2005 : Michael Jackson face au procès de tous les dangers

people-match | Vendredi 26 Juin 2009

Juin 2005. Michael Jackson salue ses fans alors qu’il vient de quitter l’audience du tribunal | Photo /Gene Blevins/Reuters

Paru dans Match

Alors que la mort de Michael Jackson, victime d’un arrêt cardiaque vient d’être annoncée, Paris Match revient sur le procès pour abus sexuels que notre correspondant aux Etats-Unis Régis Le Sommier avait couvert en 2005. Retour avec l’enquête parue à l’époque dans Match sur une affaire qui avait failli coûter très cher au «roi de la pop» mais pour laquelle il avait été finalement acquitté,

Régis Le Sommier – Paris Match

    Vendredi 3 juin, 10h30 du matin. Dans la salle du palais de justice de Santa Maria, l’avocat Thomas Mesereau achève deux heures de plaidoirie durant lesquelles il a brillamment défendu son client. « Avant de conclure, dit-il aux jurés, je voudrai vous montrer une vidéo de Michael Jackson tirée du documentaire de la BBC ». La salle se fige. Pourquoi la défense choisit-elle de montrer des extraits du documentaire où Jackson claironne qu’il partage son lit avec des enfants et sans lequel il ne serait sans doute pas dans cette salle aujourd’hui ? Les yeux se dressent vers un écran géant placé sur le mur du fond. Jackson immobile depuis le début de l’audience lève lui aussi la tête.

    Son nez en trompette et l’os de son menton émergent d’une avalanche de mèches noires. A cet instant, il est gris blanc. S’il était allongé, on le prendrait pour un cadavre. Pendant quatre mois, de 8h30 à 14h30, du lundi au vendredi, il s’est assis à cette même place en écoutant sans dire un mot les témoignages de ses admirateurs comme ceux de ses détracteurs. Une semaine qu’il ne mange plus, ne dort plus. C’est son père qui le dit. La veille, son nutritionniste Dick Gregory l’a jugé déshydraté et lui a prescrit des médicaments. Il se plaignait de douleurs dans le dos et il avait froid aux mains. Il aurait été incapable de témoigner même si, dit-on, il a demandé à comparaître. Prudents, ses avocats ont choisi de le montrer à l’image. Le voilà condamné à se regarder parler. La scène est surréaliste. On le voit à Neverland, assis dans un canapé d’abord puis sur une couverture à même le sol. Il répond aux questions du journaliste Martin Bashir. « Il n’y a plus Mère Teresa, la Princesse Diana ou Audrey Hepburn, dit-il. Elles ne sont plus là. Il n’y a plus de voix pour les enfants ». Plus loin, il déclare « Jamais un enfant ne m’a trahi. Les adultes m’ont trahi. Ils ont trahi le monde. Le temps des enfants est venu. Il faut laisser leur innocence guider le monde ».

    « Peter Pan, c’est la jeunesse, le fait de ne pas grandir, la magie, voler »

    Par moment Jackson s’emballe. La salle sursaute lorsqu’il revient par exemple sur cette fête à Neverland donnée en l’honneur de ses singes. Il se souvient de la liste des invités, Benji, Lassie, Cheeta. Les gens se regardent. On avait cru un moment qu’il s’agissait d’êtres humains. Le journaliste l’interroge sur Peter Pan. Pourquoi une telle fascination ? « Peter Pan, c’est la jeunesse, le fait de ne pas grandir, la magie, voler ». Il parle alors de cette jeunesse qu’on lui a volée et qu’il veut garantir à tous les enfants quitte à y laisser sa fortune. Il dit encore qu’il aime les mannequins qu’il a chez lui par dizaines car il peut leur parler sans provoquer l’hystérie. Il ne supporte plus qu’on le reconnaisse, qu’on traque ses moindres faits et gestes. Il est touchant par moment, inquiétant à d’autres. Il raconte qu’il médite dans les arbres, que les plantes réagissent à sa musique, qu’elles ont des émotions et qu’il aime particulièrement les trains. « Le bruit qu’ils font lorsqu’ils partent dans le lointain est magique ».

    En montrant ce film, la défense espérait révéler la pureté de son amour des enfants. Dans leur box, certains jurés piquent du nez. On les sent tendus. La voix mielleuse de Jackson parait insoutenable à certains. Il faut dire que Jackson débite ses extravagances devant un jury composé entre autres d’une ex-femme de policier, de la groupie d’un animateur de Fox News, d’une caissière dont les trois enfants habitent au Texas, d’un fan de course automobile, d’une retraitée de 79 ans ou d’une ancienne militaire qui a quatre enfants.

    Des jurés, un seul est allé à Neverland quand il était adolescent. Il est handicapé et sa présence rappelle qu’en dépit de tout ce dont on l’accuse, Michael Jackson a fait un bien fou à des centaines d’enfants atteints de maladies. Cet homme est sans doute un des rares à comprendre l’univers de Jackson. Les autres viennent tous de Santa Maria, ville conservatrice, ou des environs. Pour eux, l’idée qu’un homme de 45 ans invite des petits garçons dans son lit en expliquant que « la plus belle preuve d’amour est de partager son lit avec quelqu’un » est avant toute chose insupportable. Tous savent que Jackson n’en est pas à son coup d’essai. Ronald Zonen, l’avocat de l’accusation n’a pas manqué de leur rappeler, photos à l’appui, que trois autres jeunes garçons ont raconté la même histoire que Galvin Arvizo, celui qui l’accuse aujourd’hui.

    Quand vient le tour de l’accusation, Ronald Zonen enfonce Jackson un peu plus. « Si vous appreniez que dans votre voisinage, il y a un homme d’âge mûr qui couche avec des gosses de 12 ans, vous appelleriez la police dans la seconde ». Le coup de grâce est donné sous la forme d’une nouvelle vidéo. On y découvre Galvin Arvizo, 13 ans au moment des faits, 15 aujourd’hui. Il est assis sur une chaise. Il porte une chemise verte, un short bleu et des chaussettes blanches. Un policier l’interroge. La vidéo date de 2003. Galvin a du mal à parler. « Que t’as dit Michael Jackson ? » Silence. « Tu peux parler, tu sais, n’ais aucune crainte ». Silence. « Vas-y. N’ais pas peur. Tu es en sécurité ici ». Silence. Enfin un murmure, une plainte. On n’entend rien. Le policier le fait répéter. « Quoi ? Que dis-tu ? » « Michael m’a dit que les garçons devaient se masturber, sinon on devient fou, ou quelque chose comme ça ». Galvin renifle puis poursuit avec peine. « Il m’a dit qu’il voulait me montrer comment on se masturbe ». « Et ensuite, qu’a-t-il fait ? » « Il m’a pris le sexe ». « Où étiez-vous ? » « Nous étions allongés dans son lit. Il m’a mis les mains dans le pantalon et a commencé à me masturber. Je disais que je voulais qu’il arrête mais il a continué. Il disait que c’était ok, c’était naturel ». Ecran noir. Le procureur conclut « les sept minutes que vous venez de voir sont les pires de toute la vie de ce jeune homme ». Fin du procès. Place aux recommandations du juge Rodney Melville, puis les jurés, visages fermés, quittent un à un la salle pour rentrer en délibération dans un silence pesant.

    Les fans courent vers les voitures en hurlant « Michael, on t’aime »

    A l’autre bout du tribunal, Michael Jackson fait sa sortie sous les flashs des photographes. Comme chaque après-midi depuis quatre mois, protégé par un parapluie noir, il s’engouffre dans une Cadillac Escapade noire, direction Neverland. Toute la famille Jackson est à ses côtés, en particulir son père Joe, sa mère Katherine, ses sœurs Rebbie, Latoya, Janet et ses frères dont Jermaine. Le cortège file à toute allure à travers la campagne. Aux intersections, ses fans le saluent. Sandrine, une française de 21 ans l’attend à la porte de Neverland avec la pancarte qu’elle a confectionnée avec sa sœur et sur laquelle on lit « Michael, la France lutte à tes côtés ». Elle n’a pas hésité à emménager dans la région pour la durée du procès. Quand le cortège apparaît, les fans courent vers les voitures en hurlant « Michael, on t’aime ».

    Certains pleurent, d’autres prient. Aujourd’hui, il ne s’arrêtera pas. Il fera juste au passage un signe de la main à travers la fenêtre entrouverte. Les grilles se referment sur Neverland et les fans restent à la porte. Comme il semble loin le temps où l’endroit résonnait des cris de joie des enfants. A l’intérieur, Peter Pan et le génie d’Aladin se morfondent dans la solitude de leurs statues de bronze au sourire éternel. On a arrêté de projeter Bambi sur les cinq écrans télé incrustés dans le mur extérieur de la salle de jeux. Le parc d’attractions est livré aux merles et aux cigales. Les trois enfants de Michael Jackson viennent encore y jouer parfois. Pour eux, on fait tourner les manèges. Il faut garder les apparences. La famille Jackson fait tout pour que les enfants vivent dans l’ignorance absolue du procès. On leur raconte des histoires. « Ils n’ont pas accès à la télé, seulement à des vidéos » explique Joe Jackson, le père de Michael. « La nounou s’occupe d’eux quand Michael va au tribunal et au retour il ne laisse rien transparaître. Il a toujours assez d’énergie pour ses enfants et ça, c’est extraordinaire » ajoute-t-il. Pourtant les enfants ont fini par trouver curieux de ne plus voir d’autres enfants débarquer comme avant du petit train qui relie le parking au parc d’attraction. Peut être est-ce pour cela, pour faire comme avant, qu’un après-midi d’avril à l’issue du procès, Michael a décidé d’ouvrir à ses fans les portes de Neverland. Les allées étaient jonchées de fleurs jaunes et violettes. De la musique classique s’échappait d’enceintes placées en haut des chênes.

    « Bonjour, je suis Michael Jackson. Merci beaucoup [d’être là], bienvenu chez moi » disait la star à chaque invité sur le parvis de sa maison, une sorte de grand manoir normand. Autour de lui, il avait réuni ses trois enfants, Paris, 7 ans, en jupe bleu très stricte, Prince Michael, 8 ans, cheveux gominés et costume Prince de Galles et le petit dernier Prince Michael II, 2 ans. Aucun ne parlait, ils se contentaient de lever la main dès que leur père faisait de même. Une fois à l’intérieur de la maison, Jackson a montré sa peinture préférée qu’il appelle « le compteur » et où on le voit entouré d’une nuée d’enfants de toutes les couleurs, un livre ouvert à la main d’où s’échappe la fée Clochette de Peter Pan. Les fans ont ensuite été poussés de l’autre côté de la maison, vers la piscine et la salle de jeux. Pendant la visite, personne ne sera autorisé à monter à l’étage. Jackson aurait bien voulu leur montrer la plus délirante de toutes ses peintures, une reconstitution de « La Cène » où il trône tel le Christ entouré de ses disciples Abraham Lincoln, John Kennedy, Thomas Edison, Albert Einstein, Walt Disney, Charlie Chaplin, Elvis Presley et Little Richard. Mais elle est accrochée dans la chambre au dessus du lit où Galvin Arvizo prétend qu’il a abusé de lui. Après deux heures de promenades et de jeux sous la discrète surveillance d’un service de sécurité composé d’anciens commandos, tout le monde a regagné la sortie. Dans les haut-parleurs, on jouait un enregistrement de la Sonate du Clair de Lune de Beethoven entrecoupé de rires d’enfants.

    Dans une interview au magazine «Rolling Stone» datée d’avril 1993, Mary Lisa Presley rapportait une conversation qu’elle avait eue avec Michael « J’ai toujours pensé que les gens arrêteraient de te prendre pour un dingue si tu leur montrais vraiment qui tu es. Si tu leur disais que tu bois, tu sais être grossier, drôle, un peu langue de pute même, et que tu n’as pas tout le temps cette petite voix haut perchée. Je ne comprends pas pourquoi tu t’imagines que tu peux continuer comme ça parce que ça ne marche plus, Michael ». Mary Lisa Presley avait de bonnes raisons de faire passer Jackson autre chose qu’un extra-terrestre. Ils étaient mariés. Mais ses paroles jettent aujourd’hui un trouble.

    Si Jackson n’est ni aussi fou, ni aussi extravagant qu’on le dit, alors il est possible après tout qu’il soit ce pervers rusé croqué par l’accusation, qui profite de sa fortune et de sa célébrité pour attirer les enfants dans sa forteresse de Neverland et abuser d’eux. Tout ça n’est qu’affaire d’impression car dans ce procès, il n’y avait aucune vraie preuve contre Jackson, juste des soupçons. Il y a bien eu des témoignages poignants mais aucun, en dehors de celui de Galvin Arvizo, ne concernait directement les soi-disant scènes d’abus sexuels. On a parlé d’alcool donné aux enfants, des magazines érotiques, des revues avec des petits garçons nus à l’intérieur. L’alcool, c’est vrai, coulait à flot à Neverland mais à par ça, rien d’illégal. Dès le début pourtant, le procureur Zonen avait compris qu’il y avait deux Amériques dans la salle et il a flairé très vite dans laquelle se situait le jury. D’un côté l’Amérique de Thomas Mesereau, chevelure argenté, éloquent, charismatique, riche. L’avocat s’est fait une fortune avec des clients comme Mike Tyson.

    Il est aussi connu pour passer deux mois par an à se battre pour faire sortir des condamnés des couloirs de la mort sans recevoir un dollar en échange. Il ne va nulle part sans sa ravissante collaboratrice d’origine asiatique Susan Yu. De l’autre, l’Amérique de l’accusation, rien que des hommes, tous blancs, la cinquantaine, cheveux courts et costumes sombres avec à leur tête le procureur Tom Sneddon et son allure de shérif intraitable. Michael Jackson n’appartient à aucune de ces deux Amériques. Au-delà de la question de sa culpabilité ou de son innocence, c’est son problème principal. Ni noir ni blanc, ni homme ni femme, ni adulte ni enfant, son personnage est une transgression permanente d’une norme américaine qui, malheur à lui, ne tolère pas l’ambiguïté. Il ne fait même pas partie d’une minorité comme OJ Simpson dont les avocats surent jouer de la discrimination raciale pour obtenir l’acquittement. Il est seul, unique, inclassable.

    Si la première Amérique était peut être prête à lui accorder le bénéfice du doute, la seconde voulait sa peau. Son malheur, c’est que le jury en faisait partie. Comme disait un expert judiciaire après avoir regardé la vidéo présentée par la défense « Nous ne sommes pas à San Francisco dans les années 70. Certains jurés ne supportent pas de tels propos ». Au début du procès, Alan Dershowitz écrivait en une du Wall Street Journal « les jurés seront appelés à faire la distinction entre amour et luxure, entre câlins innocent et caresses suggestives, entre désir de partager et intention de profiter ». Pour beaucoup d’américains, ces questions sont insupportables. En achetant Neverland en 1980, Jackson pensait qu’il y vivrait à l’abri dans le monde de Peter Pan. Coupable ou innocent, il a eu le tord d’ignorer que son voisinage et son époque auraient un jour à le juger. Point final

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    3 réponses
    1. Rosa
      Rosa dit :

      Belle reconstitution de ce procès que l’on a tendance à oublier en ce jour de deuil. Pourtant il était nécessaire de rappeler cette partie de la vie de Michael Jackson.

      Rosa

      Répondre
    2. Véritas
      Véritas dit :

      Oui Georges, mais ce n’est pas parce que l’on est “la star des stars” que l’on bénéficie d’une immunité judiciaire en matière d’infractions sexuelles ! Il fallait bien que ce procès se tienne.

      Répondre

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