http://www.lexpress.fr/medias/292/sarkozy-et-les-juges_184.jpg Entretien avec Serge Portelli : « Il existe une justice des riches et une justice des pauvres »

Serge Portelli est vice-président du Tribunal de grande instance de Paris, délégué syndical du syndicat de la magistrature.

Loi Perben 2, réorganisation de la carte judiciaire, suppression des juges d’instruction… La justice française croule sous le poids des réformes successives et la balance ne penche plus du côté de la démocratie. Point de vue d’un magistrat.

Les récentes réformes judiciaires mises en œuvre par le gouvernement garantissent-elles encore l’indépendance de la justice ?

Serge Portelli. La volonté du pouvoir actuel est de soumettre la magistrature. Pour comprendre la stratégie du gouvernement il faut savoir que le parquet, c’est-à-dire les procureurs, est placé sous l’autorité du Garde des Sceaux, tandis que les magistrats du siège (1), eux, sont indépendants. C’est une distinction fondamentale. Si on perturbe cet équilibre, on glisse vers un fonctionnement antidémocratique. Actuellement, l’Etat utilise le parquet pour faire main basse sur la justice. Il accentue la pression hiérarchique sur les procureurs tout en leur donnant davantage de pouvoir, au détriment des juges du siège.

Comment cela se traduit-il concrètement ?

S.P. Lorsque Rachida Dati déclare « je suis le chef des procureurs », on comprend que ces derniers sont là pour obéir et appliquer les objectifs du gouvernement. A savoir, une politique répressive, tant pour les mineurs que pour les majeurs, basée sur une sorte d’idéologie frénétique de l’enfermement. Dans le cas des peines plancher, Rachida Dati a émis des circulaires imposant au parquet de requérir systématiquement ces peines et de faire appel lorsque ces décisions n’étaient pas appliquées. Les procureurs qui produisent de mauvaises statistiques en la matière se font rappeler à l’ordre (2) et, si ça ne suffit pas, ils sont mis au placard ou voient leur avancement sérieusement compromis. Jamais l’Etat n’a eu autant d’ascendant sur le parquet et cette reprise en main s’accompagne d’un renforcement du pouvoir des procureurs. Cette évolution qui date de 2002, avec les lois Perben 2, s’est accentuée depuis 2007 ; la suppression des juges d’instruction est le point d’orgue de cette stratégie.

Pourquoi ?

S.P. Le juge d’instruction est un juge du siège, donc indépendant, qui enquête sur les affaires les plus graves, mettant parfois en cause des autorités politiques ou des hommes d’affaires. Or aujourd’hui, c’est au procureur que reviendrait la responsabilité de mener ces enquêtes ! On imagine l’ardeur à la tâche des procureurs chargés d’enquêter sur des affaires politico-financières impliquant des membres de la majorité ou des proches du pouvoir. Qui plus est, demander à l’accusation d’instruire à charge et à décharge est conceptuellement aberrant. C’est une véritable escroquerie. Quant au juge d’instruction qui serait remplacé par le juge de l’instruction, il deviendrait un juge fantoche dont le rôle se bornerait à délivrer des autorisations d’actes attentatoires à la liberté individuelle comme les perquisitions ou les écoutes téléphoniques. Encore faudrait-il que le procureur les réclame. Certes, les victimes pourraient toujours saisir le juge de l’instruction pour demander ces investigations, mais on sait bien que dans les affaires politico-financières, il n’y a pas de victimes constituées partie civile.

« Une politique répressive basée sur une d’idéologie frénétique de l’enfermement. »

D’ailleurs, dans ce système, la constitution de partie civile n’existerait plus. Comment, en effet, le juge pourrait-il contraindre le procureur d’ouvrir et de mener une enquête si celui-ci s’y refuse ? On sera donc soumis au bon vouloir du parquet. Pourtant, le 13 juillet dernier, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) indiquait qu’elle ne reconnaissait pas les procureurs français comme des autorités judiciaires en raison de leur dépendance au pouvoir. La commission plénière de la CEDH devrait aussi statuer prochainement sur ce point. Si elle confirme sa position, cela fera peut-être reculer ce projet. Il faut qu’une instance indépendante dénonce cet état de fait, puisqu’en France, les institutions chargées de veiller au respect de la démocratie se taisent.

Le statut quelque peu hybride du juge d’instruction ainsi que son isolement sont les arguments souvent invoqués pour justifier sa suppression. Cela vous semble-t-il recevable ?

S.P. Dire que le juge d’instruction est isolé est scandaleux. Une loi votée en 2007, suite à l’affaire d’Outreau, prévoyait l’instauration de pôles d’instruction composés de trois juges. Cette collégialité de l’instruction était en cours d’expérimentation depuis 2008 et devait être généralisée en 2010. La décision de Nicolas Sarkozy met donc un terme à cette expérience. En revanche, l’argument qui décrit le juge d’instruction comme un être hybride, instruisant à charge plus qu’à décharge, est une vraie critique. Cependant, on peut y remédier en accroissant considérablement les droits de la défense. Et si le juge d’instruction est un être hybride, quid du procureur ?

Vous évoquiez au début de cet entretien les lois Perben 2. Comment ont-elles contribué à renforcer le pouvoir du parquet au détriment du siège ?

S.P. En 2002, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, a mis une pression colossale sur la police, en imposant une culture du résultat. Depuis cette date, les gardes à vue augmentent de 35 000 par an, soit 570 000 en 2008. Ce phénomène majeur concerne directement la justice via les procureurs. Ces derniers ayant pour mission de contrôler la police judiciaire et d’empêcher les gardes à vue lorsqu’elles ne s’avèrent pas nécessaires. Néanmoins, beaucoup partagent cette volonté d’accroître les gardes à vue et se contentent de signer. Il faut savoir que la justice pénale traite un nombre considérable de dossiers dont les éléments de preuve sont des aveux obtenus au cours de cette période. L’instauration du « plaider coupable », plébiscité par la loi Perben 2, a écarté le juge des débats. Les affaires se négocient entre le procureur et la défense, et le juge ne statue plus sur la culpabilité du prévenu mais sur la peine qu’on lui propose.

Et le justiciable dans tout ça ?

S.P. La justice est de moins en moins accessible aux justiciables ordinaires. C’est un effet cumulé de la réorganisation de la carte judiciaire, qui supprime les juridictions de proximité, et de la crise qui touche actuellement l’aide juridictionnelle. On ne définit plus la fonction de l’Etat au regard des besoins du citoyen mais à partir de critères de rentabilité financière. C’est parfaitement antidémocratique. Les classes moyennes ont à peine accès à la justice, et sont quasiment exclues de l’aide juridictionnelle eu égard au barème extrêmement bas appliqué dans ce domaine. Il existe une justice des riches et une justice des pauvres. L’affaire Tapie en est un parfait exemple. Le rapport sur la dépénalisation des affaires aussi. C’est idéologique. Chacun mérite sa justice et tant pis pour les faibles. Les forts, les combattants du privé méritent d’y échapper et rien ne doit entraver le bon fonctionnement des affaires. C’est une caste qui a des droits. On est très proche de la situation de l’ancien régime avant la Révolution, c’est une régression historique.

« La justice est de moins en moins accessible aux justiciables ordinaires. »

Comment s’organise la résistance au sein de la magistrature pour restaurer l’institution judiciaire dans un fonctionnement démocratique ?

S.P. La syndicalisation judiciaire est en pleine mutation. Si le Syndicat de la magistrature (SM) a toujours été un pôle de résistance, l’Union syndicale de la magistrature (USM) est de plus en plus critique à l’égard du gouvernement, notamment en raison de l’absence totale de concertation autour des réformes. Aujourd’hui, en dehors des grèves, nous menons beaucoup d’actions communes. Nous avons récemment publié une contre-circulaire sur les peines planchers, soit un guide de bonnes pratiques « légales » pour éviter aux magistrats d’appliquer ces peines. Le SM a également cosigné la charte de l’Appel des appels. Ce mouvement rassemble des professions à fort potentiel humain, qui ne partagent pas la vision de l’Etat sur le devenir de leurs métiers. Il s’agit de lutter contre une conception ultralibérale de l’économie qui colle à merveille avec une conception simplifiée de l’Homme. Soit, les bons d’un côté et les mauvais de l’autre. Enfin, le 7 janvier dernier, en réaction à l’annonce de Nicolas Sarkozy de supprimer les juges d’instruction, des magistrats, des avocats, des fonctionnaires de la justice mais aussi des experts de diverses disciplines se sont regroupés pour fonder les états généraux de la justice pénale. L’enjeu majeur est de tenter de définir un certain nombre de principes intangibles de sauvegarde des libertés publiques en matière de justice pénale.

Est-il possible pour un juge de résister au quotidien, dans l’exercice de sa fonction ?

S.P. En fait, il s’agit d’appliquer la loi. Si l’on est réellement persuadé que la prison est le dernier recours, on ne prononce que très peu de peines d’emprisonnement. Cela suppose de prendre le temps d’examiner la personnalité de chaque prévenu, et d’envisager l’ensemble des solutions alternatives à la prison. On peut par exemple déroger aux peines plancher en motivant minutieusement sa décision, en tenant compte des circonstances de l’infraction, de la personnalité de l’accusé et de ses garanties d’insertion. La mise en détention doit vraiment faire débat au sein du tribunal, ce qui est rarement le cas aujourd’hui. Plus de 50 % des juges prononcent des peines plancher. Cela produit un effet d’entraînement et habitue les magistrats à augmenter leur taux moyen d’emprisonnement.

Et selon vous une justice idéale serait…

S.P. Une justice qui prendrait le temps d’écouter les prévenus, qui redonnerait ses pouvoirs perdus au juge du siège, qui donnerait toute sa place à l’audience, et qui ne prononcerait l’emprisonnement qu’en dernier recours. C’est loin d’être une utopie.

Propos recueillis par Sophie Labit

1. Ceux qui jugent. Ils sont statutairement indépendants du Garde des Sceaux, au contraire du parquet qui lui est hiérarchiquement lié.

2. Philippe Nativel, vice-procureur au tribunal de Nancy, a ainsi été convoqué en août 2007 pour avoir refusé de requérir au cours d’une audience une peine plancher. En septembre 2008, cinq procureurs ayant un « faible » taux d’application des peines plancher ont également été convoqués au ministère de la Justice.

Paru dans le n° Hors-série, Regards, mai-juin 2009

Antécédents - La guerre vec les magistrats remonte à son passage au ministère de l'Intérieur (ici en 2003).

AFP

Antécédents – La guerre avec les magistrats remonte à son passage au ministère de l’Intérieur (ici en 2003).

Par Gilles Gaetner, publié le 27/05/2009 16:16 – mis à jour le 28/05/2009 09:51

Dès son arrivée à l’Elysée, Nicolas Sarkozy n’a eu de cesse de vouloir réformer la justice. Quitte à s’attaquer de front aux magistrats et à prendre de vitesse Rachida Dati.

Sans crier gare, il annonce la mort du juge d’instruction. Sans prendre de gants, il compare les magistrats à des “petits pois”. Mine de rien, il ne se gêne pas non plus pour remettre en question une décision du Conseil constitutionnel. Que ses initiatives irritent les 8300 magistrats du pays, Nicolas Sarkozy s’en moque: lui, l’ancien avocat, n’est pas là pour leur plaire, mais pour que la justice fonctionne mieux, qu’elle soit moins laxiste, plus responsable et qu’elle prenne en considération le sort des victimes.

Ce dernier aspect confine pour lui à l’obsession. Surtout depuis ce jour de juin 2005 où Nelly Crémel, l’épouse d’un officier de la DGSE, a été tuée par deux hommes alors qu’elle effectuait son jogging dans une forêt de Seine-et-Marne. Quand il apprend que l’un des tueurs est en liberté conditionnelle, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, interpelle son collègue garde des Sceaux, Pascal Clément: “Que va-t-il advenir du magistrat qui a osé remettre un monstre pareil en liberté?”

Cette question pose le problème récurrent de la responsabilité des magistrats. Seulement voilà: Sarkozy ignore -ou feint d’ignorer- que la décision de remise en liberté, prise collégialement en 2003, est juridictionnelle et, à ce titre, peut difficilement déboucher sur une mise en cause des magistrats. Fort du soutien de l’opinion, c’est malgré tout à partir de ce drame que le candidat UMP à la présidentielle va bâtir la politique pénale destinée à être appliquée lorsqu’il entrera à l’Elysée. Ce fait divers marque aussi le début d’une guerre à couteaux tirés entre l’exécutif et les magistrats.

Imprévisible, telle semble être la stratégie de Nicolas Sarkozy vis-à-vis des juges. Rachida Dati elle-même va de surprise en surprise.

REUTERS/Ali Jarekji

Imprévisible, telle semble être la stratégie de Nicolas Sarkozy vis-à-vis des juges. Rachida Dati elle-même va de surprise en surprise.

En septembre 2006, Nicolas Sarkozy récidive en critiquant le président du tribunal pour enfants de Bobigny et ses “juges laxistes”. Le conflit redouble d’intensité en mai 2007 avec l’arrivée de Rachida Dati Place Vendôme. Trop cassante avec les membres de son cabinet, trop sûre d’elle, même si elle manifeste une indéniable force de caractère lors de la réforme de la carte judiciaire, la ministre se coupe, à son tour, des magistrats, rétifs aux changements. A chaque crispation, Nicolas Sarkozy vient à son secours. Jusqu’à ce 28 octobre 2008, où, devant la colère des juges, il se substitue à elle. Fait unique dans les annales de la Ve République, il reçoit en personne la principale organisation professionnelle, l’Union syndicale des magistrats (USM). Suprême humiliation: la ministre doit patienter une demi-heure avant d’assister à l’entretien!

Un magistrat frondeur à l’UMP

Jean-Paul Garraud, député UMP de la Gironde et seul magistrat de l’Assemblée nationale, aime dire ce qu’il pense. Quitte à aller à contre-courant des desiderata de Nicolas Sarkozy. Il l’a prouvé début janvier, en s’opposant à la suppression du juge d’instruction et au rôle clef qui serait ainsi dévolu au parquet en matière d’enquête, comme le suggérait le président. L’élu girondin, qui se défend de rechercher l’épreuve de force avec l’Elysée, a même réussi à convaincre 97 députés de son camp de signer une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur la réforme de l’instruction des affaires pénales.

A ses yeux, le principal problème de la procédure française n’est pas le juge d’instruction, mais le juge des libertés et de la détention (JLD), suspecté de dégainer le mandat de dépôt un peu trop facilement. Cette argumentation ayant porté ses fruits auprès de ses collègues, le président du groupe UMP, Jean-François Copé, s’est dit qu’une fronde pointait peut-être à l’horizon. Astucieusement, il a donc demandé à Garraud, en liaison avec son collègue de l’Ain, Etienne Blanc, de réfléchir à la réforme en organisant sur Internet une consultation de l’opinion et en recueillant le point de vue de magistrats et de parlementaires, y compris ceux de l’opposition, comme André Vallini (PS), ex-président de la commission sur l'”affaire Outreau”.

L’avocat qui n’aime pas les juges

Quelques semaines plus tard, voici que le président s’en prend au Conseil constitutionnel: d’après lui, ce dernier a eu tort, le 21 février, de refuser la rétroactivité de la loi sur la rétention de sûreté. Dès lors, le président se trouve devant une double difficulté: comment rassurer une opinion inquiète de voir des personnes potentiellement dangereuses recouvrer la liberté? Comment contourner la “décision de la cour suprême” du système français? Il demande au premier président de la Cour de cassation, Vincent Lamanda, de lui trouver une solution miracle. Ainsi, la Cour de cassation, censée dire le droit et rien que le droit, se transforme en conseil de l’exécutif! Joli tour de passe-passe…

Imprévisible, telle semble être la stratégie de Nicolas Sarkozy vis-à-vis des juges. Rachida Dati elle-même va de surprise en surprise. Elle installe, en octobre 2008, le comité Léger, chargé de réfléchir à un nouveau code de procédure pénale, mais s’invitant dans un débat où personne ne l’attend, dès le 7 janvier, lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation, le président annonce tout de go la suppression du juge d’instruction et son remplacement par un “juge de l’instruction”. Cette révolution annoncée prend de court l’institution. A commencer par la garde des Sceaux, qui n’a pas été prévenue des intentions du chef de l’Etat, dont seuls deux ou trois proches étaient dans la confidence, notamment son conseiller “justice”, Patrick Ouart, authentique vice-garde des sceaux…

Comment expliquer ce coup d’éclat présidentiel? D’abord, chacun sait que l’ancien avocat n’aime guère les juges d’instruction, trop inquisiteurs à ses yeux, surtout dans les dossiers politico-financiers. Ainsi, Nicolas Sarkozy ne s’est jamais privé de dire haut et fort qu’il n’apprécie pas le juge parisien Renaud Van Ruymbeke. Seul Philippe Courroye -aujourd’hui procureur à Nanterre- trouve grâce à ses yeux. La sortie du 7 janvier contre les juges d’instruction s’explique aussi par l’affaire Filippis, du nom de l’ex-directeur de la publication de Libération arrêté manu militari, le 28 novembre 2008, à la demande d’une juge un peu trop zélée dans une affaire de diffamation. Cette arrestation a profondément heurté le président.

Déroutant Sarkozy! Tantôt il se comporte en Père Fouettard, soucieux de relayer une opinion souvent critique à l’égard des magistrats, tantôt il veut moderniser une institution recroquevillée sur elle-même. Avec un objectif immuable: que les citoyens retrouvent confiance en la justice. C’est sans doute pour cette raison qu’il envisage de remplacer Rachida Dati par un ministre plus politique, moins versatile, maîtrisant mieux ses dossiers. Depuis l’annonce de sa candidature aux élections européennes, la garde des Sceaux est absente. Elle qui a, deux ans durant, tant rudoyé les magistrats. Souvent avec la bénédiction de l’Elysée…

Par Jean-Marie Pontaut

Le comité de réflexion qui planche sur la réforme de la justice devrait remettre à la chancellerie ses propositions concernant les cours d’assises au début de juin. Elles introduisent notamment une mesure inédite dans le droit criminel français: si un accusé reconnaît sa culpabilité avant le procès, l’audience sera raccourcie et la peine, minorée, sous réserve de l’accord de la victime. Une façon de faire face à l’explosion des affaires de viol, qui engorgent les tribunaux. Cette procédure serait toutefois impossible si l’accusé encourait la réclusion à perpétuité.

Le comité propose, en outre, que les débats soient “sténotypés”, voire enregistrés ou filmés, en vue d’une utilisation lors d’un procès en appel ou en cas de procédure de révision. Par ailleurs, les jurés seraient désormais autorisés à lire les pièces du dossier durant le délibéré. Au moment du tirage au sort du jury, les parties civiles, rebaptisées “victimes”, auront le droit de récuser des jurés, qui n’est actuellement exercé que par le parquet et la défense.

Autre modification importante proposée par la commission: les arrêts devront être motivés, comme les jugements le sont au tribunal correctionnel. Enfin, la notion d’intime conviction serait maintenue, mais le président de la cour d’assises devrait rappeler que le doute profite à l’accusé.

Sur Internet

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Une procédure de “plaider coupable” serait envisagée en France

Permettre à une personne accusée d’un crime de plaider coupable en échange d’une peine allégée est envisagé par le comité chargé de réfléchir à la réforme de la procédure pénale française, écrit le quotidien La Croix dans son édition de mercredi.

Interrogé par Reuters, le cabinet de la ministre de la Justice, Rachida Dati, “ne confirme ni ne dément” l’existence d’une telle proposition qui s’inspire du droit américain.

Selon La Croix, l’audience n’examinerait plus la question de la culpabilité de l’accusé mais seulement sa personnalité et les circonstances du crime. Le verdict serait toujours rendu par la cour d’assises et les jurés populaires mais la peine encourue serait réduite.

Aux Etats-Unis, un accusé peut éviter un procès public en plaidant coupable, un juge prononçant ensuite directement une sentence. Cette procédure a été récemment employée par Bernard Madoff, auteur d’une escroquerie financière d’ampleur planétaire qui ne sera donc jamais évoquée en public.

Une procédure similaire a été créée en France en 2004 mais elle ne concerne que les petits délits et dans ces cas-là la peine est proposée par le procureur.

L’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) est opposée à une telle réforme pénale.

Avec ce système, fait valoir son président Christophe Régnard, le tueur en série Michel Fourniret et son épouse, par exemple, auraient pu éviter la réclusion à perpétuité.

A ses yeux, il semble étrange de renoncer à examiner la culpabilité d’un accusé mais de maintenir la tenue d’une audience où l’accusé pourra toujours revenir sur ses aveux.

Doutant “du sérieux de cette commission”, Christophe Régnard la voit en “apprenti sorcier de la procédure pénale”.

Dirigé par le juriste Philippe Léger, le comité a déjà avancé une autre idée très critiquée, la suppression du juge d’instruction, enquêteur indépendant par son statut, et son remplacement pour toutes les enquêtes complexes par le procureur, nommé sur décret du président de la République.

Le rapport final du comité Léger est attendu dans les prochaines semaines, dit le ministère de la Justice. Nicolas Sarkozy a promis ensuite de lancer une réforme d’ampleur.

Thierry Lévêque, édité par Gilles Trequesser

Une réforme de la justice pénale est nécessaire sous trois conditions : réduire le délais de détention provisoire, de garde à vue, et définir le rôle du nouveau juge de l’instruction.

Le rapport d’étape du comité de réflexion sur la justice pénale, publié en mars 2009, contient une avancée remarquable : la réduction drastique des délais de la détention provisoire. Il y est rappelé qu’à ce jour, en matière criminelle, un maximum de 6 ans et 8 mois peut s’écouler entre l’incarcération et le jugement. En matière délictuelle, ce maximum est de 3 ans et 6 mois. Le comité propose une durée maximale de deux ans dans les dossiers criminels courants, un an pour la correctionnelle habituelle ; soit des réductions de 70 % !

Réduire les délais de détention provisoire

Ce serait une révolution. Il est inadmissible que, en 2009 en France, on puisse attendre en prison sa comparution devant une cour d’assises près de 7 ans. De plus, la tendance se durcit : selon la commission de suivi de la détention provisoire, la durée moyenne s’en allonge dans tous les dossiers.

Le scandale s’accroît quand on sait que les personnes en attente d’être jugées (les ‘prévenus’) seraient présumées innocentes… Les erreurs judiciaires n’en sont que plus graves : en 2005, il y aurait eu 1100 cas de détention provisoire terminées sans condamnation, soit plus d’un millier de personnes déclarées innocentes alors qu’elles ont été emprisonnées plusieurs mois sinon plusieurs années ! Outreau illustre ce désastre.

La réduction drastique de la durée de la détention provisoire corrigerait pour partie le second défaut de la justice pénale française : des enquêtes avant procès trop longues. Dans les affaires financières, des investigations sont ordonnées parfois après 10 ans ; dans les affaires de droit commun, les juges multiplient auditions et confrontations pour un résultat marginal.

Avec la réforme proposée, les dossiers dans lesquels la justice souhaite que les prévenus comparaissent détenus seront jugés plus vite.

Pour les autres – prévenus dits ‘libres’ –, il faut avoir le courage de créer des délais butoirs bornant la durée des enquêtes préalables.

La garde à vue par la petite porte

Le comité s’égare sur la question de la garde à vue : aucune modification sur sa durée qui peut atteindre plusieurs jours. Seules des mesurettes sont proposées, par exemple la communication du procès-verbal d’audition du mis en cause à son avocat lors de la visite de ce dernier à la 12ème heure.

Il faut pourtant en circonscrire l’usage, d’abord en réduisant ses délais. En effet, elle ne sert qu’à provoquer des aveux. Or, il ne peut s’agir de la reine des preuves. Dans les affaires graves de terrorisme ou de grand banditisme, les accusés sont condamnés en dépit de leurs dénégations : il y a donc des investigations complémentaires dont les résultats sont jugés probants. Dans les affaires où les mis en cause sont fragiles, les aveux entraînent des condamnations remises en question plus tard. Témoin, l’affaire Machin : un SDF avoue un meurtre en garde à vue puis le nie ; il est condamné à 18 ans de prison. Huit ans plus tard, un second SDF s’accuse du même meurtre. On trouve alors l’ADN du deuxième sur les vêtements de la victime et sous ses ongles… Aucune corroboration de l’aveu initial n’avait-elle été obtenue ? Avec une garde à vue réduite, un suspect n’aurait peut-être pas fait des aveux si critiquables.

Quid du nouveau juge de l’instruction

Le rapport n’apporte rien sur le couple parquet enquêteur / juge de l’instruction qui remplace l’actuel attelage parquet / juge d’instruction / juge des libertés et de la détention (dit JLD). Le juge de l’instruction y est censé contrebalancer le pouvoir nouveau d’enquêter du parquet en lui autorisant ou lui refusant les actes coercitifs comme les perquisitions, saisies, etc. Il faut craindre au contraire qu’il entérine presque toutes ses demandes. A ce jour, le JLD saisi à des fins similaires dans certains cas (détention provisoire ou perquisitions du parquet ou du fisc) adoube la grande majorité des demandes coercitives.

La vraie révolution est évoquée sans conviction : il est envisagé qu’un mis en cause entendu ou ayant fait l’objet d’une ‘mesure intrusive’ (perquisition) demande à être partie à la procédure, donc à avoir accès au dossier. Voilà qui romprait avec la tradition nocive d’un trop grand secret des enquêtes. Il est anormal qu’un Julien Dray apprenne par la presse que les policiers épluchent ses comptes sans avoir accès au dossier. Il est abusif que plusieurs tomes d’investigations soient opposés à un suspect présenté au juge d’instruction avec le risque d’une mise en examen et d’une détention provisoire : comment se défendre, sur le moment, face à ce rouleau compresseur ?

Enfin, l’accès au dossier en amont par la défense rééquilibrerait la conduite des investigations : elle pourrait demander tôt des actes à décharge. Si le parquet enquête seul, la tentation est forte de ne collecter que des charges sans le souci des alibis. Cela suppléerait même sa dépendance à l’exécutif que craignent à tort les adversaires de la réforme.

Pourquoi tant s’agiter ? Ces deux réformes – détention provisoire réduite et dossier de l’enquête communiqué tôt – pourraient être implantées dans le système actuel.

Lire ou relire sur Bakchich :

Un mois, dix ans, vingt ans. La prison reste une expérience à part. Et c’est encore ceux qui l’ont vécu qui en parlent le mieux. Témoignages. Part II.
Nedhal, le matricule 921130 de la troisième division de Fresnes, s’est pendu le 19 mars 2008. Tué par l’indifférence. Rongé par l’attente interminable sous le poids de laquelle la Justice l’avait abandonné. Oubliée, sa présomption d’innocence ! Sa (…)
Le constat accablant établi par le contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son rapport annuel sur l’état des prisons françaises n’a pour l’instant pas fait réagir le pouvoir.
Nicolas Sarkozy a proposé la suppression du juge d’instruction, le magistrat chargé de mener des enquêtes en toute indépendance. Une sacrée régression démocratique en perspective.

La suppression de la fonction de juge d’instruction voulue par Nicolas Sarkozy risque d’entraver l’action de la justice dans les dossiers qui gênent le pouvoir politique, estime l’influente organisation anticorruption Transparency International dans un rapport publié mercredi.

Cette Organisation non gouvernementale (ONG), dont la plainte est notamment à l’origine de l’ouverture récente d’une enquête contre les biens de trois dirigeants africains, dresse dans ce document un premier bilan de l’action du président français en matière de lutte contre la corruption.

La suppression du juge d’instruction, indépendant par son statut, et son remplacement pour les dossiers importants par le parquet, lié au pouvoir politique, comporte selon Transparency International un risque majeur.

“Le risque est grand que l’action de la justice ne soit même plus initiée dans des dossiers de corruption, de trafic d’influence ou d’abus de biens sociaux susceptibles de gêner des dirigeants politiques ou économiques”, écrit l’organisation.

Le projet, annoncé par Nicolas Sarkozy en janvier, est actuellement à l’étude dans une commission de réflexion sur la procédure pénale, qui l’a appuyé dans un rapport intermédiaire. Le calendrier de la réforme, vivement combattue par la magistrature, n’est pas connu avec précision.

L’actualité vient de fournir une illustration des craintes de Transparency, le parquet ayant fait appel de la décision d’une juge d’instruction parisienne d’ouvrir une enquête sur les biens français de chefs d’Etat africains.

Transparency critique aussi le projet restreignant l’accès des juges à des lieux sensibles tels que la présidence de la République, des ministères, les services secrets ou les sièges de grandes sociétés, disposition figurant dans le projet de loi de programmation militaire pour 2009-2014.

Cette réforme prévoit que serait désormais restreint, voire interdit, l’accès des juges aux lieux “susceptibles d’abriter des éléments couverts par le secret de la défense nationale” et aux “locaux d’entreprises privées intervenant dans le domaine de la recherche ou de la défense”.

UN “PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA RÉPUBLIQUE”

“Mises en perspectives avec l’affaiblissement continu ces dernières années des différents corps d’enquêteurs spécialisés en matière de délinquance financière, ces deux annonces sont perçues par de nombreux magistrats comme les points d’orgue d’une ‘réaction des élites’ à la vague des dossiers politico-financiers des années 90”, écrit Transparency.

L’organisation suggère donc à l’Elysée de renoncer à la réforme concernant le secret-défense et, s’il supprime le juge d’instruction, de créer un “procureur général de la République”, nommé par le Parlement à une majorité des 3/5e afin de garantir l’indépendance du système judiciaire.

La loi devrait permettre aux associations d’agir contre la corruption, avance-t-elle aussi.

Transparency salue en revanche l’action de Nicolas Sarkozy au niveau international pour l’encadrement des pratiques des paradis fiscaux, qui a connu un début d’application.

Le rapport suggère au gouvernement de “concrétiser” l’annonce du ministère de l’Economie, qui a promis d’exiger des banques françaises ayant des filiales dans ces pays de rendre leurs activités plus transparentes.

L’ONG salue aussi une loi de novembre 2007 qui offre aux salariés du privé une protection légale contre les représailles éventuelles de leurs employeurs lorsqu’ils dénoncent une pratique de corruption dans leur entreprise.

Rappelant par ailleurs que Nicolas Sarkozy s’était engagé à un renforcement des moyens matériels d’action du pôle financier du tribunal de Paris, Transparency constate que cette promesse n’a pas été tenue, les moyens étant stables.

Thierry Lévêque, édité par Yves Clarisse

LE MONDE

STRASBOURG ENVOYÉ SPÉCIAL

C’est une audience importante pour l’avenir de la justice française qui s’est tenue, mercredi 6 mai, devant la formation la plus solennelle de la Cour européenne des droits de l’homme, à Strasbourg. Au détour d’une affaire de droit commun, l’interpellation de trafiquants de stupéfiants par la marine nationale, la Cour pose en effet la question du statut des procureurs en France.

Le 10 juillet 2008, en première instance, la Cour avait affirmé : “Le procureur de la République n’est pas une autorité judiciaire”, en précisant : “Il lui manque en particulier l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif pour pouvoir ainsi être qualifié.”

Les 181 procureurs de la République et leurs substituts sont-ils des magistrats, garants des libertés individuelles, comme le prévoit la Constitution ? Ou ne sont-ils que des préfets judiciaires, soumis aux injonctions du pouvoir exécutif, dans les affaires sensibles comme en matière de lutte contre la délinquance ?

Le gouvernement n’affiche pas d’inquiétude, mais si cet arrêt est confirmé, d’ici à la fin de l’année, il relancera un vif débat, sur une des réformes que le candidat Nicolas Sarkozy avait mise dans son programme en 2007 sans lui donner de suite à ce jour : séparer le corps judiciaire en deux, entre les juges, indépendants, et les procureurs. Il intervient au moment où le chef de l’Etat, en annonçant la suppression du juge d’instruction, propose un nouveau renforcement des pouvoirs du parquet et relance le débat sur son indépendance.

La Constitution de la Ve République a inscrit les procureurs dans un statut ambigu, à la fois soumis au pouvoir politique et indépendant, puisque, “à l’audience, leur parole est libre”. Mais, depuis 2002, la pratique de l’exécutif a nettement renforcé le lien hiérarchique. Rompant avec la pratique de la gauche entre 1997 et 2001, la majorité UMP a revendiqué le retour des instructions dans les dossiers particuliers et un contrôle hiérarchique resserré des procureurs par le garde des sceaux. A plusieurs reprises, Rachida Dati a déclaré : “Je suis la chef des procureurs.”

Depuis 2007, la mutation contre leur gré de plusieurs magistrats de haut rang, la nomination contre l’avis du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) de procureurs de premier plan, dont Philippe Courroye à Nanterre dans les Hauts-de-Seine, et la gestion controversée des affaires médiatiques, en dernier lieu celle de Tarnac, ont été perçues comme autant de signes de reprise en main politique.

Mercredi, à Strasbourg, l’avocat Patrice Spinosi est seul face aux vingt juges de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour dénoncer le manque d’indépendance des magistrats du parquet. De l’autre côté de la barre, huit personnes représentent le gouvernement français, et le défendent contre cette “présentation caricaturale”, selon les termes d’Edwige Belliard, directrice des services juridiques au ministère des affaires étrangères. Au premier, juste derrière l’étiquette “gouvernement”, se tient le procureur de Paris, Jean-Claude Marin.

Une délégation de la Cour de cassation a fait le déplacement à Strasbourg pour l’occasion. Depuis juillet 2008, l’arrêt Medvedyev est comme une épée de Damoclès qui pèse sur les magistrats du parquet, attachés à leur statut. “Les magistrats du parquet sont amovibles, révocables et soumis aux sanctions du pouvoir”, plaide Me Spinosi. “Cette subordination est loin d’être théorique, elle est réelle. Depuis 2004, l’autorité du garde des sceaux se fait sentir avec plus de force”, poursuit l’avocat qui énumère des exemples récents d’intervention du pouvoir : de la mutation contre l’avis du CSM du procureur général d’Agen à l’automne 2007, à la convocation nocturne du procureur et d’un substitut de Sarreguemines (Moselle), à la demande de la ministre de la justice, après le suicide d’un mineur à la prison de Metz. Il cite aussi la convocation d’un vice-procureur de Nancy pour des propos tenus à l’audience, critiquant les peines planchers, alors que l’un des piliers du statut des magistrats du parquet est leur liberté de parole à l’audience.

Me Spinosi avait l’embarras du choix, tant les exemples d’interventions du ministère de la justice ont été nombreux. A la veille de l’audience de Strasbourg, le CSM a voté un avis défavorable à la mutation forcée du procureur général de Riom (Puy-de-Dôme), Marc Robert, en fonction depuis 2000, auquel la chancellerie reproche d’avoir exprimé ses réserves sur la réforme de la carte judiciaire et l’application des peines planchers pour les récidivistes.

De son côté, le gouvernement français s’est volontairement tenu à l’écart de ce débat mercredi, en se focalisant sur le fond de l’affaire : les circonstances dans lesquelles, en 2002, un bateau de trafiquants de drogues a été arraisonné par la marine française et neuf membres de son équipage arrêtés au large du cap Vert – conditions qui, selon la CEDH, n’ont pas respecté “les voies légales” en raison des traités internationaux alors en vigueur.

Le commentaire de la Cour sur le statut du parquet intervient en appui de sa démonstration. Il n’est pas l’argument premier qui a fait condamner la France. C’est au nom de la violation de l’article 5-1 sur le droit à la liberté et à la sûreté de la Convention européenne des droits de l’homme que la France a été sanctionnée. Le gouvernement français constate que la Cour n’a posé de question sur le statut du procureur, ni lors de son instruction, ni lors de cette deuxième audience. L’indépendance du parquet, “ce n’est pas le sujet”, insistait Jean-Claude Marin, en sortant de l’audience. En espérant convaincre la Cour que les conditions d’arraisonnement étaient légales, le gouvernement pense faire tomber l’argument sur le statut du parquet.

Mais le problème restera en suspens, car l’arrêt Medvedyev s’inscrit dans une jurisprudence constante de la CEDH, qui pousse les Etats à renforcer les conditions nécessaires pour que les membres du parquet aient un statut de magistrat. Comme le résume le premier avocat général à la Cour de cassation, Régis de Gouttes, dans un article à paraître dans les Cahiers de justice (Dalloz/ENM) : “Il doit être indépendant de l’exécutif et des parties, impartial et non subordonné directement à ses supérieurs hiérarchiques.” M. de Gouttes ajoute que la CEDH “contrôle de plus en plus rigoureusement le respect et l’effectivité” de ces conditions. La CEDH rendra son arrêt d’ici à la fin 2009.
Alain Salles

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Aux beaux jours, il se rend parfois en vélo au palais de justice.
Le bureau, encombré par des piles de livres et de dossiers, donne sur la place du Palais. Sur les murs, cohabitent des photos de famille, la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et une caricature témoignant du goût assumé du procureur pour la provocation. Sous le titre Le miel attire les mouches, le dessin montre un élu ceint d’une écharpe tricolore et entouré de mouches gourmandes en robes noires de magistrats. Éric de Montgolfier n’esquive aucune question.

Estimez-vous avoir rempli la mission impartie par la garde des Sceaux Élisabeth Guigou qui était de remettre de l’ordre à Nice ?

Ce n’était possible que dans le cadre de la loi. Sur les 23 dossiers (présentant des anomalies) transmis à mon arrivée, beaucoup étaient prescrits. Au tribunal, je pense avoir rempli l’objectif. La justice fonctionne normalement.

La justice n’a pas l’ambition de tout voir, ni de tout faire

Vous avez fait condamner plusieurs élus. D’autres responsables sont-ils passés au travers des mailles du filet ?

La justice n’a pas l’ambition de tout voir, ni de tout faire. Et puis, il y a des choses que je sais, ou que je crois savoir, et pour lesquelles je ne peux réunir de preuves. Alors, je les garde en mémoire en attendant d’être aidé par le hasard, la chance ou un témoignage.

Vous êtes à l’origine de la mise à la retraite forcée du juge Renard…

Je fus un simple révélateur. Le doigt, pour reprendre une chanson de Guy Béart, qui montre et qui, pour certains, est plus coupable que ce qu’il montre.

D’autres magistrats auraient-ils dû rendre des comptes sur le plan disciplinaire ?

Je n’ai pas le pouvoir d’envoyer quiconque devant le Conseil supérieur de la magistrature. Même si parfois, j’ai trouvé qu’on déshonorait facilement la justice.

Faut-il laisser le soin à l’institution d’exercer sa propre discipline ?

Un corps, quel qu’il soit, est toujours un peu corporatiste.

Le sentiment d’impunité, que vous fustigiez à votre arrivée, a-t-il régressé ?

C’est à mes concitoyens qu’il faut le demander. Il y a ceux qui répondront « non » parce que je n’ai pas déstabilisé leurs ennemis. Je serais un bon procureur à leurs yeux lorsque je les oublierai pour m’occuper des autres. Un franc-maçon du Grand Orient m’a lancé un jour : j’espère que vous allez nous débarrasser de Peyrat. Il n’avait rien compris

Et l’influence des milieux affairistes, maçons ou non ?

Qui peut la mesurer ? Le secret, ou la discrétion selon le terme employé, reste puissant. Maçon et affairiste, deux mots qui vont si mal ensemble. De manière générale, ce qui me trouble ici, c’est l’arrogance de la délinquance

Par exemple ?

Lorsque je fais condamner le maire de Villefranche, d’autres maires l’assurent de leur soutien. C’est étonnant. Le dernier week-end, je fais remarquer à un automobiliste mal garé que sa voiture gênait le passage d’un bus articulé. Il l’a très mal pris…

Vous ne l’avez pas verbalisé ?

(Sourire) Je n’ai pas mis autant de PV qu’on le raconte. Même si cela m’arrive de relever des immatriculations ou de rattraper une voiture de la police municipale venant de brûler un feu. Pour autant, je ne passe pas ma vie à relever des contraventions. La répression n’est pas la seule réponse.

Vous sentez-vous moins isolé qu’à votre arrivée ?

Il y a eu des moments éprouvants. Des collègues, dénonçant en interne les mêmes problèmes, n’ont pas apprécié que j’en parle publiquement. Avec ce raisonnement : ne montrons pas ce que nous sommes. Il est toujours difficile d’être procureur, ici plus qu’ailleurs. Avant d’accepter les offres des gens, on réfléchit. Qui aiment-ils, le procureur ou l’homme ?

Justement, est-il possible d’avoir des amis authentiques ?

Oui, sinon ce serait affreux. Je ne veux pas tomber dans cette paranoïa qui créerait autour de moi le désert.

Récemment vous avez dit : je me sens Niçois…

Je ne me sens pas Niçois, je suis Niçois. Depuis dix ans. C’est mon pays, car c’est aussi la France. Mais je refuse de distinguer entre les vrais Niçois et les autres.

De ces dix années, quels furent les meilleurs moments ?

Il s’agit de souvenirs personnels et non professionnels.

Et les pires ?

Le rapport (à charge) de l’inspection générale et les cris de haine l’ayant accompagné. La récente comparution en correctionnelle. Les insultes qui me suivent régulièrement, jamais en face. J’aimerais tellement que l’on vienne me le dire en face. Au moins une fois.

Vous est-il arrivé de vous tromper ?

Qui ne s’est jamais trompé ? Cela m’est arrivé dans les procédures. Faut-il interrompre un pacte de corruption, dès qu’on en a connaissance et au risque de ne pas réunir de preuves suffisantes, ou le laisser se développer et en profiter pour placer les suspects sur écoute ? J’ai souvent fait le premier choix, avec sans doute des conséquences sur les résultats.

Comme dans l’affaire Sulzer ?

Peut-être…

Dans ce dossier, un avocat affirme que vous avez cherché à atteindre le maire de Nice (Jacques Peyrat) par le biais du chef de la police municipale…

Nombre d’avocats pensent qu’ils peuvent dire n’importe quoi, sans risque. Je les regarde avec grande commisération.

Dans l’affaire Hallyday (accusé un moment de viol par une hôtesse), vous êtes-vous trompé ?

Non. Même si j’ai dit et écrit que jamais plaignante ne fut aussi maltraitée par la justice. J’ai requis un non-lieu en faveur du chanteur en considération de charges insuffisantes pour une mise en examen.

Mon rôle c’est de diriger le parquet, pas de le tenir en laisse

Après votre relaxe à Lyon, en voulez-vous aux juges d’instruction qui vous ont renvoyé en correctionnelle ?

Je n’ai aucune envie de leur tresser des couronnes. Quand je vois tout ce qu’on a fait pour justifier ma comparution, jusqu’à un jugement de 51 pages, je reste perplexe.

Votre image de magistrat à « abattre » n’en sort-elle pas renforcée ?

 Aux beaux jours, il se rend parfois en vélo au palais de justice.  :  archives Patrice Lapoirie

Voulait-on m’abattre ? J’ai peine à le croire. Si le procès a atteint ma famille, il m’a beaucoup appris sur le plan professionnel. J’imagine comment celui cité sans raison à la barre peut s’y faire mouliner. Depuis, je suis encore plus vigilant sur les preuves à charge.

« Peu m’en chaut, avez-vous dit à l’audience, d’être traité de mauvais chef de parquet ». L’important est d’être un bon magistrat…

On s’étonnait que je n’aie pas été informé de tous les détails de l’affaire en question. Mon rôle, c’est de diriger le parquet, pas de le tenir en laisse.

– Vous allez requérir dans le sulfureux dossier Cosme. Pourquoi ne pas soutenir plus souvent l’accusation ?

Vous n’avez aucune idée (ton irrité) de ce qu’est le rôle d’un chef de parquet. Il faut établir des rapports, des statistiques. On ne peut pas être partout. Quand je vais à la maison d’arrêt pour rencontrer les détenus, c’est moi qu’ils veulent voir.

Est-ce si important de vous y rendre ?

Oui. Lors de ma dernière visite, j’ai ainsi appris de la bouche d’une détenue que 47 jours de remise de peine lui avaient été illicitement supprimés. Je suis intervenu pour rétablir ses droits

Depuis 2003, et votre refus de partir à Versailles malgré l’injonction de la Chancellerie, une autre proposition vous a-t-elle été faite ?

Non.

Vous sentez-vous oublié ?

Je ne suis pas malheureux à Nice. L’important, c’est d’être utile. Et ne pas s’ennuyer, ce qui est impossible tant la délinquance est variée.

Vous avez toujours dit qu’il ne fallait pas rester trop longtemps dans un même poste…

C’est vrai. Cinq ans, c’est bien. Le risque en prolongeant, c’est de prendre de mauvaises habitudes. Je ne pense pas en avoir pris. L’avantage, c’est de bien connaître le territoire.

Pourriez-vous achever votre carrière à Nice ?

J’ai dit que j’étais disponible pour aller ailleurs. Mais ce n’est pas moi qui décide. Si je dois rester à Nice, cela sera sans aucun chagrin.

Un jour, vous vous êtes décrit en « réactionnaire de gauche »…

Pour soigner le paradoxe. Les gens de gauche me voient à droite. Et inversement.

Deux dirigeants UMP, Éric Ciotti et Christian Estrosi, disent du bien de vous. Cela vous amuse, vous réjouit ou vous agace ?

Il m’arrive de dire du bien d’eux. Pourquoi n’en diraient-ils pas de moi ? Tous deux ont compris que je n’étais pas acharné à la perte de quiconque. Je rends grâce à Christian Estrosi (alors patron du département) d’avoir avancé avec la justice dans le domaine de l’enfance. J’aurais adoré travailler de la même manière avec le maire de Nice de l’époque…
Propos Recueillis Par Jean-paul Fronzes

Nice-Matin

Nice-Matin

La défense de Fabrice Burgaud a aussitôt indiqué qu’elle allait déposer un recours contre cette décision devant le Conseil d’Etat.

Fabrice Burgaud était poursuivi pour ses manquements supposés dans la conduite de l’affaire d’Outreau lorsqu’il était juge d’instruction au tribunal de Boulogne-sur-Mer. Au terme de deux procès, 13 des 17 accusés ont été acquittés des accusations de viols sur mineurs, certains d’entre eux ayant passé près de trois ans en détention provisoire.

Dans sa décision, le CSM considère que tous les faits antérieurs au 17 mai 2002 sont amnistiés, en raison de la loi d’amnistie du 6 août 2002. Sur les faits postérieurs à cette date, le CSM constate “un certain nombre de négligences, maladresses” dans la conduite de l’information judiciaire. Toutefois, celles-ci, poursuit le CSM, “ne révèlent ni une activité insuffisante, ni un non respect de la loi (…) ni une absence d’impartialité ou de loyauté de nature à porter une atteinte aux droits de la défense”.

Le CSM considère que si ces négligences et maladresses prises séparément ne constituent pas “un manquement susceptible de recevoir une qualification disciplinaire”, leur accumulation relève d’un “manque de rigueur caractérisé, de nature à nuire au bon déroulement de l’information et en conséquence un manquement par M. Burgaud aux devoirs de son état de juge d’instruction”.

La direction des affaires judiciaires avait requis au nom de la chancellerie une “exclusion temporaire des fonctions pour une durée maximale d’un an”.

Le seul autre magistrat à avoir été poursuivi dans cette affaire est le procureur de la République de Boulogne-sur-Mer, Gérald Lesigne. La formation disciplinaire du CSM pour les magistrats du parquet n’avait demandé aucune sanction. Il a été depuis muté à Caen (Calvados).