tribunal | Durant des années, deux enfants ont vécu dans un total abandon. L’affaire est jugée par le Tribunal de police. Frère et soeur vivaient entre seringues et crottes de chien. L’Office vétérinaire a réagi plus vite que l’Office des mineurs.
© croquis: patrick tondeux/2 septembre 2009 | Tribunal de police. A gauche: Me Lorella Bertani, curatrice des enfants. A droite: Daniela Chiabudini, subsitute du procureur. En bas, l’inspecteur de police de la brigade des mineurs.
CATHERINE FOCAS | 03.09.2009 | 00:03
«AGenève, on va plus vite lorsqu’il s’agit de chiens que lorsqu’il s’agit d’enfants», constate cet inspecteur de la Brigade des mineurs visiblement secoué. C’est en effet grâce à l’action de l’Office vétérinaire cantonal qui est intervenu le 30 août 2007 dans un appartement de Carouge pour sauver des animaux moribonds que le calvaire de deux enfants s’est achevé.
«La personne qui est intervenue pour les chiens m’a demandé si je connaissais la situation des gamins et m’a montré des photos de l’appartement, poursuit l’inspecteur. Je suis tombé des nues.» C’est avec une colère contenue qu’il prend son téléphone pour appeler l’assistant social du SPMI (Service de la protection des mineurs) en charge du dossier. «Je me suis fortement étonné que la clause péril n’ait pas encore été prononcée et qu’on laisse ces enfants un jour de plus dans cette situation.»
L’assistant social lui rétorque qu’on ne va pas lui apprendre son métier: «J’ai commencé à monter les tours. Dans cette affaire, il y a une cascade de négligences à tous les niveaux. C’est effrayant! Je suis surpris de voir qu’il n’y a que deux personnes accusées devant ce Tribunal de police.» Deux personnes, une mère et son compagnon, qui ne se sont pas présentés, hier, devant les juges.
Cocaïne et verres brisés
C’est l’histoire d’une fillette de 10 ans et de son frère de 4 ans qui vivaient depuis des années dans un appartement sans électricité, insalubre (un «foutoir» selon les témoins) où l’on trouvait en vrac de la nourriture avariée, des excréments de chien, du linge et de la vaisselle sales, des débris de verre, de porcelaine et de mobilier cassés. Sur la table basse, des résidus de cocaïne, des seringues partout. «Je n’arrive pas à trouver les mots», dit l’inspecteur. A la vue du petit garçon, le visage sale, vêtu comme un mendiant, il est bouleversé: «J’ai un fils du même âge.»
Ces enfants-là n’avaient pas d’habits propres, ne se lavaient pas (la salle de bains était le plus souvent occupée par leur mère qui se shootait), ne mangeaient pas à leur faim, dormaient rarement à des heures normales car maman et son compagnon du moment organisaient des fêtes avec leurs
copains toxicomanes.
A l’école, la fillette arrivait en retard. Elle ne pouvait plus suivre le programme. Elle a expliqué que sa mère ne la réveillait pas et qu’à la maison, elle avait faim. On lui a proposé un psychologue.
Le chien est mort
Depuis combien d’années durait ce calvaire? «Les enfants venaient chez moi, je les nourrissais», raconte une voisine qui a fini par dénoncer la situation. Sans effet. En 2007, les gendarmes de Carouge ont rédigé deux rapports sur ce cas. Acheminés au SPMI, les documents sont restés sans suite.
Ce n’est qu’après l’intervention de l’Office vétérinaire cantonal que les choses se précipitent. L’inspecteur réagit. La substitute du procureur, Daniela Chiabudini, qui découvre l’affaire le 12 septembre, téléphone à la direction du service des mineurs. Le lendemain, la clause péril est prononcée.
Les enfants sont placés en foyer. Aujourd’hui, ils vont bien, assure leur avocate et curatrice, Lorella Bertani. Une enquête administrative a abouti au départ en préretraite de l’assistant social en charge de ce dossier.
Un des chiens recueillis par l’Office vétérinaire cantonal est mort en cours de transport. Ce service a interdit à l’accusée de posséder des animaux durant dix ans. Qu’en sera-t-il pour les enfants dans cette affaire qui rappelle la fin tragique de la petite Sylvia, morte de faim et de soif en 2001 dans un appartement de Meyrin? Le procès se poursuit le 28 octobre prochain devant le Tribunal de police.