Un conseiller du président de la République a tenté de modifier l’ordre du jour du Conseil supérieur de la magistrature pour imposer la mutation d’un procureur général.

KARL LASKE

Rachida Dati voulait être la «chef des procureurs». Elle l’aura été jusqu’au bout. Alors qu’elle s’apprêtait, le 4 juin, à faire muter le procureur général de Riom (Puy-de-Dôme), Marc Robert, à la Cour de cassation, elle a soudainement choisi de différer sa décision. Le conseiller justice du président de la République, Patrick Ouart, a provoqué un incident de séance, en voulant s’opposer à ce report. Et l’on ignore encore si Marc Robert, le dernier procureur général à avoir été nommé par la gauche, sera ou non muté par l’exécutif.

«Rachida Dati a déjà fait muter en masse les procureurs généraux à la Cour de cassation», dénonce Laurent Bedouet de l’Union syndicale des magistrats (USM). Ils sont une quarantaine alors que leur effectif théorique n’est que de vingt-cinq. Marc Robert est un magistrat apprécié, excellent technicien du droit. Il avait dit, à l’audience solennelle de rentrée, qu’il fallait «se méfier d’une suppression du juge d’instruction». En outre, Robert n’aurait pas soutenu la suppression des tribunaux de grande instance de Riom et de Moulins (Allier). Le motif brandi pour sa mutation, «l’intérêt du service», est sa «longévité à son poste» de Riom, où il avait été nommé par le gouvernement Jospin. Le Syndicat de la magistrature (SM) dénonce «la scandaleuse tentative de manipulation du délibéré d’un organe constitutionnel» par le conseiller justice de l’Elysée. «Cette affaire démontre, ajoute le syndicat, à quel point les nominations dans la magistrature sont l’objet de tractations politiques, en violation du principe de la séparation des pouvoirs».

«Hallucinant». Le 19 mai, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) avait émis un premier avis défavorable à la mutation du haut magistrat, par 5 voix contre, 3 pour, et 2 abstentions. Au matin du 4 juin, un nouvel avis est voté, il est favorable par 6 voix pour et 4 contre. «Il est fréquent qu’après un avis défavorable, la chancellerie défende sa proposition, explique un magistrat. Mais dans le cas présent, “l’intérêt du service” n’a pas été explicité. Aucune faute n’est reprochée à Marc Robert. Et il n’est pas candidat» «Il y a eu une pression forte de l’exécutif en faveur d’un avis favorable, assure Laurent Bedouet. C’est hallucinant.»

L’avis favorable ayant été acquis le matin, la surprise est générale lorsque la garde des Sceaux, à peine assise, annonce qu’elle «retire de l’ordre du jour» sa proposition de mutation. Présent dans la salle, le conseiller justice de l’Elysée, Patrick Ouart, s’est alors absenté. Et c’est en fin de séance qu’il choisit d’intervenir, contrairement à tous les usages. «Le président Sarkozy a pris la décision de ne jamais présider le CSM, dès lors pourquoi son conseiller est-il là ?» s’interroge un magistrat. Patrick Ouart annonce que le président de la République n’a pas retiré de l’ordre du jour le projet de mutation de Marc Robert. Rachida Dati rétorque qu’en l’absence de Nicolas Sarkozy, c’est elle qui préside le CSM. Elle en est la vice-présidente. «C’est moi qui fais les propositions de nominations, je retire ce que j’ai proposé» , appuie-t-elle.

Volte-face. La prise de parole d’un conseiller de l’Elysée dans l’instance supérieure de la magistrature n’a pas de précédent. «Cette intervention est de nature à provoquer une crise institutionnelle, s’indigne Emmanuelle Perreux, la présidente du Syndicat de la magistrature. Monsieur Ouart n’a aucune qualité pour intervenir au CSM. Il est seulement toléré dans la salle. Et il vient contester à la garde des Sceaux de faire un retrait de l’ordre du jour ! C’est une dérive sans précédent.» L’incident sera minimisé par le porte-parole du ministère de la Justice. La volte-face de Rachida Dati pourrait s’expliquer par «une rivalité de la ministre avec Ouart» , «qui les rend mutuellement fous» , et un «pied de nez de la ministre». Les discussions se poursuivent. L’Elysée soutient que l’avis favorable a quand même été rendu. «Juridiquement, il n’y a pas d’avis, puisque la garde des Sceaux a retiré l’examen de cette mutation de l’ordre du jour, rétorque Laurent Bedouet. Le CSM n’a pas donc été saisi.»

Nommé pour quatre ans en juin 2006, dans sa composition actuelle, le CSM a vu ses rares avis défavorables se conclure, systématiquement, par des «passer outre» de l’exécutif, comme pour la nomination du juge Philippe Courroye au poste de procureur à Nanterre, en 2007, ou la mutation d’office du procureur général d’Agen, Bernard Blais, à la Cour de cassation. «En creux, vous pouvez aussi constater que pas un seul magistrat de gauche n’a été nommé procureur, commente un haut magistrat. La politique “d’ouverture” gouvernementale ne concerne pas la nomination des parquetiers…»

Les nominations politiques, en revanche, n’ont pas manqué : celle de Stéphane Noël, jeune directeur adjoint du cabinet de Rachida Dati, comme procureur général de Bourges, en septembre 2008 a été la plus contestée. Les craintes de voir le CSM dériver encore se sont accrues avec la perspective de voir doubler les effectifs de personnalités extérieures à la magistrature comme le prévoit la réforme constitutionnelle, votée en juillet 2008. Le projet de loi organique de réforme du CSM a d’ailleurs été adopté en conseil des ministres, le 10 juin. Il devrait rendre les magistrats minoritaires au CSM.

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