplification absolument essentielle”, dont “l’efficacité pratique est extrêmement grande”.

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Mais pour la commission des Lois du Sénat, cette procédure risquerait “d’entraîner une augmentation du nombre de personnes placées en détention provisoire, dans des conditions présentant moins de garanties qu’actuellement puisqu’aucun juge d’instruction ne serait saisi”. Pour Jacques Bigot (PS), “l’idée (du gouvernement), c’est que l’instruction c’est trop long”. “Ce qui vous intéresse, c’est que le procureur puisse demander une détention préventive”, a-t-il accusé, demandant de “respecter le principe qui existe aujourd’hui de renvoyer devant le juge d’instruction”.Le Figaro.fr avec AFP

Le gouvernement veut réserver les procès d’assises aux crimes « les plus graves ». Mais en quoi consiste cette juridiction particulière, qui associe les citoyens aux décisions ?

LE MONDE | 09.03.2018 à 13h53 • Mis à jour le 08.05.2018 à 16h02 |Par Adrien Sénécat et Anne-Aël Durand

Le projet de loi sur la réforme de la justice, présenté le 20 avril en conseil des ministres, a pour objectif d’« accélérer » le délai de jugement des affaires criminelles en réformant les assises, qui pourraient désormais être réservées aux crimes les plus graves, punis de plus de vingt ans de prison. Quels sont les enjeux de cette réforme ? Quels étaient le fonctionnement et le rôle des assises jusqu’à présent ? Le point en cinq questions.

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1. En quoi consistent les jurys d’assises ?

La cour d’assises, dont le nom est instauré sous Napoléon, en 1810, est l’héritage du tribunal criminel, mis en place à la Révolution française, sur le modèle anglo-saxon. Pour en finir avec la justice arbitraire de l’Ancien Régime, les accusés y sont jugés par leurs concitoyens, aidés de magistrats.

Le nombre de jurés a évolué dans le temps, passant de douze à neuf, puis désormais six citoyens tirés au sort sur les listes électorales. Agés d’au moins 23 ans, ils doivent savoir lire et écrire, et ne pas se trouver en incapacité (être sous tutelle, avoir déjà été condamné pour un crime ou un délit, ou être un fonctionnaire révoqué) ou dans des cas d’incompatibilité (parlementaire, membre du gouvernement, magistrat, policier ou gendarme, proche d’une des parties prenantes de la procédure…). Etre juré est un devoir civique et les jurés sont tenus de répondre à la convocation. Ils sont formés et indemnisés. Quatre peuvent être récusés par l’accusé et trois par le ministère public (que l’on appelle aussi « parquet »).

Outre ces jurés, la cour est aussi composée de trois juges professionnels, un président et deux assesseurs, qui sont des magistrats du tribunal de grande instance ou de la cour d’appel. Le ministère public y est représenté par l’avocat général.

Comme le jury d’assises est censé constituer une représentation du peuple français, son verdict a longtemps été incontestable (hors recours à la Cour de cassation ou à des révisions), mais la loi de 2000 sur la présomption d’innocence a instauré la possibilité de faire appel pour réexaminer l’affaire, devant une autre cour d’assises. Dans ce cas, le nombre de jurés populaires passe de six à neuf.

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2. Dans quel cas siègent-ils ?

La cour d’assises a pour objet de juger des majeurs ou des mineurs de plus de 16 ans qui sont accusés d’avoir commis des crimes de droit commun, c’est-à-dire les infractions les plus graves du code pénal, passibles de plus de dix ans de prison, alors que les délits sont jugés par les tribunaux correctionnels, composés de magistrats professionnels.

Il peut s’agir de meurtre ou d’assassinat (homicide prémédité), de torture, de viol, de vol avec violence, de trahison envers l’Etat, escroquerie en bande organisée…

Les crimes liés au terrorisme ou au trafic de drogue sont jugés par une cour d’assises spéciale, où les jurés sont remplacés par des magistrats professionnels. Ceux qui sont commis par un membre du gouvernement dans le cadre de ses fonctions sont jugés par la Cour de justice de la République (qu’Emmanuel Macron souhaite supprimer) où les jurés sont des parlementaires.

Il existe une cour d’assises dans chaque département mais ce n’est pas une juridiction permanente. Elle se réunit généralement tous les trois mois pour une quinzaine de jours, mais c’est le président qui décide de la durée accordée à chaque affaire. Les audiences sont en principe publiques, sauf si le jury décide d’un huis clos.

La cour d’assises peut prononcer des peines de prison, ferme ou avec sursis, des amendes ou des peines complémentaires (obligation de soins). Les arrêts rendus doivent être motivés par écrit.

3. Combien d’affaires sont jugées aux assises ?

En 2016, les cours d’assises ont rendu 3 280 verdicts dont 536 en appel, selon les chiffres du ministère de la justice. Soit environ 0,3 % des 1,2 million de décisions rendues par les juridictions pénales françaises.

Les principales données existantes montrent que les cours d’assises ne sont pas particulièrement clémentes avec les accusés. Entre 90 % et 95 % sont condamnés en premier ressort en moyenne.

Plus de 90 % des prévenus sont condamnés en cour d’assises

Ratio entre condamnés et acquittés en cour d’assises en premier ressort de 2010 à 2014 020406080100

Condamnés

Acquittés

20102011201220132014

SOURCE : MINISTÈRE DE LA JUSTICE

Environ 90 % des affaires ayant fait l’objet de condamnation aux assises en 2014 étaient des crimes. Il s’agissait en premier lieu de viols (environ 38 %), de vols criminels (25 %) et d’homicides volontaires (16 %).

4. Quelles sont les critiques parfois formulées contre les assises ?

Une partie des difficultés des cours d’assises sont techniques. Depuis plusieurs années, les assises font face à un afflux de dossiers supérieur à leur capacité de traitement. Dans la mesure où il n’y a qu’une cour d’assises par département, cela se traduit par un « stock » de dossiers, c’est-à-dire d’affaires en attente de jugement, qui augmente au fil des années. On en comptait ainsi 1 800 au 31 décembre 2014 – ainsi que 530 en cour d’assises d’appel, chiffre en hausse de 42 % en trois ans, selon le ministère.

Cette situation est l’une des raisons qui poussent à la correctionnalisation de certains dossiers. Par exemple, des affaires de viols sont régulièrement requalifiées en agressions sexuelles, ce qui fait qu’ils sont ensuite jugés en correctionnelle, et non aux assises. Une différence qui réduit grandement le délai entre la fin de l’instruction et le jugement.

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D’autres critiques questionnent le fait même de faire participer des citoyens ordinaires au travail judiciaire. Certains pointent le supposé « aléa des verdicts » des décisions des cours d’assises ou critiquent le fait que les critères de sélection des jurés ne seraient pas suffisamment exigeants.

5. En quoi la réforme voulue par le gouvernement consiste-t-elle ?

L’idée du gouvernement est de réserver les cours d’assises en première instance aux crimes « les plus graves », ceux qui sont punis de plus de vingt ans de prison, explique la ministre de la justice, Nicole Belloubet. C’est le cas de l’ensemble des meurtres et assassinats (entre trente ans de prison et la perpétuité selon les cas), ainsi que des crimes commis en récidive.

Les crimes punis de vingt ans de réclusion ou moins, comme les viols et les vols criminels, ne seront plus renvoyés aux assises. Ils seront désormais jugés dans un nouveau « tribunal criminel départemental ». Mais ils seront transférés aux assises en cas d’appel.

Val-d’Oise : l’accusé jugé hors du box vitré, une première aux assises

Marjorie Lenhardt; Fr. N et V. M|13 décembre 2017
Pontoise, ce mercredi. Voici le box sécurisé installé dans la cour d’assises du palais de justice. LP/Frédéric Naizot

En accédant à la demande de l’avocat de l’accusé, la cour d’assises a pris le parti d’un procès équitable et va ainsi à l’encontre d’une décision de la Chancellerie qui pourrait faire jurisprudence.

Le ministère de la Justice parle de boxes sécurisés, lui voit plutôt cela comme des « bocaux ». Ce mardi à l’ouverture d’un procès pour viol à Pontoise, Me Laurent Ivaldi a demandé à la cour d’assises du Val-d’Oise que son client soit jugé en dehors du box entièrement vitré réservé aux accusés. Malgré l’opposition du parquet, les juges ont donné leur accord. Ainsi, son client comparaît devant le pupitre de la défense, entouré de deux policiers, comme c’était prévu dans le box. Il s’agit « d’une décision exceptionnelle qui pourrait bien faire jurisprudence », selon Gérard Tcholakian, du Syndicat des avocats de France (SAF). « Petit à petit, c’est l’économie (de l’escorte policière, NDLR.) qui prend le pas sur la dignité du procès », craint-il.

La Chancellerie a effectivement choisi de généraliser l’usage de ces boxes au cours de l’été (voir encadré). C’est pourquoi les barreaux sont vent debout. Dans les Hauts-de-Seine, le bâtonnier Pierre-Ann Laugery et Me Fabien Arakelian ont d’abord demandé que les prévenus renvoyés en comparution immédiate soient jugés hors de ces « véritables cages de verre ». Les avocats de Créteil et d’Évryont fait de même ces derniers jours.

Des procédures entamées au civil

« Ces boxes vitrés posent des difficultés par rapport à la présomption d’innocence, au droit de la défense et des problèmes de communication avec son avocat », explique Me Laurent Ivaldi qui allait plaider pour la première fois aux assises dans de telles conditions. Des difficultés d’autant plus accentuées lors de ces procès compte tenu de la durée et du détail des débats mais aussi de la présence de jurés populaires. « L’impression produite sur eux est catastrophique, elle induit une image de peur », insiste-t-il. Son confrère représentant la partie civile est allé dans son sens faisant valoir la priorité des droits de la défense sur les exigences de sécurité : « l’accusé et son avocat devaient se contorsionner pour parvenir à se parler. Ces boxes entravent les relations entre la défense et son client », décrit-il.

Des procédures ont par ailleurs été entamées. Le barreau des Hauts-de-Seine a assigné la ministre de la Justice au civil, en référé, pour demander notamment la désignation d’un expert qui vérifierait la conformité, ou non, de ces box sécurisés. Le tribunal doit se prononcer le 21 décembre sur la désignation de l’expert. Versailles fera de même la semaine prochaine. Enfin, de son côté, le SAF a assigné la garde des Sceaux devant le tribunal de grande instance de Paris pour faute lourde et demande le retrait pur et simple de ces boxes. La décision doit être rendue le 15 janvier.

L’évolution du nombre des principaux incidents dans les tribunaux français

Des installations qui visent à « limiter les risques d’agression et d’évasion »L’installation des boxes a lieu au nom de la « sécurisation » des tribunaux. Elle s’inscrit dans le cadre du Plan de lutte Anti-Terroriste 2 et vise « à limiter les risques d’agression et d’évasion. Entre 2014 et 2016, les incidents en tout genre ont doublés (plus de 900 en 2016) . La sécurisation des boxes a été jugée prioritaire, explique un porte-parole de la garde des Sceaux. C’est dans ce contexte qu’une opération d’ampleur a été engagée en Ile-de-France… pour un coût d’environ 2 M€ ».

Ainsi, 18 boxes ont été « sécurisés » dans sept tribunaux de grande instance d’Ile-de-France (Créteil, Bobigny, Meaux, Melun, Evry et Nanterre). Versailles le sera d’ici à la fin de l’année. Les salles restantes à équiper le seront en 2018. De son côté, le parquet de Pontoise qui s’était prononcé contre la demande de l’avocat, confie que « ces dispositifs, plutôt que d’être supprimés, pourraient être améliorés en termes d’acoustique ou de communication ». Le ministère de la Justice précise que si une difficulté de sonorisation était constatée dans un box, il ferait l’objet d’un traitement.

la cour d’assises du Val-d’Oise explique sa décision

A l’issue du premier procès où l’accusé était jugé en dehors de « la cage en verre », la cour a rendu son ordonnance d’extraction qui explique ses motivations.

A l’issue d’un procès de trois jours pour viol, de mardi à jeudi, la cour d’assises du Val-d’Oise a rendu par écrit son ordonnance d’extraction, pour expliquer sa décision de juger l’accusé, qui a été condamné, en dehors du box vitré.

Elle avance trois arguments. Le premier repose sur l’aménagement du box lui-même qui est entièrement fermé par des vitres, dont les deux seules ouvertures sont deux bandes longitudinales, d’une hauteur de quinze centimètres chacune. «Un tel aménagement oblige l’accusé à une gesticulation particulière, tout aussi mal aisée que peu discrète et moins secrète, pour communiquer avec son avocat […] limite de manière significative la liberté de communication de l’accusé avec son conseil […] ce qui constitue une entrave à la liberté de sa défense», indique la cour.

Le second argument tient du fait que les parties civiles ont soutenu la demande de leur confrère. Le troisième fait valoir une atteinte à la dignité et des «conditions de comparution dégradantes devant ses juges» alors que l’accusé n’a jamais été condamné et qu’il présente un handicap.

Ce vendredi, un nouveau procès pour viol a démarré avec la même présidente, Isabelle Rome. L’accusé a d’office été placé à l’extérieur du box.

Article 362 et 365-1 du code de procédure pénale

  • Question

Les dispositions de l’article 365-1 du code de procédure pénale, en ce qu’elles n’imposent pas à la cour et au jury de motiver la peine et, selon une jurisprudence constante de la cour de cassation, interdiraient même une telle motivation à peine de cassation, portent-elles atteinte aux principes de nécessité, de légalité et d’individualisation de la peine, au droit à une procédure juste et équitable et aux droits de la défense, à l’égalité devant la loi et devant la justice, garantis par les articles 6, 7, 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi que par l’article 34 de la Constitution ?

Les dispositions de l’article 362 du code de procédure pénale, en ce qu’elles n’imposent pas à la cour et au jury de motiver la peine, portent-elles atteinte aux principes de nécessité, de légalité et d’individualisation de la peine, au droit à une procédure juste et équitable et aux droits de la défense, à l’égalité devant la loi et devant la justice, garantis par les articles 6, 7, 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi que par l’article 34 de la Constitution ?

  • Saisine

Du 02/10/2017, Q 17-82.237 ; A 17-82.086 – Cour d’assises de Seine et Marne, section 1, 27 janvier 2017 ; Cour d’assises du Val de Marne, 14 janvier 2017

  • Décision de la Cour de cassation

Arrêt n° 3356 du 13 décembre 2017 (17-82.086, 17-82.237, 17-82.858) – Cour de cassation – Chambre criminelle – ECLI:FR:CCASS:2017:CR03356

Demandeur : M. Ousmane X.. ; et autres


Joignant les questions en raison de la connexité ;

Vu les observations produites ;

Attendu que les questions prioritaires de constitutionnalité présentées par chacun des demandeurs sont ainsi rédigées :

“Les dispositions de l’article 362 du code de procédure pénale, en ce qu’elles n’imposent pas à la cour et au jury de motiver la peine, portent-elles atteinte aux principes de nécessité, de légalité et d’individualisation de la peine, au droit à une procédure juste et équitable et aux droits de la défense, à l’égalité devant la loi et devant la justice, garantis par les articles 6, 7, 8 9 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi que par l’article 34 de la Constitution ?”

“Les dispositions de l’article 365-1 du code de procédure pénale, en ce qu’elles n’imposent pas à la cour et au jury de motiver la peine, et, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, interdiraient même une motivation à peine de cassation, portent-elles atteinte aux principes de nécessité, de légalité et d’individualisation de la peine, au droit à une procédure juste et équitable et aux droits de la défense, à l’égalité devant la loi et devant la justice, garantis par les articles 6, 7, 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi que par l’article 34 de la Constitution ?”

Attendu que les articles 362 et 365-1 du code de procédure pénale sont applicables à la procédure et, en ce qu’ils ne prévoient pas l’obligation pour les cours d’assises de motiver les peines qu’elles prononcent, n’ont pas déjà été déclarés conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel ;

Attendu que les questions, ne portant pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas eu l’occasion de faire application, ne sont pas nouvelles ;

Mais attendu que les questions posées présentent un caractère sérieux en ce que, d’une part, il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décision 2011-635 DC du 4 août 2011) qu’il appartient au législateur, dans l’exercice de sa compétence, de fixer les règles de droit pénal et de procédure pénale de nature à exclure l’arbitraire dans le jugement des personnes poursuivies et que l’obligation de motiver les jugements et arrêts de condamnation constitue une garantie légale de cette exigence constitutionnelle, d’autre part, l’obligation pour les juridictions correctionnelles de motiver toute peine, en particulier les peines d’emprisonnement, est susceptible de créer, entre les prévenus et les accusés, une différence de traitement contraire à la Constitution ;

D’où il suit qu’il y a lieu de les renvoyer au Conseil constitutionnel ;

Par ces motifs :

RENVOIE au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité ;


Président : M. Soulard
Rapporteur : MM. Stephan et Moreau
Avocat gébéral : Mme Moracchini
Avocat(s) : société civile professionnelle WAQUET, FARGE

En cas de condamnation par la cour d’assises, la motivation consiste dans l’énoncé des principaux éléments à charge qui l’ont convaincue de la culpabilité de l’accusé ; mais en l’absence d’autre disposition légale le prévoyant, la cour et le jury ne doivent pas motiver le choix de la peine qu’ils prononcent. 

Crim. 8 févr. 2017, FS-P+B+I, n° 15-86.914

Crim. 8 févr. 2017, FS-P+B+I, n° 16-80.389

Crim. 8 févr. 2017, FS-P+B+I, n° 16-80.391

Par trois arrêts du 8 février 2017, la chambre criminelle a affirmé que, selon l’article 365-1 du code de procédure pénale, « en cas de condamnation par une cour d’assises, la motivation consiste dans l’énoncé des principaux éléments à charge qui l’ont convaincue de la culpabilité de l’accusé » et elle a ajouté « qu’en l’absence d’autre disposition légale le prévoyant, la cour et le jury ne doivent pas motiver le choix de la peine qu’ils prononcent dans les conditions définies à l’article 362 » du même code. Elle a, sur le fondement de ce principe, cassé pour violation de la loi les arrêts d’assises qui lui étaient soumis en ce qu’ils avaient motivé la peine prononcée. En d’autres termes, la chambre criminelle affirme que, si les cours d’assises doivent motiver la déclaration de culpabilité, elles ont l’interdiction, à peine de nullité, de motiver la peine prononcée, la présence d’une motivation de la peine, aussi succincte soit-elle, constituant un motif de cassation. Ces décisions appellent deux séries d’observations, tenant à la motivation des arrêts d’assises et à la cassation des arrêts en cause.

La motivation des arrêts d’assises a été instaurée par la loi n° 2011-939 du 10 août 2011, à la suite des positions exprimées par le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Le Conseil constitutionnel n’avait vu aucune contrariété à la Constitution dans l’absence de motivation des arrêts d’assises (Cons. const., 1er avr. 2011, n° 2011-113/115 QPC, Dalloz actualité, 5 avr. 2011, obs. S. Lavric  ; D. 2011. 1154, point de vue W. Mastor et B. de Lamy  ; ibid. 1156, point de vue J.-B. Perrier  ; ibid. 1158, chron. M. Huyette  ; ibid. 2012. 1638, obs. V. Bernaud et N. Jacquinot  ; AJ pénal 2011. 243, obs. J.-B. Perrier  ; Constitutions 2011. 361, obs. A. Cappello  ; RSC 2011. 423, obs. J. Danet ). En revanche, la CEDH avait critiqué cette absence de motivation, qui est contraire au droit au procès équitable protégé par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme lorsque les questions posées combinées avec l’acte d’accusation ne permettent pas de comprendre les raisons ayant conduit à la condamnation (CEDH 16 nov. 2010, Taxquet c. Belgique, n° 926/05 ; Dalloz actualité, 25 nov. 2010, obs. O. Bachelet  ; D. 2011. 47, obs. O. Bachelet , note J.-F. Renucci  ; ibid. 48, note J. Pradel  ; Just. & cass. 2011. 241, étude C. Mathon  ; AJ pénal 2011. 35, obs. C. Renaud-Duparc  ; RSC 2011. 214, obs. J.-P. Marguénaud ). Il n’était pas en soi nécessaire de prévoir une motivation explicite des arrêts d’assises : si les questions sont suffisamment précises et nombreuses pour comprendre les raisons ayant conduit à la condamnation, il n’y a pas violation de l’article 6 de la Convention européenne (CEDH 10 janv. 2013, Légillon c. France, n° 53406/10, D. 2013. 615 , note J.-F. Renucci  ; AJ pénal 2013. 336, note C. Renaud-Duparc ). Le législateur a cependant préféré prévoir une motivation plus explicite qui doit être rédigée par le président ou l’un des magistrats assesseurs en cas de condamnation et qui consiste « dans l’énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l’accusé, ont convaincu la cour d’assises. Ces éléments sont ceux qui ont été exposés au cours des délibérations menées par la cour et le jury en application de l’article 356, préalablement aux votes sur les questions » (C. pr. pén., art. 365-1). La Cour de cassation exerce ainsi un contrôle de la motivation des arrêts d’assises d’appel frappés de pourvoi et n’hésite pas à casser l’arrêt lorsque la motivation sur la déclaration de culpabilité est insuffisante ou contradictoire (Crim. 20 nov. 2013, n° 12-86.630, Bull. crim. n° 234 ; Dalloz actualité, 5 déc. 2013, obs. S. Fucini  ; D. 2013. 2779  ; AJ pénal 2014. 81, obs. P. de Combles de Nayves  ; Dr. pénal 2014. Comm. 13, obs. A. Maron et M. Haas ; 16 déc. 2015, n° 15-81.160, Dalloz actualité, 21 janv. 2016, obs. J. Gallois  ; AJ pénal 2016. 209  ; 16 nov. 2016, n° 15-86.106, Dalloz actualité, 6 déc. 2016, obs. L. Priou-Alibert ).

Seule la déclaration de culpabilité doit être motivée et la loi n’impose pas la motivation de la peine prononcée. En 2013, la Cour de cassation a refusé de renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité sur ce point, en affirmant que « l’absence de motivation des peines de réclusion criminelle et d’emprisonnement prononcées par les cours d’assises, qui s’explique par l’exigence d’un vote à la majorité absolue ou à la majorité de six ou de huit voix au moins lorsque le maximum de la peine privative de liberté est prononcé, ne porte pas atteinte au droit à l’égalité devant la justice garanti par les articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, les personnes accusées de crime devant les cours d’assises étant ainsi dans une situation différente de celles poursuivies devant le tribunal correctionnel » (Crim. 29 mai 2013, n° 12-86.630, préc.). Une telle motivation était assez contestable dans la mesure où l’exigence d’une motivation de la déclaration de culpabilité enlevait toute pertinence à l’argument du jury pour justifier l’absence de motivation de la peine. Le contraste entre la motivation en matière criminelle et celle en matière correctionnelle est saisissant : d’une part, en matière correctionnelle, le tribunal doit spécialement motiver le prononcé d’une peine d’emprisonnement sans sursis (C. pén., art. 132-19, al. 2). D’autre part, à la suite de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014, l’article 132-1, alinéa 2, du code pénal précise que « toute peine prononcée par la juridiction doit être individualisée », l’alinéa suivant ajoutant que, « dans les limites fixées par la loi, la juridiction détermine la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale, conformément aux finalités et fonctions de la peine énoncées à l’article 130-1 ». Dans une série d’arrêts récents, la chambre criminelle en a déduit que, contrairement à sa jurisprudence antérieure, toutes les peines, tant principales que complémentaires, doivent être motivées par référence aux éléments mentionnés par l’article 132-1 du code pénal (Crim. 1er févr. 2017, n° 15-83.984, Dalloz actualité, 16 févr. 2017, obs. C. Fonteix  ; 1er févr. 2017, n° 15-85.199, Dalloz actualité, 16 févr. 2017, obs. S. Fucini  ; 1er févr. 2017, n° 15-84.511, Dalloz actualité, 15 févr. 2017, obs. S. Lavric ). Ainsi, alors que le législateur va vers l’exigence d’une plus grande motivation des peines en matière correctionnelle, que la Cour de cassation exerce un contrôle de la motivation et que la cassation est encourue si un arrêt en matière correctionnelle ne motive pas la moindre peine complémentaire par référence aux éléments de l’article 132-1 du code pénal, le prononcé d’une peine criminelle n’a pas à être motivé.

Le fait que la loi n’exige pas des cours d’assises la motivation de la peine prononcée n’est pas véritablement contestable. Si l’article 132-1 du code pénal affirme en termes généraux que « toute peine prononcée par la juridiction doit être individualisée », l’article 365-1 du code de procédure pénale affirme de manière très précise que la motivation des arrêts d’assises ne porte que sur « les principaux éléments qui, pour chacun des faits reprochés à l’accusé, ont convaincu la cour d’assises ». Si l’absence de motivation de la peine en matière criminelle est critiquable compte tenu du mouvement constaté en matière correctionnelle, elle résulte de l’intention clairement exprimée par le législateur.

Mais une autre chose est davantage contestable dans les arrêts commentés : la chambre criminelle casse et annule les arrêts qui lui étaient déférés, en ce qu’ils contenaient des éléments portant sur la motivation de la peine. Elle vise pour ce faire, outre l’article 365-1, l’article 591 du code de procédure pénale : autrement dit, la chambre criminelle casse et annule ces arrêts pour violation de la loi. Le seul fait, par exemple, que la feuille de motivation contienne la phrase « l’absence de remise en cause de l’accusé n’est pas apparue comme un gage de réadaptabilité » entraîne la cassation de l’arrêt, malgré la présence par ailleurs d’une motivation quant à la culpabilité. On peut en effet s’en étonner car la Cour de cassation ne se contente pas de dire que la motivation de la peine n’est pas exigée : elle va jusqu’à interdire une telle motivation. Elle avait d’ailleurs déjà procédé de la sorte avant la création de l’article 365-1 du code de procédure pénale, lorsque l’arrêt d’assises contenait des énonciations relatives à la culpabilité ou à la peine prononcée autres que les réponses aux questions posées (Crim. 15 déc. 1999, nos 99-83.910 et 99-84.099, Bull. crim. nos 307 et 308 ; D. 2000. 50 ). Pourtant, cette motivation aurait pu être analysée comme un motif surabondant, c’est-à-dire un motif inutile « qui n’est pas nécessaire pour soutenir le dispositif de la décision, parce que celle-ci comporte d’autres motifs qui suffisent à la justifier (J. Boré et L. Boré, La cassation en matière pénale, Dalloz Action, n° 113.11). Cela aurait conduit la chambre criminelle à rejeter les pourvois en l’absence d’autres motifs de cassation, l’article 365-1 du code de procédure pénale ayant été respecté dès lors que la motivation contient, à tout le moins, les éléments qui ont convaincu la cour de la culpabilité. D’ailleurs, aucun des demandeurs au pourvoi, dans les trois arrêts commentés, n’avait soulevé cet argument : ils contestaient la motivation quant aux prétendues insuffisances ou contradictions qu’elle contenait quant à la culpabilité. Ne pas exiger la motivation de la peine en matière criminelle est une chose ; l’interdire et casser l’arrêt d’assises qui y procède en est une autre, la Cour de cassation exprimant par là qu’une motivation de la peine prononcée en matière criminelle est une cause de nullité. Les conséquences à tirer de ces arrêts sont claires : le président ou l’assesseur qui rédige la feuille de motivation a interdiction, à peine de nullité, d’énoncer le moindre élément de motivation concernant la peine prononcée. Cette jurisprudence doit cependant conduire à une réflexion plus profonde sur l’éventuelle opportunité d’élargir la motivation des arrêts d’assises à la peine prononcée, motivation qui est matériellement possible malgré la présence d’un jury comme l’est devenue celle portant sur la culpabilité.

Site de la Cour de cassation

par Sébastien Fucini

24|08|2017

 

Source 

Le président de la cour d’assises des Alpes-maritimes, à la demande de la défense de l’accusé, ordonne, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, le versement aux débats d’un rapport d’expertise privée établi par un médecin convoqué à l’audience pour être entendu en qualité de témoin et aucune réserve ni réclamation n’est formulée par les parties sur cette production de pièce nouvelle.
Le principe du contradictoire, dans une procédure orale, implique que toutes les pièces versées aux débats soient communiquées tant aux parties qu’à leurs conseils respectifs.
Par ailleurs, il n’a été porté aucune atteinte au principe de l’oralité des débats dès lors qu’il ne résulte pas des mentions du procès-verbal que le rapport ait été lu ou même évoqué avant l’audition du médecin.
Il résulte des énonciations du procès-verbal que le président, après avoir rappelé à l’accusé son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire, l’a ensuite interrogé et reçu ses déclarations conformément à l’article 328 du Code de procédure pénale.
En informant ainsi l’accusé du droit de se taire avant de l’interroger, le président de la cour d’assises n’a méconnu aucune disposition légale ou conventionnelle, dès lors que le président n’a pas à renouveler les formalités prévues par cet article au cours des débats lors d’interrogatoires successifs de l’accusé.

 Arrêt

Cass. crim., 11 juill. 2017, n° 16-86656

 La décision du juge national interdisant aux journalistes de rendre compte d’un procès pénal en cours par la diffusion de l’image de l’accusé n’emporte pas nécessairement violation de l’article 10 de la Convention.
par Sabrina Lavricle 2 octobre 2017

Dans le cadre d’un procès pour meurtre, précisément pour meurtre sur ascendants, le président du tribunal régional de Potsdam demanda, le 11 janvier 2011, aux journalistes qui couvraient l’affaire de ne pas diffuser d’images de l’accusé. Quelques jours plus tard, estimant que les droits de la personnalité de ce dernier devaient l’emporter sur l’intérêt du public d’être informé, il prit une décision motivée par laquelle il autorisait à filmer ou photographier pendant le procès les seuls journalistes qui s’étaient inscrits auprès du tribunal en fournissant l’assurance qu’ils ne diffuseraient pas d’images révélant l’identité de l’accusé. Deux entreprises de médias allemandes contestèrent cette décision et demandèrent sa suspension, d’abord auprès du président du tribunal lui-même qui décida de la maintenir, ensuite devant la Cour constitutionnelle fédérale qui refusa d’examiner le recours. Les entreprises requérantes saisirent alors la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), soutenant que la décision en cause avait violé leur droit à la liberté d’expression, tel que garanti par l’article 10 de la Convention européenne.

Dans son arrêt, la CEDH examine la restriction imposée aux requérantes dans l’exercice de leur droit d’information au regard des critères de légitimation du paragraphe 2 de l’article 10. Recherchant d’abord si l’ingérence subie était bien « prévue par la loi » (§ 35), elle relève que la disposition appliquée, qui conférait au président un large pouvoir de police de l’audience, avait été interprétée par la Cour constitutionnelle fédérale, ce qui lui conférait la précision nécessaire. S’agissant du but légitime poursuivi, elle note ensuite que l’ordonnance visait la protection des droits d’autrui, au premier rang desquels le droit de l’accusé à la présomption d’innocence (§ 38). Enfin, pour savoir si l’ingérence était bien « nécessaire dans une société démocratique », la CEDH rappelle les critères qu’elle a dégagés pour mettre en balance le droit à la liberté d’expression et le droit au respect de la vie privée (v. not. CEDH, gr. ch., 10 nov. 2015, Couderc et Hachette Filipacchi Associés c. France, n° 40454/07, § 88-93, Dalloz actualité, 27 nov. 2015, obs. J. Gaté  ; AJDA 2016. 143, chron. L. Burgorgue-Larsen  ; D. 2016. 116, et les obs. , note J.-F. Renucci  ; Constitutions 2016. 476, chron. D. de Bellescize  ; RTD civ. 2016. 81, obs. J. Hauser  ; ibid. 297, obs. J.-P. Marguénaud ), à savoir : la contribution à un débat d’intérêt public, le degré de notoriété de la personne, l’influence sur la procédure en cours, les circonstances dans lesquelles les photos ont été prises, le contenu, la forme et les conséquences de la publication ainsi que la sévérité de la sanction imposée.

Après avoir rappelé le rôle essentiel joué par la presse dans une société démocratique et, en particulier, son devoir de délivrer des informations et des idées sur tout sujet d’intérêt public, ce qui inclut celui de rendre compte des affaires pénales en cours (v. CEDH, gr. ch., 7 févr. 2012, Axel Springer AG c. Allemagne, n° 39954/08, § 80, Dalloz actualité, 23 févr. 2012, obs. S. Lavric  ; Constitutions 2012. 645, obs. D. de Bellescize  ; RTD civ. 2012. 279, obs. J.-P. Marguénaud ) dans le respect de certaines limites tenant au respect de la vie privée ou de la présomption d’innocence (v. CEDH, gr ch., 29 mars 2016, Bédat c. Suisse, n° 56925/08, § 51, RSC 2016. 592, obs. J.-P. Marguénaud  ; JCP 2016, n° 17, 507, obs. H. Surrel ; C. Bigot, Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de liberté d’expression, août 2015 – juill. 2016, Légipresse 2016, n° 341, p. 495), la CEDH relève dans cette affaire que l’information sur l’apparence physique de l’accusé n’apportait aucun éclairage sur les faits (§ 46) ; que son identité n’était pas déjà connue du public (§ 50) ; que la présomption d’innocence devait être respectée, en dépit des aveux passés, lesquels devaient être scrupuleusement vérifiés par le tribunal (§ 51) ; que l’interdiction de la diffusion de l’image de l’accusé contribuait non seulement à ne pas entraver sa future resocialisation mais encore à lui garantir un procès équitable, en lui évitant une pression psychologique supplémentaire alors qu’il souffrait déjà d’importants troubles de la personnalité (§ 54) ; que l’ordonnance n’empêchait pas les journalistes de rendre compte autrement du procès en cours, de sorte que le juge avait opté pour la mesure la moins restrictive possible (§ 56).

De tous ces éléments, la CEDH déduit que le président du tribunal a parfaitement apprécié le conflit entre les intérêts en présence et appliqué les dispositions pertinentes du droit interne après avoir soigneusement soupesé les éléments pertinents du dossier (§ 58). Jugeant que sa décision était bien proportionnée au but légitime poursuivi, elle conclut que l’ingérence dans le droit des requérantes à la liberté d’expression était nécessaire dans une société démocratique et qu’il n’y a donc pas eu de violation de la Convention européenne des droits de l’homme (ibid.).

Le Figaro revient en trois points sur cette juridiction d’exception en France, qui statue notamment sur les crimes en matière de terrorisme.

 

• Histoire

En 1986, plusieurs terroristes du groupe Action directe sont jugés par la cour d’assises de Paris. Cette dernière est composée de neuf jurés citoyens, tirés au sort pour l’occasion. Au cours d’une des audiences, les accusés profèrent des menaces à l’encontre des jurés. Le lendemain, cinq d’entre eux sont absents du procès, qui est reporté à une date ultérieure.

À la suite de cet événement, la loi du 9 septembre 1986 est votée. Elle permet d’étendre le champ d’action de la cour d’assises spéciale – créée en 1982 pour juger les crimes commis par les militaires – aux crimes et délits commis en matière de terrorisme.

Son champ d’action a, depuis, été à nouveau élargi:

– au trafic de stupéfiants
– à la prolifération d’armes de destruction massive et de leurs vecteurs
– à l’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation: trahison, espionnage et atteinte à la défense nationale.

• Composition

Contrairement à la cour d’assises, la cour d’assises spéciale est uniquement composée de magistrats professionnels. Ici, pas de jurés tirés au sort, pour éviter de reproduire les événements de 1986.

On compte un président et quatre assesseurs en première instance, six en appel. «Les assesseurs sont désignés soit parmi les conseillers de la cour d’appel, soit parmi les présidents, vice-présidents ou juges du tribunal de grande instance du lieu de tenue des assises. Lorsqu’elle juge des mineurs âgés de 16 ans au moins, deux des assesseurs sont désignés parmi les juges des enfants du ressort de la cour d’appel», précise le sénateur Michel Mercier (MoDem) dans un rapport rendu fin 2016.

Le nombre d’assesseurs a été réduit en février 2017 pour permettre d’«audiencer un plus grand nombre d’affaires terroristes et d’améliorer le fonctionnement du tribunal de grande instance de Paris, qui serait substantiellement moins mobilisé pour composer les cours d’assises», expliquait le Sénat en janvier.

Infographie Le Figaro.
Infographie Le Figaro. Service Infographie Le Figaro

• Fréquence

Tous les jugements de la cour d’assises spéciale ont lieu à Paris «afin de permettre une centralisation du traitement de ces affaires», selon le Sénat. L’instance traite «un peu moins d’une dizaine d’affaires par an», indiquait l’ex-procureur de la République, Ulrika Weiss, en janvier dernier. La cause: des audiences longues, «entre 2 et 12 semaines», selon Michel Mercier. Selon l’ancien Garde des sceaux, la cour spécialement composée devrait ainsi juger «au moins sept dossiers» en 2017.

» Retrouvez ci-dessous des procès célèbres jugés par la cour d’assises spéciale de Paris:

» Les provocations de la cellule terroriste «Cannes-Torcy»

» Attentat: trois Corses condamnés à des peines de 5 à 8 ans de prison

» 43 ans après l’attentat du Drugstore Publicis, le procès de Carlos s’est ouvert

» Ils avaient braqué un postier pour financer leur «djihad»

 

Lire l’article dans son intégralité sur lefigaro.fr

L’arrêt rapporté est l’occasion, pour la chambre criminelle, de procéder à certains rappels toujours salutaires sur la procédure applicable devant la cour d’assises.
par Dorothée Goetzle 11 septembre 2017

L’arrêt rapporté compte quatre moyens de cassation, tous rejetés par la haute juridiction.

Dans le premier moyen, la requérante, qui a été condamnée pour tentative d’assassinat et assassinat à trente ans de réclusion criminelle, reproche aux juges du fond d’avoir rejeté sa demande de renvoi du procès en raison de l’absence de dispositif d’enregistrement sonore des débats. Ce moyen est intéressant puisque si, pour conserver la mémoire de l’audience, la loi n° 2014-640 du 20 juin 2014 a prévu une obligation d’enregistrement sonore des débats des cours d’assises, il s’agissait, dans la première version du texte, d’une obligation sans sanction puisque le législateur avait prévu que cette obligation n’était pas prescrite à peine de nullité. Dans une question prioritaire de constitutionnalité du 20 novembre 2015, le Conseil constitutionnel avait retoqué le texte en ce qu’il interdisait toute forme de recours en annulation en cas d’absence d’enregistrement (Cons. const., 20 nov. 2015, n° 2015-499 QPC, Dalloz actualité, 23 nov. 2015, obs. C. Fleuriot  ; RSC 2016. 393, obs. B. de Lamy  ; C. Courtin, Inconstitutionnalité du défaut d’enregistrement sonore des débats de cours d’assises, D. 2016. 51 ). S’inspirant de cette jurisprudence constitutionnelle, la requérante considère en l’espèce que la décision de la cour d’assises n’a pas été suffisamment motivée par les juges, la privant ainsi de son droit à l’enregistrement sonore des débats de la cour d’assises (Crim. 19 juin 2016, n° 15-83.937, Dalloz actualité, 8 nov. 2016, obs. D. Goetz ). Or, en l’espèce, deux arguments – l’un factuel, l’autre juridique – doivent être soulignés. Premièrement, le procès-verbal des débats mentionnait l’absence de dispositif sonore d’enregistrement des débats. Deuxièmement, ces dispositions, codifiées à l’article 308 du code de procédure pénale, ne sont pas prévues à peine de nullité. En toute logique, il résulte de l’enchevêtrement de ces deux arguments que la Cour de cassation a déclaré ce moyen inopérant, en soulignant que « l’accusée n’a invoqué, à l’appui de sa demande de renvoi du procès, aucun grief pouvant résulter de l’absence d’enregistrement sonore des débats ». Cette solution tire toutes les conclusions de la réécriture de l’article 308 par la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 qui, dans son dernier alinéa, dispose opportunément que « les dispositions du présent article ne sont pas prescrites à peine de nullité de la procédure ; toutefois, le défaut d’enregistrement sonore, lorsque celui-ci est obligatoire en application du deuxième alinéa, constitue une cause de cassation de l’arrêt de condamnation s’il est établi qu’il a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la personne condamnée ».

Dans le second moyen, la requérante se concentre sur le rejet de sa demande de donné acte. En effet, à la lecture, par le président, des motifs de l’arrêt rendu par la cour d’assises de première instance, ses avocats avaient émis une protestation en ce que certains passages de la feuille de motivation leur paraissaient porter atteinte à la présomption d’innocence. Ils considéraient que les termes de ce rapport, en ce qu’ils affirmaient la culpabilité criminelle de l’accusée à raison de crimes dont elle n’avait jamais été déclarée légalement coupable, portaient atteinte à son droit à un procès équitable et à la présomption d’innocence. Ils avaient sans succès demandé à la cour de leur en donner acte. Les juges du fond avaient considéré que, dès lors que le président donne conformément aux prescriptions de l’article 327 du code de procédure pénale connaissance de l’ensemble des motifs qui ont déterminé la décision rendue par la cour d’assises de première instance, il n’entre pas dans les pouvoirs de la cour de donner acte des protestations relatives au rapport de la présidente. La Cour de cassation confirme cette position connue (Crim. 26 juin 2013, n° 12-82.366, Dalloz actualité, 26 sept. 2013, obs. M. Léna  ; D. 2013. 1778, obs. Laurent  ; 26 juin 2013, n° 12-85.300 ; 14 déc. 2016, n° 15-86.303, Dalloz actualité, 10 janv. 2017, obs. C. Benelli-de Bénazé ) et n’accueille pas le moyen en rappelant que, si les parties peuvent effectivement critiquer la feuille de motivation, elles ne peuvent faire grief au président « d’avoir, conformément aux prescriptions de l’article 327 du code de procédure pénale, donné connaissance de l’ensemble des motifs qui ont déterminé la décision rendue par la cour d’assises de première instance ».

Dans le troisième moyen, la requérante remet en cause le rejet de sa demande de supplément d’information. Elle avait en effet sollicité l’ouverture du cercueil de sa mère afin de saisir une lettre susceptible de s’y trouver et qui accréditerait la thèse d’un suicide de la victime. L’accusé reproche à la cour d’avoir rejeté sa demande sans expliquer en quoi ce supplément d’information n’était pas nécessaire à la manifestation de la vérité. Pourtant, les juges avaient pris le soin de préciser que cette mesure d’investigation n’était pas nécessaire à la manifestation de la vérité « compte tenu de l’ensemble des éléments recueillis lors des débats, en particulier les témoignages et les avis des experts ». Cet effort de motivation est, pour la Cour de cassation, suffisant puisqu’elle écarte le moyen en précisant que « la cour d’assises, qui a souverainement apprécié l’intérêt de cette mesure, a justifié sa décision ».

Enfin, dans le quatrième moyen, la requérante se fonde sur le rejet de sa demande tendant à poser des questions factuelles complémentaires à la cour et au jury durant les délibérations. En effet, après la lecture par le président des questions auxquelles la cour et le jury devraient répondre, la défense a demandé que soient également posées cinq questions purement factuelles. Pour justifier son refus, la cour d’assises avait placé au cœur de sa motivation son souci d’interprétation stricte des articles 348 et 349 du code de procédure pénale pour en déduire que les questions posées dans les termes de la prévention, lues par la présidente avant le début des plaidoiries des avocats des parties civiles, ne peuvent être complétées par des questions factuelles que la loi pénale n’autorise pas. Or, pour la requérante, ce raisonnement encourt deux griefs. D’abord, il méconnaît le sens de la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-113/115 QPC du 1er avril 2011 qui a assorti l’article 349 du code de procédure pénale d’une réserve d’interprétation, aux termes de laquelle « l’accusé peut ainsi demander que la liste des questions posées soit complétée afin que la cour d’assises se prononce spécialement sur un élément de fait discuté pendant les débats » (Cons. const., 1er avr. 2011, n° 2011-113/115 QPC, Dalloz actualité, 5 avr. 2011, obs. S. Lavric  ; D. 2011. 1154, point de vue W. Mastor et B. de Lamy  ; ibid. 1156, point de vue J.-B. Perrier  ; ibid. 1158, chron. M. Huyette  ; ibid. 2012. 1638, obs. V. Bernaud et N. Jacquinot  ; AJ pénal 2011. 243, obs. J.-B. Perrier  ; Constitutions 2011. 361, obs. A. Cappello  ; RSC 2011. 423, obs. J. Danet  ; Dr. pénal 2011. 70, obs. A. Maron et M. Haas). Ensuite, cette analyse méconnaît, selon la requérante, le fait qu’aucun principe d’interprétation stricte ne gouverne la procédure pénale et que les textes de procédure doivent être interprétés dans le sens de l’octroi des meilleures garanties à la défense (R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel. Droit pénal général, Cujas, 2002, n° 180). La Cour de cassation, en écartant cet ultime moyen, confirme son attachement à la lecture des articles 348 et 349 du code de procédure pénale faite par les juges du fond. En effet, elle considère que la cour d’assises a justifié sa décision « dès lors que ne peuvent être posées à la cour et au jury des questions étrangères aux prévisions des articles 348 et 349 du code de procédure pénale ».

SOURCE

Le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative aux dispositions prévoyant que, pour certaines infractions, le huis clos est de droit si la victime partie civile le demande.

Les règles du huis clos dans les procès d’assises devront-elles évoluer ? La chambre criminelle vient de transmettre au Conseil constitutionnel une QPC relative à l’article 306, alinéa 3, du code de procédure pénale. Cet article prévoit que, pour certaines infractions, le huis clos est de droit si la victime partie civile le demande. Ceci n’est possible qu’en cas de viol, tortures et actes de barbarie accompagnés d’agressions sexuelles, traite des êtres humains, proxénétisme aggravé.

S’agit-il de dispositions contraires aux principes de la publicité des débats et de la présomption d’innocence, ainsi qu’au respect des droits de la défense, s’interroge le demandeur à la QPC. Non, selon Sabine Foulon, qui a présidé des audiences d’assises pendant une quinzaine d’années. Aujourd’hui magistrate réserviste, elle pense néanmoins qu’une « atténuation du caractère impératif de l’article 306, alinéa 3, du code de procédure pénale serait judicieuse ». Sabine Foulon raconte qu’elle a appliqué cette disposition pendant des années. « Elle n’a généralement pas posé de problèmes ni engendré de conflits. Mais on peut s’interroger sur l’équilibre qui doit régner dans un procès entre les différentes parties », remarque-t-elle.

Ainsi, Sabine Foulon serait favorable à une réforme. « Lorsque la victime demande le huis clos ou la publicité, il serait préférable que la parole puisse être donnée aux autres parties. Et qu’en cas d’opposition entre les parties, le pouvoir soit donné à la cour d’assises de trancher », estime-t-elle.

« La société culpabilise tellement les victimes de viols »

Sabine Foulon indique que c’est « la protection de la victime », qui justifie le pouvoir de décision qui lui est donné. Toutefois, à ses yeux, « c’est difficile de dire a priori si la victime est protégée par le huis clos ou la publicité, c’est une question d’espèce ». Elle signale que la publicité, par la médiatisation, peut permettre à d’autres victimes qui n’osaient pas dénoncer des faits de venir les révéler.

Laure Heinich, avocate pénaliste, ne veut pas que le droit change tant que la société n’aura pas évolué. « À ce jour, la société culpabilise tellement les victimes de viols, celles-ci en éprouvent tellement de honte, qu’il semble qu’on ne soit pas prêt à lever ce droit au huis clos », soutient l’ancienne secrétaire de la Conférence des avocats du barreau de Paris. La suppression de ce droit pourrait décourager certaines victimes à porter plainte, à aller devant les tribunaux, considère-t-elle. « Pour ces infractions particulièrement humiliantes et majoritairement à caractère sexuel, il y a une intimité de la parole de la partie civile qu’il faut préserver », insiste-t-elle.

Toutefois, Laure Heinich entend bien « qu’il y a quelque chose de dérangeant à ce que la partie civile ait un droit unilatéral de priver l’accusé du droit fondamental qui est la publicité des débats ». « Quand la société permettra à ces victimes de s’exprimer librement », le huis clos devra se discuter entre les différentes parties au procès, estime-t-elle. À l’heure du bouclage, la date de l’audience n’était pas encore diffusée sur le site internet du Conseil constitutionnel.

par Caroline Fleuriot le 22 mai 2017