isons-le clairement, après dix années passées à défendre devant les tribunaux internationaux, dans des procès essentiellement menés selon la procédure anglo-saxonne, l’auteur de ces lignes n’est pas favorable à la disparition du juge d’instruction. Le maintien de celui-ci, devant le Tribunal pour les Khmers rouges (CETC) au Cambodge, renforce l’opinion selon laquelle ce système est plus protecteur des droits de la défense mais aussi du droit des victimes, et autorise des procès plus rapides.
Pour autant, il est intéressant d’observer le statut du dernier tribunal international créé, le Tribunal spécial pour le Liban, chargé notamment de juger les auteurs présumés de l’attentat contre Rafic Hariri.
Il s’agit certainement du statut le plus abouti à ce jour, pour tenter de conjuguer les deux systèmes de droit, common law (procédure accusatoire anglo-saxonne) et romano-germanique (procédure inquisitoire avec juge d’instruction).
Ce tribunal ne connaît pas de juge d’instruction, mais dispose d’un juge de la mise en état ayant notamment le pouvoir d’encadrer les enquêtes des parties, voire d’aider celles-ci à les réaliser (saisies, perquisitions, convocations de témoins). Contrairement à la stricte common law, il prépare aussi, à l’attention de la chambre de jugement, le dossier de l’affaire ainsi constitué par les parties.
Les parties, accusation et défense, doivent en effet réaliser elles-mêmes leurs propres enquêtes, l’une à charge, l’autre à décharge.
La grande nouveauté de ce tribunal est d’avoir créé, pour la première fois devant un tribunal international, un bureau de la défense, organe indépendant, qui a vocation à être le pendant du bureau du procureur, et à donner aux futures équipes de la défense une assistance juridique et technique pour leur permettre d’instaurer un réel équilibre avec l’accusation.
Cela passe bien évidemment par des moyens financiers conséquents, qui devront permettre, dans le cadre de l’aide légale, de doter la défense de chaque accusé d’une véritable équipe d’avocats, d’assistants, d’enquêteurs, de chargés de dossiers (case managers), voire de consultants et d’experts.
Soyons réalistes : supprimer le juge d’instruction revient deux fois plus cher puisqu’il y a, jusqu’au procès, deux enquêtes distinctes à l’occasion desquelles, si l’on veut conserver au procès son caractère équitable, les deux parties doivent être à “armes égales”.
Quant au procès, le statut prévoit que les juges décideront eux-mêmes de la forme qu’il prendra : un président interventionniste, qui interroge les témoins présentés par chaque partie (civil law), ou un président arbitre qui veille au bon déroulement des interrogatoires et contre-interrogatoires menés par le procureur et la défense, cette procédure étant censée faire émerger la vérité (common law). Conformément à la règle en vigueur devant tous les tribunaux pénaux internationaux, les juges pourront rédiger une opinion dissidente lors de la rédaction du jugement.
Seule la pratique dira si cette synthèse des deux systèmes est réalisable. Mais d’ores et déjà, il est évident que les rédacteurs du statut ont souhaité envoyer un message clair quant au rôle et aux moyens dont il est impératif de doter la défense, dans un système où disparaît le juge d’instruction, si l’on veut réellement assurer une justice équitable et impartiale. Et chacun sait que ces tribunaux internationaux ont aussi pour ambition d’instaurer des standards que les Etats sont ensuite invités à suivre…
François Roux est avocat, chef du bureau de la défense au Tribunal spécial pour le Liban.