Aujourd’hui, je m’éloigne un peu de l’actualité cinématographique pour évoquer un film que j’ai découvert sur Ciné Classic cette semaine et que je vous recommande : « Avant le déluge », un drame d’André Cayatte de 1954 dans lequel quatre adolescents issus de la bourgeoisie se retrouvent en cour d’assises pour avoir tué un de leurs amis. En attendant le verdict, un flashback revient sur le déroulement des évènements, notamment à travers le regard de leurs parents. Nous sommes en 1950. La guerre de Corée fait rage et la tension internationale est à son comble. Certains parlent de troisième guerre mondiale. A Lagny, dans la banlieue parisienne, cinq adolescents ont formé une bande unie. Autour de Liliane Noblet (Marina Vlady), fille d’un enseignant idéaliste (Bernard Blier), gravitent Philippe Boussard (Clément Thierry), dont le père, un spéculateur, a exporté frauduleusement ses capitaux, Jean (Jean Chabassol), fils d’un fonctionnaire mort en Indochine, Daniel Epstein (Rogier Coggio), dont la famille a disparu dans un camp de concentration et qui reçoit une confortable pension d’un oncle d’Amérique, et Richard Dutoit (Jacques Fayet), fils d’un musicien antisémite emprisonné à la Libération. Tous rêvent de partir sous les tropiques pour échapper à la guerre…
André Cayatte était avocat, il plaidait contre la peine de mort depuis 1922, depuis que son cousin, nouvel aumônier de prison à Carcassonne, devait assister à la mort d’un condamné. Le jeune prêtre qui avait en vain supplié qu’on le déchargeât de cette mission s’effondra quand la tête tomba. Il en mourut, n’ayant pas supporté cet odieux spectacle. L’ensemble de l’œuvre de Cayatte sera ensuite un long plaidoyer pour une justice plus humaine… et « Avant le déluge » ne déroge pas à la règle.
Parmi ses films les plus connus figurent « Nous sommes tous des assassins », « Le Miroir à deux faces », « Les Risques du métier », « Mourir d’aimer », « Verdict »… pour citer ceux que je vous recommande. Parmi ses récompenses, un Ours d’or à Berlin en 1951, et un Lion d’or à Venise pour « Passage du Rhin », en 1960.
“Si les gens de cinéma voient dans Cayatte un avocat, les gens de robe le prennent pour un cinéaste” selon François Truffaut. « Avant le déluge » pourrait peut-être réconcilier « gens de cinéma » et « gens de robe », ce film étant certes un plaidoyer et écrit comme tel mais aussi le film d’un vrai cinéaste.
L’intérêt est d’abord historique, voire sociologique, nous replongeant dans cette tension, cette panique, cette sensation de fin du monde irrévocable, qui régnait alors, desquelles découle le premier argument de la défense : ils ne savaient plus ce qu’ils faisaient dans cette atmosphère apocalyptique. Le déluge, c’est la menace de la guerre nucléaire qui perturbe les esprits mais c’est aussi tout ce qui précède le verdict après lequel plus rien ne sera pareil. Le deuxième argument de la défense : c’est de nous montrer des enfants (on insiste longuement sur leur jeune âge), davantage victimes de l’oppression ou de l’aveuglement parental que criminels. La mère de l’un l’emprisonne dans une existence morne plus qu’elle ne l’élève, lui reprochant de surcroît sa naissance (mais c’est elle qui finira en s’éloignant de la prison vue à travers les grilles du palais de justice, nous signifiant ainsi une autre prison, abstraite, dans laquelle elle s’est elle-même enfermée). Le père d’un autre ne cesse de marteler ses idées antisémites qui vont finir par influencer son fils. Le père d’un troisième, obsédé par ses affaires plus ou moins frauduleuses, ne s’aperçoit pas que sa femme le trompe avec son ami, elle-même aveuglée par son âge et son physique et par son amour pour cet être égoïste et méprisable etc.
Si Cayatte, revêtant ici la robe d’avocat, laisse entendre que les enfants sont coupables sans être totalement responsables, il ne les épargne pourtant pas tous. Si Liliane est aveuglée par son amour pour Richard pour lequel elle serait prête à tout, c’est l’antisémitisme, la peur et la lâcheté qui conduisent deux d’entre eux au meurtre dans une scène d’ailleurs très réussie où, l’un est vêtu d’une veste de cuir qui rappelle celles de la gestapo, et qui empruntent ainsi aux nazis leurs abjectes méthodes, Cayatte démontrant ainsi de manière terrifiante et convaincante comment l’innocence peut basculer dans la barbarie sous d’ignobles prétextes.
Si, à l’époque, dans « Les Cahiers du cinéma, André Bazin déplora le manichéisme de ce film, la critique lui reprocha une noirceur excessive peu représentative de la société.
Si le jeu de certains est certes un peu théâtral (d’autres en revanche sont remarquables comme Bernard Blier d’une justesse impressionnante), si certains personnages n’échappent en effet pas au manichéisme Cayatte conduit pourtant son film comme une démonstration implacable, lucide et cruelle, servie par d’excellents acteurs et dialogues (signés par lui-même et Charles Spaak) qui procurent à ce film un caractère tristement intemporel (on retrouve d’ailleurs des similitudes avec « L’Appât » de Bertrand Tavernier, les deux films étant d’ailleurs inspirés de faits divers).
François Truffaut écrivit ainsi à propos d’André Cayatte : “C’est une chance que Cayatte ne s’attaque pas à la littérature ; il serait capable à l’écran d’acquitter Julien Sorel ; Emma Bovary en serait quitte pour la préventive et le petit Twist irait se faire rééduquer à Savigny”.
« Avant le déluge » a reçu le Prix international et la Mention spéciale au Festival de Cannes et plus de 2, 5 millions d’entrées.
Ecrit par Sandra.M dans GROS PLAN SUR DES CLASSIQUES DU SEPTIEME ART |
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