Aux beaux jours, il se rend parfois en vélo au palais de justice.
Le bureau, encombré par des piles de livres et de dossiers, donne sur la place du Palais. Sur les murs, cohabitent des photos de famille, la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et une caricature témoignant du goût assumé du procureur pour la provocation. Sous le titre Le miel attire les mouches, le dessin montre un élu ceint d’une écharpe tricolore et entouré de mouches gourmandes en robes noires de magistrats. Éric de Montgolfier n’esquive aucune question.

Estimez-vous avoir rempli la mission impartie par la garde des Sceaux Élisabeth Guigou qui était de remettre de l’ordre à Nice ?

Ce n’était possible que dans le cadre de la loi. Sur les 23 dossiers (présentant des anomalies) transmis à mon arrivée, beaucoup étaient prescrits. Au tribunal, je pense avoir rempli l’objectif. La justice fonctionne normalement.

La justice n’a pas l’ambition de tout voir, ni de tout faire

Vous avez fait condamner plusieurs élus. D’autres responsables sont-ils passés au travers des mailles du filet ?

La justice n’a pas l’ambition de tout voir, ni de tout faire. Et puis, il y a des choses que je sais, ou que je crois savoir, et pour lesquelles je ne peux réunir de preuves. Alors, je les garde en mémoire en attendant d’être aidé par le hasard, la chance ou un témoignage.

Vous êtes à l’origine de la mise à la retraite forcée du juge Renard…

Je fus un simple révélateur. Le doigt, pour reprendre une chanson de Guy Béart, qui montre et qui, pour certains, est plus coupable que ce qu’il montre.

D’autres magistrats auraient-ils dû rendre des comptes sur le plan disciplinaire ?

Je n’ai pas le pouvoir d’envoyer quiconque devant le Conseil supérieur de la magistrature. Même si parfois, j’ai trouvé qu’on déshonorait facilement la justice.

Faut-il laisser le soin à l’institution d’exercer sa propre discipline ?

Un corps, quel qu’il soit, est toujours un peu corporatiste.

Le sentiment d’impunité, que vous fustigiez à votre arrivée, a-t-il régressé ?

C’est à mes concitoyens qu’il faut le demander. Il y a ceux qui répondront « non » parce que je n’ai pas déstabilisé leurs ennemis. Je serais un bon procureur à leurs yeux lorsque je les oublierai pour m’occuper des autres. Un franc-maçon du Grand Orient m’a lancé un jour : j’espère que vous allez nous débarrasser de Peyrat. Il n’avait rien compris

Et l’influence des milieux affairistes, maçons ou non ?

Qui peut la mesurer ? Le secret, ou la discrétion selon le terme employé, reste puissant. Maçon et affairiste, deux mots qui vont si mal ensemble. De manière générale, ce qui me trouble ici, c’est l’arrogance de la délinquance

Par exemple ?

Lorsque je fais condamner le maire de Villefranche, d’autres maires l’assurent de leur soutien. C’est étonnant. Le dernier week-end, je fais remarquer à un automobiliste mal garé que sa voiture gênait le passage d’un bus articulé. Il l’a très mal pris…

Vous ne l’avez pas verbalisé ?

(Sourire) Je n’ai pas mis autant de PV qu’on le raconte. Même si cela m’arrive de relever des immatriculations ou de rattraper une voiture de la police municipale venant de brûler un feu. Pour autant, je ne passe pas ma vie à relever des contraventions. La répression n’est pas la seule réponse.

Vous sentez-vous moins isolé qu’à votre arrivée ?

Il y a eu des moments éprouvants. Des collègues, dénonçant en interne les mêmes problèmes, n’ont pas apprécié que j’en parle publiquement. Avec ce raisonnement : ne montrons pas ce que nous sommes. Il est toujours difficile d’être procureur, ici plus qu’ailleurs. Avant d’accepter les offres des gens, on réfléchit. Qui aiment-ils, le procureur ou l’homme ?

Justement, est-il possible d’avoir des amis authentiques ?

Oui, sinon ce serait affreux. Je ne veux pas tomber dans cette paranoïa qui créerait autour de moi le désert.

Récemment vous avez dit : je me sens Niçois…

Je ne me sens pas Niçois, je suis Niçois. Depuis dix ans. C’est mon pays, car c’est aussi la France. Mais je refuse de distinguer entre les vrais Niçois et les autres.

De ces dix années, quels furent les meilleurs moments ?

Il s’agit de souvenirs personnels et non professionnels.

Et les pires ?

Le rapport (à charge) de l’inspection générale et les cris de haine l’ayant accompagné. La récente comparution en correctionnelle. Les insultes qui me suivent régulièrement, jamais en face. J’aimerais tellement que l’on vienne me le dire en face. Au moins une fois.

Vous est-il arrivé de vous tromper ?

Qui ne s’est jamais trompé ? Cela m’est arrivé dans les procédures. Faut-il interrompre un pacte de corruption, dès qu’on en a connaissance et au risque de ne pas réunir de preuves suffisantes, ou le laisser se développer et en profiter pour placer les suspects sur écoute ? J’ai souvent fait le premier choix, avec sans doute des conséquences sur les résultats.

Comme dans l’affaire Sulzer ?

Peut-être…

Dans ce dossier, un avocat affirme que vous avez cherché à atteindre le maire de Nice (Jacques Peyrat) par le biais du chef de la police municipale…

Nombre d’avocats pensent qu’ils peuvent dire n’importe quoi, sans risque. Je les regarde avec grande commisération.

Dans l’affaire Hallyday (accusé un moment de viol par une hôtesse), vous êtes-vous trompé ?

Non. Même si j’ai dit et écrit que jamais plaignante ne fut aussi maltraitée par la justice. J’ai requis un non-lieu en faveur du chanteur en considération de charges insuffisantes pour une mise en examen.

Mon rôle c’est de diriger le parquet, pas de le tenir en laisse

Après votre relaxe à Lyon, en voulez-vous aux juges d’instruction qui vous ont renvoyé en correctionnelle ?

Je n’ai aucune envie de leur tresser des couronnes. Quand je vois tout ce qu’on a fait pour justifier ma comparution, jusqu’à un jugement de 51 pages, je reste perplexe.

Votre image de magistrat à « abattre » n’en sort-elle pas renforcée ?

 Aux beaux jours, il se rend parfois en vélo au palais de justice.  :  archives Patrice Lapoirie

Voulait-on m’abattre ? J’ai peine à le croire. Si le procès a atteint ma famille, il m’a beaucoup appris sur le plan professionnel. J’imagine comment celui cité sans raison à la barre peut s’y faire mouliner. Depuis, je suis encore plus vigilant sur les preuves à charge.

« Peu m’en chaut, avez-vous dit à l’audience, d’être traité de mauvais chef de parquet ». L’important est d’être un bon magistrat…

On s’étonnait que je n’aie pas été informé de tous les détails de l’affaire en question. Mon rôle, c’est de diriger le parquet, pas de le tenir en laisse.

– Vous allez requérir dans le sulfureux dossier Cosme. Pourquoi ne pas soutenir plus souvent l’accusation ?

Vous n’avez aucune idée (ton irrité) de ce qu’est le rôle d’un chef de parquet. Il faut établir des rapports, des statistiques. On ne peut pas être partout. Quand je vais à la maison d’arrêt pour rencontrer les détenus, c’est moi qu’ils veulent voir.

Est-ce si important de vous y rendre ?

Oui. Lors de ma dernière visite, j’ai ainsi appris de la bouche d’une détenue que 47 jours de remise de peine lui avaient été illicitement supprimés. Je suis intervenu pour rétablir ses droits

Depuis 2003, et votre refus de partir à Versailles malgré l’injonction de la Chancellerie, une autre proposition vous a-t-elle été faite ?

Non.

Vous sentez-vous oublié ?

Je ne suis pas malheureux à Nice. L’important, c’est d’être utile. Et ne pas s’ennuyer, ce qui est impossible tant la délinquance est variée.

Vous avez toujours dit qu’il ne fallait pas rester trop longtemps dans un même poste…

C’est vrai. Cinq ans, c’est bien. Le risque en prolongeant, c’est de prendre de mauvaises habitudes. Je ne pense pas en avoir pris. L’avantage, c’est de bien connaître le territoire.

Pourriez-vous achever votre carrière à Nice ?

J’ai dit que j’étais disponible pour aller ailleurs. Mais ce n’est pas moi qui décide. Si je dois rester à Nice, cela sera sans aucun chagrin.

Un jour, vous vous êtes décrit en « réactionnaire de gauche »…

Pour soigner le paradoxe. Les gens de gauche me voient à droite. Et inversement.

Deux dirigeants UMP, Éric Ciotti et Christian Estrosi, disent du bien de vous. Cela vous amuse, vous réjouit ou vous agace ?

Il m’arrive de dire du bien d’eux. Pourquoi n’en diraient-ils pas de moi ? Tous deux ont compris que je n’étais pas acharné à la perte de quiconque. Je rends grâce à Christian Estrosi (alors patron du département) d’avoir avancé avec la justice dans le domaine de l’enfance. J’aurais adoré travailler de la même manière avec le maire de Nice de l’époque…
Propos Recueillis Par Jean-paul Fronzes

Nice-Matin

Nice-Matin

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