Indépendants, farouchement – Eva Joly, renaud Van Ruymbeke – leJDD.fr.

Justice | 1 Août 2010

Indépendants, farouchement

Entre la juge passionnée et l’instructeur procédurier, les désaccords ont parfois tourné à l’aigre. Leur histoire est aussi celle des affaires politico-financières.

Ne comptez pas sur eux pour entrer dans le petit jeu des vacheries. S’ils ont eu des divergences par le passé, et ont fini par prendre des chemins différents, ces deux-là s’estiment mutuellement. Ils ne s’adorent peut-être pas, mais ont conscience d’être l’un et l’autre des totems et tiennent trop à la valeur de leur parole pour échanger des agaceries et des petites phrases. Eva Joly et Renaud Van Ruymbeke ont incarné, chacun à sa façon, le “petit juge”, ce personnage courageux et fier de son indépendance qui a connu deux décennies de gloire pendant la grande vague des affaires politico-financières, dans les années 1980 et 1990.

Tout jeune juge d’instruction, déjà, Renaud Van Ruymbeke a été marqué au feu du scandale en enquêtant sur l’affaire des terrains de Robert Boulin, qui s’était dramatiquement achevée par le suicide du ministre, en 1979. Très durement attaqué, le petit juge a tenu bon. Il a ensuite enseigné à l’Ecole nationale de la magistrature (ENM). Nommé conseiller à la cour d’appel de Rennes, un poste a priori paisible, il a réussi à lever plusieurs lièvres politico-financiers. Il a notamment enquêté sur les finances occultes du Parti socialiste et du Parti républicain, provoquant des hurlements dans chaque camp sur le thème de la “république des juges”, ces irresponsables qui rêveraient de substituer leur pouvoir à l’onction sacrée du suffrage universel. Renaud Van Ruymbeke s’est ensuite investi pendant plusieurs années pour retrouver l’assassin de la jeune Caroline Dickinson. Mais il souhaitait secrètement revenir aux “affaires”.

«On reconnaît à Eva Joly des qualités “d’intuition”, un instinct d’enquêteur hors pair”, mais aussi “l’envie de faire un carton sur des personnalités” et un recours fréquent à “la détention-pression”»

Eva Joly, elle, est entrée tardivement dans la magistrature mais de manière fracassante. Elle a vite occupé la scène médiatique en instruisant au pas de charge des affaires financières où elle a épinglé sans trembler des personnalités en vue comme Bernard Tapie, Jean- Maxime-Lévêque (Crédit lyonnais) ou André Lévy-Lang (Paribas). Vint le temps des dossiers explosifs, Maurice Bidermann, Roland Dumas et Elf-Aquitaine. Eva Joly formait alors, entre 1997 et 2000, un tandem glamour et redoutable avec sa collègue Laurence Vichnievksy, que des avocats égrillards eurent vite fait de baptiser les “Pétroleuses”, en référence au western qui réunissait Brigitte Bardot et Claudia Cardinale. Leur popularité est au zénith avec l’inauguration en 1999 du pôle économique et financier de Paris par la ministre de la Justice de l’époque, Elisabeth Guigou.

Paradoxalement, c’est là que commencera la raréfaction des dossiers politico- financiers, le temps des fiascos, le moment où les juges vont imperceptiblement passer de mode. A cette époque, Eva Joly est usée. Débordée de travail, attaquée de toutes parts, fragilisée par la maladie de son mari, elle a l’idée de faire venir à ses côtés un renfort de poids: Renaud Van Ruymbeke. Pour cela, assure-t-elle avec un petit sourire, elle aurait fait du charme à “Réno” pendant plusieurs années. L’intéressé confirme plus sobrement: “Je suis venu au pôle financier à la demande d’Eva Joly en avril 2000, pour l’aider dans le dossier Elf. Nous avons travaillé ensemble pendant dix-huit mois. Certes, nous avons eu quelques divergences de vue, mais notre travail s’est révélé complémentaire. Elle a commencé le dossier, et moi, j’ai pu le mener à son terme.” Un résumé volontairement laconique, qui ne rend pas compte de leurs différends et encore moins de leurs différences.

Eva Joly, qui ne souhaite plus s’exprimer sur son ancien collègue, a pris sa défense publiquement en 2007, quand Renaud Van Ruymbeke a été sévèrement critiqué par le ministre de la Justice Pascal Clément et violemment attaqué par le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, pour avoir pris des rendez-vous en marge de la procédure avec Jean-Louis Gergorin, dans l’affaire des frégates de Taïwan, qui allait devenir l’affaire Clearstream. Aujourd’hui, ce qui lie encore les deux anciens collègues du pôle financier, c’est l’affaire Elf. Dans le petit monde judiciaire, chacun sait qu’Eva Joly a soupçonné Van Ruymbeke de lui voler son “bébé”, quand lui-même pestait contre le désordre d’un dossier qui n’avançait plus. En 2002, alors que le dossier Elf se règle enfin, la tension est à son comble, chacun des deux monstres sacrés de l’instruction reprochant à l’autre de tirer la couverture à lui.

«Renaud Van Ruymbeke est souvent loué pour sa “parfaite connaissance de la procédure”, sa “loyauté”, son “sérieux”, sa “puissance de travail” et sa “répugnance à embastiller”»

Ils sont complémentaires mais si différents. Elle, tellement passionnée. Lui, si sérieux. Chez les avocats, les magisrats et les policiers, on reconnaît à Eva Joly des qualités “d’intuition”, un “instinct d’enquêteur hors pair”, un “talent de découvreuse”, un “certain courage”. Mais on lui reproche aussi “l’affrontement systématique avec les avocats”, “l’envie de faire un carton sur des personnalités”, et un recours fréquent à “la détention-pression pour faire craquer les gens et leur arracher des aveux”. Entre la blonde Norvégienne et le moustachu à lunettes, aux physiques forcément dissemblables, les qualités professionnelles pourraient aussi être commodément opposées. Renaud Van Ruymbeke est souvent loué pour sa “parfaite connaissance de la procédure”, sa “loyauté”, son “sérieux”, sa “puissance de travail”, son “esprit de dialogue avec les avocats”, et sa “répugnance à embastiller”.

Le vent a un peu tourné pour lui avec l’affaire Clearstream, et quelques mauvaises langues glosent aujourd’hui sur le fait que Renaud Van Ruymbeke serait “has been”, “démotivé” ou “aigri”. Il laisse dire. Pendant ce temps, il enquête discrètement sur un volet de l’affaire Madoff. Après plusieurs livres à succès dans lesquels elle a raconté ses combats, ayant quitté cette magistrature où elle se sentait trop à l’étroit, Eva Joly est retournée un temps en Norvège, où elle a conseillé le gouvernement dans la lutte contre la délinquance financière. Elle est finalement revenue en France, pour être élue députée européenne Europe Ecologie. Changement de carrière, nouvelle vie. Elle embrasse la politique avec bonheur. Certains de ses amis la voient même candidate à la prochaine élection présidentielle.

Désormais, ces deux-là ne se croisent plus, ne se parlent pas, et leurs trajectoires sembleraient devenues contraires. Renaud Van Ruymbeke, qui a bouclé le dossier des transferts du PSG et l’affaire Kerviel, ronge son frein au pôle financier. Sa demande de promotion à la cour d’appel est bloquée depuis plusieurs années, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), à qui le ministère de la Justice avait réclamé une sanction contre le juge, faisant attendre sa décision depuis 2007. Renaud Van Ruymbeke continue à participer à des colloques sur la délinquance financière, accorde quelques interviews, mais toujours avec une certaine retenue. Juge dans l’âme, il ne se voit pas quitter la magistrature.

Michel Deléan – Le Journal du Dimanche

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