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Elle encourait la perpétuité, elle écope finalement de dix ans de prison. Gismaine Modély, 67 ans, comparaissait hier devant la cour d’Assises de Saint-Denis pour le meurtre de son compagnon Jean-Marc Redony. Accusée d’assassinat, elle a été reconnue coupable de violences avec arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner.
Le réquisitoire de l’avocat général est cinglant. Il requiert quatorze ans de réclusion à l’encontre de cette “folle furieuse qui a cédé à l’exaspération et pris un couteau pour tuer et non juste pour se défendre ou pour faire peur”. Dans le box, Gismaine Modély est loin de ressembler à l’image dépeinte par le représentant du ministère public. Petite, les cheveux tirés en arrière, vêtue d’une robe simple et d’un pull bleu marine, elle a l’air d’une grand-mère comme les autres. Pourtant, Dominque Auter ne se montre pas indulgent. “En dépit de son grand âge, elle a un caractère beaucoup plus dur que ce qu’elle veut bien faire croire”. Un caractère forgé durant toutes les années où elle a élevé seule ses huit enfants après la mort de son mari. Devant la cour, tous les experts s’accordent à dire que Gismaine Modély n’a pas le profil d’une criminelle, bien qu’ils lui reconnaissent son côté autoritaire. “C’était elle qui criait le plus fort dans les disputes”, dit un voisin appelé à témoigner. En 1997, elle rencontre Jean-Marc Rodony. Selon l’expert psychiatre, le couple trouvera son équilibre dans une relation d’inter-dépendance basée sur l’alcoolisme du concubin et l’amour qu’il disait lui porter. “Le jour où elle lui a demandé de prendre soin d’elle, il a refusé et ce fut certainement le facteur déclenchant”. “Elle avait de l’emprise sur lui et quand elle a vu qu’il lui échappait, elle n’a pas accepté. C’est une femme de caractère, capable de jouer sur son âge et de manipuler les autres. Ni sénile, ni stupide, elle ne doit pas inspirer de compassion compte tenu de la gravité des faits et de la préméditation de son acte”, lâche Dominique Auter. Les avocates de la partie civile, Me Cécile Bentolila et Me Ingrid Dietrich-Ancelly, feront quant à elles le portrait de la victime, décrite comme “gentil, serviable, jamais violent malgré son alcoolisme. Il était généreux, toujours à l’écoute des autres”.
“Elle ne voulait pas le tuer”
Après un tel tableau, la tâche de la défense ne semblait pas simple. Démontant un à un les arguments du parquet, Me Jean-Claude Sainte-Claire tonne : “C’est un geste inacceptable certes, mais il n’y a pas eu préméditation. C’était un accident de parcours. Elle ne voulait pas le tuer”. Pourtant, les faits n’allaient pas dans ce sens. En 2007, un vendredi soir veille de 14 juillet, Jean-Marc Redony, 48 ans, annonce à sa compagne, Gismaine Modély, qu’il va faire un tour en voiture. Ils ont passé l’après-midi ensemble et même s’ils ont l’habitude de se chamailler depuis huit ans qu’ils se connaissent, ce jour-là, l’accusée affirme qu’ils ne se sont pas disputés. De son côté, elle se rend à l’anniversaire de sa voisine où elle boit du vin et de la bière. Au cours de la soirée, par la fenêtre, elle voit passer celui qui partage sa vie. Elle quitte les festivités pour se rendre à son domicile où elle pense le retrouver. Mais il n’est pas là. “Sur le portail, il avait placé des feuilles de zembrovat. C’était un code que l’on avait entre nous. Cela voulait dire qu’il était passé à la maison”, raconte-t-elle à la cour. La sexagénaire retourne alors chez sa voisine, y reste quelques heures de plus puis se fait raccompagner à sa maison. Jean-Marc Redony n’est toujours pas rentré mais elle sait exactement où il se trouve : comme à son habitude, il est parti s’enivrer chez un camarade. Elle décide de s’y rendre afin de le ramener au bercail. Avant de sortir, elle prend un couteau de cuisine et le met dans sa poche. “Dans mon quartier, il y a beaucoup de délinquants. Comme c’était la veille d’un jour férié, il y avait beaucoup de jeunes qui fument du zamal dans le chemin. J’avais peur de me faire agresser. J’ai pris le couteau pour me défendre au cas où”, explique l’accusée.
“Je ne sais pas ce qui m’a pris”
Arrivée au domicile de Jean-Luc M., elle entreprend d’appeler le locataire de la case afin de se faire connaître et demande à entrer. Une fois à l’intérieur, une discussion ou une dispute selon les différentes versions des témoins directs de la scène, s’engage entre le couple. “C’était leurs histoires, moi je n’ai pas préféré m’en mêler. Je suis retourné regarder la télé et je me suis endormi. Je n’ai pas vu ce qui s’est passé”, témoigne Jean Michel H., deuxième membre du trio formé par la victime et Jean-Luc M. “Je me suis assise sur le bord du canapé dans lequel Jean-Marc était allongé, raconte l’accusée. Il était saoul. Je lui ai demandé de rentrer à la maison, je voulais qu’il me masse l’épaule car j’avais mal. Il a refusé et m’a dit que de toute façon, ses camarades comptaient plus que moi. Je ne sais pas ce qui m’a pris, j’ai sorti le couteau et je l’ai piqué sur le flanc gauche. Je voulais lui faire peur. Selon moi, je l’avais juste touché avec la pointe. Il n’y avait pas de sang. Ensuite, je suis sortie sans me retourner et j’ai crevé un pneu de sa voiture. Je suis rentrée chez moi et sur la route, j’ai eu comme des vertiges et j’ai perdu le couteau”. Selon les constatations, Jean-Marc Redony a en fait été touché au niveau de la partie supérieure gauche du thorax. La plaie, profonde de 6 cm, a dévoilé une perforation du poumon ainsi qu’une section de l’aorte, provoquant ainsi une hémorragie interne. “Il a perdu connaissance en moins de deux minutes. La mort a été rapide”, indique le médecin-légiste à la barre avant de préciser que “l’accusée a forcément dû planter le couteau dans le thorax”. Pour son avocat, la grand-mère n’a pas eu de chance : le couteau s’est enfoncé dans “de la chaire molle, entre deux côtes. C’est la fatalité.” Des arguments qui ont fait mouche auprès des jurés puisque la sexagénaire écope de dix ans de prison, les faits étant même requalifiés en violences volontaires avec arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner
M.N